Poèmes de Bobby Paul
Au singulier pluriel
Dans ce
vide d’envie
sont le mot
des maux
la plainte
des complaintes
la douleur
des malheurs
l’écorchure
des blessures
la tristesse
des faiblesses
le crucifix
des idées fixes
et enfin mon Dieu
les soupirs du soir
sur la plage désertée
où viennent mourir
les vagues des yeux
aux refrains solitaires.
(2006)
Le poète
Il est venu
vous montrer
la beauté de la vie
mais vos yeux baissés
ne parlent pas
la langue de son désir.
Il est venu
vous donner
le bonheur de ses mots
mais vos mains fermées
ne comprennent pas
l’importance de son offre.
Il est venu
partager avec vous
sa grande joie d’aimer
mais indifférent
votre cœur lui tourne
froidement le dos.
Alors,
il repart
comme il était venu.
Il repart,
comme s’il n’était
jamais venu.
(2006)
Au pas! Au trot! Au galop!
Au pas!
Au trot!
Au galop!
Les parents
surtout les grand-mères
et les grands-pères
additionnaient avec joie
tant de charme et d’amour
toute la sainte journée à la sainte vie.
L’enfance et ses beaux souvenirs
une partie de notre vie qui enrichit
la mémoire de notre présent
bienfaits d’un passé récent
de ce que nous sommes
dans les heures
que charrie le temps
qui passe
passe
passe
et repasse.
Au pas!
Au trot!
Au galop!
Et c’était
les rires des marmailles
les pieds de nez
les petites querelles anodines
les indiens et les cow-boys
les dessins animés
les livres et les cahiers
et tout le bonheur
du bon vieux temps
qui encore
passe
passe
passe
et repasse.
À recommencer
Oui c’est toujours
à recommencer
la danse
cette folle danse de la mémoire
cette triste danse de feuilles mortes
que le vent d’automne
apporte
de bon gré
malgré elles
comme des ailes en liberté
sous la pluie vers l’oubli
dans l’oubli des regards
dans le deuil des heures
dans le murmure inaudible du silence
quand il se fait tard
quand on rêve hagard
ivre et blafard
quand les lèvres
se donnent sans fard
un baiser de l’envie à l’envi
un baiser presque mort
un baiser sans vie
oui c’est toujours
à recommencer
ces dimanches
de pain sur la planche
ces dimanches
sans repos
consacrés à la misère
des mains grand ouvertes
aux angoisses de la faim d’aimer
à la persistance des souvenirs
au visage d’un soleil pendu
à l’aube de l’Histoire de notre Race…
Les mots noirs
Les mots noirs que mon cœur aime,
au crépuscule ne sont plus les mêmes.
Ils ont le goût amer de la nostalgie,
ils ne se parent que de mélancolie.
Les heures dans leur chuchotement
au voilier qui flotte sur les vagues
calmes et belles les laissent indifférents
car seule leur tristesse est en vogue.
Ils disent haut dans la nuit blanche
que la solitude est franche
comme le temps qui s’effiloche
Sur les airs des douze sons de cloche
quand tout sourit au calme de la tombe,
quand dort la paix dans l’autre monde.
Au jour du poète
Avec rage
Il décrit
Ses hauts cris
Sur la plage.
Prononçant
Désespoir
Et déboire
Menaçant.
Mais, Ô Père!
Aux enfers
Il ira
Quand le jour
Il mourra
Sans amour.
Bleu
BLEU
Bleu!
Bleu!
Bleu!
Non! Pas celui d’un ciel joyeux
qui lave son grand bonheur
dans la tiédeur de la mer des Antilles
aux premiers jours de printemps,
ni celui d’un œil rêveur
ni celui du sang indigo.
Bleu!
Bleu!
Bleu!
Souvenirs insulaires
des champs de coton
imbibé de sang noir
ceux des cannaies amères
des murmures des usines
de salaires de pitance
des chantiers de désolation
des camps de privation
et du catéchisme pour zombis.
Bleu!
Bleu!
Bleu!
triste prière de dégoût
une aventure de temps morne
des éternels soupirs de mémoire amère
qui vivent et meurent sans rédemption.
Demain soir mon amour
Demain soir ce sera la danse.
Je te prendrai dans mes bras
et nous danserons,
danserons tout autour
des contours
du poteau-mitan.
Le rythme des vagues,
nos râles,
rauques,
en rut
au sol dénudé,
traîneront nos deux corps
assoiffés de bonheur vers l’ivresse.
Et, au beau milieu du temple en feu,
un doux baiser placera au solstice
le rêve de cette grande soif.
L’été dans nos yeux,
en dehors du temps,
perdurera longtemps
dans nos gémissements,
dans nos ruades,
dans nos joies,
pour les caprices
d’un bonheur si attendu.
Nos souffles mélangés
ce soir seront, en douceur,
un long hymne
aux arbres,
aux fleurs,
à l’eau,
au feu,
et à la fertilité
de nos paroles qui se font chair.
Ah demain soir!
Demain soir mon amour,
nous serons au centre de nos sens,
je serai au beau milieu
de la plus douce des blessures,
et tu danseras,
danseras,
tout autour
des contours
de mon poteau-mitan.
Ô! Comme Icare
j’ai été trop près de vous
cherché un peu chaleur
touché la lumière
embrassé le feu
mais voici que pour vrai
je me suis brûlé les ailes.
Deux pas de…
À deux pas
la goutte d’eau
qui étanche la soif
toutes les soifs
ne provient
plus de nos yeux
ni du creux fissuré
de nos mains liées.
Elle se laisse couler
de nos mots unis
de nos peines partagées
de nos joies ressuscitées.
Elle donne sa fraîcheur
au calme de nos lendemains
à la senteur de l’Aurore
à la couleur de nos rires
à l’alternance de nos doux soupirs.
À deux pas
de la goutte d’eau
personnellement ma foi
je suis plus près de la Vie
plus près de La Femme
tout près du Rêve
et de la distance
qui nous sépare encore.
À deux pas
du trépas
il prendra son chapeau noir
il le placera soigneusement
sur la tête de ses maux
et se couvrira de calme
il embrassera son espoir
se passera du temporel
et sourira une dernière fois
à la vie
à l’envi
d’être bien
bien dans sa peau
pour une dernière fois
pour la dernière fois.
L’homme
le solitaire
le voyageur
le passager
bras ouverts
serein
il s’en ira
vers ses souvenirs
n’emportant avec lui
que l’épure de ses douleurs
et le sketch de ses rires.
—Bobby Paul (2006)
Poèmes de Jean Saint-Vil
Et comme…
Et comme une ombrelle à fleurs
D’un mois d’août pluvieux,
J’ai ouvert les yeux
Pour capter ton regard.
Et comme les ailes d’un papillon
Egaré la nuit dans une masure,
J’ai ouvert les bras
Pour te prendre dans mes mains.
Et comme une paire de tenailles
Abandonnées sur un établi,
J’ai ouvert la bouche
Pour la poser sur tes lèvres.
Et comme un chef d’orchestre
Qui surveille les fausses notes,
J’ai ouvert les oreilles
Pour entendre tes soupirs.
Et comme la soufflerie d’une forge
D’un maréchal-ferrant,
J’ai ouvert mes narines
Pour renifler les creux de ton corps.
Et comme une femme
Pareille à toutes les femmes
Comme des triangles semblables,
Tu as ouvert ton corps
Pour m’emprisonner dans ton corps.
(le 7 juillet 2005)
Il n’y a plus de saisons
Honteuses, confuses
Les quatre saisons de la terre
Qui ne veulent plus dire leur nom,
Ayant perdu à leur insu les clés de leurs limites.
Pourtant, elles ne sont pas amnésiques,
Connaissant par cœur leurs réservations
Sur leurs billets aller-retour
Avec leurs dates d’arrivée et de départ
Sur la grande piste planétaire,
Où elles font la queue entre les balises
Pour atterrir ou décoller,
Les jours d’équinoxe et de solstice,
Ces souvenirs lointains et inoubliables
De leurs premières leçons de géographie.
Mais, je ne sache guère
Pourquoi elles se bousculent,
Débordant dans le désordre
Chaque fois sur leurs sœurs,
L’hiver bousculant le printemps en s’allongeant.
L’été reculant devant l’automne en se rétrécissant.
Et ainsi de suite
Dans le désordre croissant
Tout le long de l’année.
Tout le long des années.
Au fil de l’année.
Au fil des années.
Aussi, de par le monde
De plus en plus de gens
Disent-ils de plus en plus
Comme le refrain d’une chanson
Qu’il n’y a plus de saisons.
(25 juin 2005)
Le vent
Laisse filer le vent
Entre tes doigts
Et dans tes cheveux,
Qui sont trop légers
Pour lui barrer la route.
Le vent te caressera
De toute la douceur dorée
De sa fraîcheur
Jusqu’aux pores de la peau
Et balayera
Tes vêtements décolletés
Qui s’onduleront
En une nuée de plis
Et pourquoi pas
S’engouffrera
Dans une dépression tourbillonnaire
Qui ouvrira
Largement ta jupe
Comme un parasol
En plein midi.
Jouer avec tes sens
Regarder, à la lumière du soleil de midi, ta peau métallisée
Clignoter comme un phare à chacune de tes brasses
Sur le miroir fidèle et rutilant de la vaste surface lisse
De l’eau tiède et très claire de l’océan tranquille.
Entendre l’écho assourdissant qui bourdonne à mes oreilles
La galaxie de tes plaintes sans fin qui voltigent sans fin
Dans les sautes périlleuses de la manie dépressive
Qui, peu à peu, ronge les mailles du tissu fragile de ton âme.
Dire dans l’euphorie et à profusion,
A chaque occasion et en toute circonstance
Tes mots doux préférés pour t’émoustiller et te faire rêver
Comme dans d’épais nuages de champagne.
Toucher quand l’envie me prend
La grande pelouse noire de ton corps ô combien velouté
Sous ta jupe à taille basse quand elle s’envole comme une libellule
Au contact agréable des coussinets moelleux des dix doigts de mes mains.
Sentir nuit et jour et à grande distance
Comme un animal fouineur de la savane sahélienne
Les fragrances soutenues de tes parfums capiteux, qui embaument,
Jusqu’à l’enivrement, le filtre à haute fidélité de mon odorat.
Jouir enfin jusqu’à l’apnée, aux cris et aux déchirements,
De la cité-jardin fleurie de tes sens aiguisés, quand elle explose
Dans le souffle impétueux des bourrasques incontrôlées
Qui s’élèvent en tourbillonnant des cellules soufrées de ma chair.
(13 juillet 2005)
La merengue
Une merengue dans une soirée.
Ça chauffe.
La salle s’enflamme si vite.
Si vite, tout le monde s’invite.
Si vite, tout le monde sur la piste.
Si vite, tout le monde dans la danse.
Si vite, tout le monde en transe.
Les uns face à face.
Les autres en solo,
Dans des pas magiques
Comme des tours de passe-passe
À vous couper le souffle.
Et la musique qui roule, qui enroule et qui déroule
Dans un rythme endiablé
Comme l’eau coiffée d’écume
Qui tombe impétueusement d’une cascade.
Et les saccades en chaîne
Des hanches, des mains, des têtes qui essoufflent,
Qui essoufflent si fort,
Si fort, tout le monde dégouline de tous ses pores
Jusqu’à la dernière note.
(9 juillet 2005)
Notes
Couche au pied levé sur ce fin parchemin
Le résumé en zigzag de l’histoire de ta vie,
En farfouillant les notes en accordéon
De tes journaux intimes.
Pense d’abord au temps
Où tu étais passionné de musique,
Ta cervelle bourrée
De notes,
De figures de notes,
De silences,
Que sais-je encore!
De notes courtes
Comme l’histoire de la vie de mort-nés;
De notes longues
Comme l’histoire de la vie de centenaires.
Des notes pures
Sans dièse ni bémol.
Des notes
Qui t’ont fait longtemps naviguer à tribord et à bâbord
Sur les horizons lointains et inoubliables
Des événements qui ont marqué
Les arpèges de l’histoire de ta vie.
Des notes bruyantes que l’on entend
Des kilomètres à la ronde.
Des notes
Qui tantôt hèlent comme des sentinelles.
Qui tantôt bêlent comme des agnelles.
Des notes
Qui se fêlent comme de la vaisselle.
Des notes
Qui se pèlent à la pelle comme des prunelles rebelles.
Des notes
Qui souffrent comme moi.
Des notes
Qui souffrent comme mon pays.
Des notes
Qui soupireront comme des élégies
Jusqu’à mon dernier soupir.
(4 juillet 2005)
Promenade à Cazalle
Slalomer un dimanche,
Dans la dorure du soleil du matin,
Le long des sentiers glissants,
Sillonnant le paysage éblouissant
Qui mène au sommet de la montagne
Surplombant le village de Cazalle.
Randonnée de rêve
Dans la saison providentielle
Des pluies, des fruits, des fleurs,
De l’eau et des plantes.
Audition de rêve
De la symphonie pastorale
Des piaillements à l’infini des oiseaux
Qui s’allient au murmure crêpé
Des feuillages dans la brise de montagne
Et aux bruits parasites
Des rapides sur les pointes rocheuses
Affleurant à la surface de l’eau de la rivière.
La ville est bien loin
Avec ses bidonvilles agités.
La misère omniprésente
Dans ce coin surpeuplé
Avec sa population dispersée.
Seule la nature,
De plus en plus parcimonieuse,
Invite encore à l’optimisme
Dans la beauté du regard éperdu
De ses vallées verdoyantes,
Semblables en tout point
Aux allées du paradis terrestre.
Dans la beauté du regard éperdu
De ses arbres clairsemés
Comme des petits yeux verts
Perdus dans le lointain.
Dans la beauté du regard éperdu
Des eaux bleues du bassin,
Où les randonneurs, rendus,
Au retour du piémont,
S’arrêtent en piaffant de bonheur
Pour le rite collectif
De la grande baignade du dimanche.
—Jean Saint-Vil (17 juillet 2005)
Poèmes de Mlikadols Mentor (alias Nadol)
(Non-titré)
Lien de feu qui nous unit
Qui nous consume
Notre amitié a le goût d’étoiles
Brillant dans le ciel
De nous deux
Regards convergents
Complices
De ciel et de terre
Dans un point de l’horizon
Hors-œil
Source rougie de sang
Coulant
Dans un faux lit
Ma mer amicale
Incertaine
Rage amicale
Passion fatale
Dans une colère appétissante
D’amitié
Qui bouillonne
De cet écrit
Je la courtise souvent
Cette route
Hier mon dessein
Et mon destin aujourd’hui
La prend d’assaut
Ravage sa matrice de graviers
Sa peau de béton armé
Elle m’a bien souri cette route
Pour me jeter de l’autre coté
De la déception
En marée de mer
Me précipitant
En vague de désillusions
Je l’appelle aussi femme
Cette allée que j’épouse
En quête de folie
Ombre projecteur de lumière
Je lui ai pris mille fois sa main
Et volé son sourire
Reflet d’espoir abandonné
Plein d’espoir
Comme je l’ai abandonné
Pour goûter à la vie
……………………………………
J’habite cette maison
Qui porte son sexe sur son toit
Comme la voleuse de l’orgasme
Des rituels du cache bonheur
Et je suis mis à la porte
De mon propre chez moi
J’ai bu mon propre sucre
Un beau matin d’éternité
Et je me cherche depuis ton sexe
Telle l’érosion post-bonheur
Et j’ai toujours soif
De mon propre salive
Je reviens de ce voyage
Où je me suis connu étranger
Pour avoir bu mon sang
Après ce repas anti-bonheur
Et je me perds dans le vide
Pour avoir osé me chercher
—Mlikadols Mentor
Poèmes de Tontongi
La Chanson de Cédié: Les grand méprisés
I. Marasa dans l’Enfer et l’Espoir
Il descendait la colline vieux comme son père
Qu’il était le pauvre Cédié de Jacmel
Ce jour-là comme les autres jours qu’il vivra
Seule la mer semblait vraie et la vie s’absentait
Comme les autres jours qu’il vivra.
On l’assimilait au bon Dieu on l’aimait
Et il aurait été digne de la place céleste
Si son âme n’était déjà damnée par la misère terrestre
Mais on l’aimait au village et il n’en demandait mieux
Konpè Cédié vaillant garçon du Sud.
Il descendait la colline quand je l’ai rencontré
J’étais comme apeuré pensant au vieux baka
Le baka redoutable plutôt cirque du village
Cédié m’a dit konpè, konpè c’est une guêpière
La nuit tombait déjà nuit noire de l’île noire.
Il est de ce destin leur destin notre destin
Qui se rampe sur le ventre loin du long festin
Comme ces lampes tête-bambêche de nos chrétiens vivants
Qui ne finissent jamais de s’éteindre de s’éteindre
Nous Laisserions-nous mourir ou crierons-nous Assez!
Assez! Assez de zombies, zombies en agonie
Cédié a dû crier pour s’échapper de la mort
Dont il sait imminente ce Divinor qu’il est
Mais au fond il sait bien qu’au contraire du trépas naturel
Celui-là plus absurde n’est le vœu de ses dieux.
Marasa dans l’Enfer ils le sont dans l’espoir
De sauter la baraque étouffoir des hommes libres
Baraque des hommes qui pleurent et d’autres qui piaffent
Des femmes qui meurent et d’autres qui se la coulent douce
l’Haïti perle chérie l’Haïti kokobée
Non, une poignée d’arbres astucieux ou chanceux
Ne doit pas régner sur la forêt immense!
(janvier 1984, publié pour la première fois dans Revue Nouvelle-Stratégie)
2. Feu-Résurrection
Il y avait là-haut un grand étang de feu
Départageant les hommes de la terre immolée
En face, au-delà de la vie carcérale
Une poignée d’âmes rebelles, grands coucous incendiaires
S’en vont pour conquérir l’étang de feu mortel.
Comme nous faisions jadis, en d’autres temps terribles
Pour chasser de nos corps le virus oppressif
Oiseaux de mille bonheurs, de la vie partagée
Nous voulions voir la terre un immense nid d’amour
Oh! Que furent bons les temps d’idéalisme lutteur!
Mars n’est pas plus important qu’un coin de Port-au-Prince
Où la vie de Cédié vaut moins bien qu’un beau chien
On dirait de nous tous, saltimbanques de l’Histoire
Une grande classe d’élèves sourds jusqu’à la peur
À l’appel de bâtir la cité créatrice.
Dis, toi l’enfant de la terre méritée
Boat-people des rivages trempés de la détresse
Des hommes enchaînés et des femmes asservies
Que d’océans immenses, de temps libérés
Tu pourras faire fleurir au jardin arrosé!
Merde que de s’entendre sur la nature des anges
Si la divinité s’attarde à l’étang traverser
Comme le Christ jadis saluant la lutte des classes
Pour poser l’amour le pain la liberté
Comme l’horizon premier des temps indéfinis.
Oh! Que de mondes merveilleux, de champs embellis
Nous pouvons faire jaillir des ténèbres macabres
Tout en rêvant de l’oiseau, voyageur de la clarté!
(1984, publié pour la première fois dans Revue Nouvelle-Stratégie)
3. Auschwitz insulaire
Il avait une amie dans cette tragédie
qui lui chantait la sueur de l’île dépérie
cette Auschwitz insulaire éjaculée d’une mer
Cédié a protesté quand son ami furieux
a craché sur la mer leur immense complice.
Manno était des villes et n’était pas bòkò
Cédié était des champs—maudit à sa façon!
Devant la terre malade et l’agonie des siens
une Danmbala de moins n’enterrera guère la foi
la foi la rage l’espoir, mes frères—en jeu.
Manno était des villes Cédié était des champs
quand celui-ci charriait loin d’El Rancho en fête
sur sa tête spoliée les herbes humiliantes
ce Revenant de Manno loin de Saint-Louis de Gonzague
fustigeait calmement le mensonge centenaire.
4. C’était hier
C’était hier
et nous étions déjà vieux
le printemps la vie la jeunesse
tout nous fut volé ô Haïti chérie!
île enchanteresse! île cimetière!
Comme un bagnard innocent
nous nous sentions bernés
nous nous sentions de trop.
C’était hier
et nous n’étions pas de l’espèce enfordimanchée;
non nous étions cultivés
nous étions dorlotés
on nous jetait la palme de l’esprit civique:
Fait-on jamais endimancher son zombie national?
Oh non! Nous étions la peur et l’angoisse
la malade qui se meurt gentiment.
Puis un beau jour Manno
Manno s’emparait d’une guitare
et a inventé une révolte en chanson
chanson sans joie et sans douceur
chanson de veillée funèbre
de la tombe fermée
chanson qui pleure et qui gémit
cri de l’oiseau qui veut voler
de l’homme qui veut du pain
de la femme méprisée
une révolte en chanson.
C’était hier
dans les nuits ternes mais étoilées
sous le vent méprisé de Port-au-Prince
que Grand Négresse m’appelait
quand l’aube se mariait à la nébuleuse
et ils s’étreignaient et accouraient
pour me caresser
et pour me caresser.
C’était hier
sous le vent sans honte de mon île
que Grande Négresse m’aimait
contre la folie prétentieuse de hautains frustrés
donc je la repoussais
sans la caresser
et sans la caresser.
C’était hier
dans la tragédie de l’île dépérie
que Manno chantait Grann’O
en crachant sur la mer
il a du la trouver inutile
et nous avions tous applaudi
non sans nous dire secrètement
Ô la mer cajoleuse! Notre seule richesse!
(1979)
Poème d’Emmanuel Védrine
Elle de dos
Elle de dos
Ça, c’est mon cadeau
Sous prétexte qu’elle est prise ces jours-ci,
Pas même un allo pour dire bonjour chéri
Tandis qu’elle a toujours ce grand sourire au visage
Quand elle lit mes messages
Quelques mots pour rigoler ou pour déstresser
Cette Créole qui, je veux le croire, rêve de me toucher
Partout où elle désirerait:
Dans des lieux secrets
Là où l’on entend la symphonie des oiseaux
Au fond de la forêt où murmurent les eaux
À la plage, tout en jouant sur le sable
Derrière les arbres géants au fond des champs
Imagination d’un souhait
Mélange d’un rêve mouillé
Parole douce
Parole de rêve
Parole en pile
—Emmanuel W. Védrine
(extrait de la collection: «Pages d’amour»)
Poèmes d’Üzeyir Lokman Çayci
La révolte
Les chansons me donnent le vertige
Mes nuits contiennent une révolte…
J’ai le vertige
À force de penser aux gens amis
Qui font obstacle devant mes portes d’espoir…
Sans la révolte de mon cœur
Le bleu du ciel
Les soubresauts de la mer
M’emmènent là-bas
Impitoyablement
Les soupirs ne savent pas
La révolte
De mes chansons secrètes.
Qu’ils n’oublient pas pourtant
Qu’ils ne pourront pas m’arracher à toi
Qu’ils ne pourront pas t’emporter loin
Car cette révolte
N’arrête pas de croître
Qu’ils n’oublient pas.
N’oublie pas
Même si je t’ai perdue
De ces miroirs-là
C’est encore toi qui seras
Devant mes yeux
Je ne pourrai peut-être pas
Tenir tes mains
Je ne pourrai peut-être pas
Couvrir ta nudité
Avec des tulles blancs
Tu seras dénoncée par ces soirs-là
N’oublie pas
Là où tu verras
Un arrêt semblable à celui-là
S’en va du devant des vitrines
Lis mon nom dans les reflets de lumière
N’oublie pas
Tu seras dénoncée par ces soirs-là
N’oublie pas
Ami, tu n’es pas coupable
Ami, tu n’es pas coupable
Les coupables sont les soirs
Qui te traînent dans cette obscurité
Ne te chagrine pas
Les souffrances des jours perdus
Passent vite.
Tes yeux ont appris à aimer
De toute façon
Apprendre aussi à oublier
Toutes les souffrances
Oublie ces yeux qui t’ont conduit
Dans les guinguettes
Ne crois pas à la culpabilité
De tes regards moins perçants
Qu’autrefois
Parce que tu n’es pas coupable, ami
Les coupables sont les espoirs
Qui te laissent dans l’ombre.
À quoi bon de t’énerver
Même s’ils ne comprennent pas
Les poèmes oubliés
Dans tes yeux hagards ?
Tu es seul dans un au-delà inconnu
Tes yeux sont aussi tout seuls
Tu n’es pas coupable, ami
(Istanbul, le 20 février1975)
-Üzeyir Lokman Çayci
(Ankara, le 6 juin1979)
(tous les poèmes sont traduits du turc par Yakup Yurt)
Poèmes d’Edner Saint-Amour
(Poésie sur la mort)
L’humanité
L’humanité est une création naturelle
dont le mouvement reste éternel
dont l’espace dans le vide comblé
reste une œuvre d’art de toute beauté
Le temps s’écoule dans la continuité
dont la série exprime l’éternité
l’espace est un concours de beauté
où les saisons en assurent la nouveauté
Au rythme de la musique naturelle
l’homme apporte sa note artificielle
qui se veut une construction humaine
dans laquelle se reconnaît un phénomène
Génial l’Homme est un être d’invention
qui apporte nouveauté dans la création
Le travail perpétuel des humains
en est un témoignage quotidien
L’homme y compris le travail achevé
est d’un présent qui exige le passé
dont le jeu forme la trame de l’histoire
par le contenu qui reste dans la mémoire
Hélas! dans le mouvement cyclique du temps
l’œuvre humaine se fait toujours sédiment
Et, l’homme reste un morceau d’accident
qui périt toujours dans le temps.
Néant
Je vois que tu es vraiment grand
Aussi grand que le firmament
car ton âme est bourrée d’orgueil
depuis la pensée jusqu’à l’orteil
Sur une montagne de prestige
dont l’assise n’est que néant
Tu voltiges malgré le vertige
qui traverse tout en fumant
Explorateur du néant, du vide
combien ton âme est intrépide
Tu te baignes dans d’affreux risques
Ignorant tout, raison et son verdict
Dans le royaume de l’illusion
tu règnes en véritable champion
Mémoire gardera ton âme argile
comme reine des pentes fragiles
Que nul homme doué de raison
n’osera en explorer les horizons ;
nul n’osera se gonfler autant
d’un rien qui mène au néant
(Juillet 2000)
Morceau d’accident
L’homme est une poussière d’espace
qui voyage dans la barque du temps
sur lequel il laisse parfois ses traces
s’il accomplit des œuvres de titan.
Oui! Il accomplit des œuvres grandioses
Oui! il réalise tant de belles choses.
Mais tout doit sombrer dans la ruine
car vers la mort tout s’achemine.
Dans le mouvement cyclique du temps
l’œuvre humaine se fait sédiment
dont le contenu reste dans la mémoire
qui consacre à l’humanité une page d’histoire.
L’homme est un morceau d’accident
qui périt toujours dans le temps,
mais entrevoit la lumière de l’éternité
à travers l’histoire qu’il a lui-même tracée.
La vie humaine est un point de l’éternité
qui rappelle le bref voyage de la destinée.
On y vient par le chemin du berceau
on y sort par le chemin du tombeau.
Le poète quelque fou qu’il soit
ne se soumet point à cette loi
il boit une bouteille de Sagace
il renverse tout, le temps et l’espace.
Il chambarde, renverse tout à sa guise
car l’éternité obéit à ses vœux et caprices,
le poète ne connaît point de convention,
car il est un homme de révolution.
Le poète ne connaît pour soumission
que le cours de son imagination
L’homme fait de sales boulots pour être héros
mais le poète ne mise que sur le choix de ses mots.
Au poète, toute l’humanité
au poète appartient l’éternité
Il n’est pas un être de convention
il est un être de révolution.
(25 mars 2005)
Imperfection
Ô usure
tout qui dure
Ô maladie
tout qui vit
Ô entropie
qui vit périt
Ô accident
erreur dans le temps
Ô mort
suprême sort
J’en passe, j’en passe
Temps me fait la chasse
Le venin
L’un dit quand on vous attaque dans la salle
Réveillez toujours en vous l’animal
L’autre dit nous ne sommes pas un serpent
invulnérable au propre venin qu’il répand.
Rancunes, remords, chagrins, colères
agitent nos émotions sur la négative note
qui affaiblissent notre système immunitaire
champ libre aux bactérie, virus, microbe
À tous ceux qui vont au gré de ces émotions
au point de ne vouloir entendre aucune raison
je vous souhaite tous bonne chance
dans la maladie à travers ses conséquences
Quant à moi je dois m’apprendre à laisser aller
afin de mieux protéger ma précieuse santé
Ma vie, si précieuse, je veux la placer
là où elle sera hors de tout danger.
Je sais bien là où je vais
pour que ce venin à ma santé n’ait pas d’accès
Je construirai, une forteresse, une citadelle
où ma vie sera longue et pleine d’étincelles
Ô Dieu, donne-moi ce don de la sagesse
pour protéger ma vie de la détresse
que rancunes, remords, colères et chagrins
procurent aux cœurs de tous les êtres humains.
(premier janvier 2006)
La mort # 1
L’Homme est un être mortel
assure la note naturelle
assure la note de l’accident
dans l’espace et dans le temps.
La mort de l’être par défaut
l’homme sombre dans la paresse.
Faute de carence en détresse
l’homme se meurt de maux.
La mort de l’être par excès
on crève de boulot comme d’abcès
L’homme touche aux confins de l’énergie
descente vers l’agonie.
Les deux côtés de la médaille
amène au même détail,
un monde en pleine détresse
de dépression et de stress.
En ce qui nous rend moderne
voici le nouveau pattern
un monde en pleine détresse
de dépression et de stress
(24 juin 2005)
La mort # 2
La vie humaine n’est qu’un voyage
Et la mort qu’un point d’atterrissage
Où tous les hommes doivent finir
Quel que soit le chemin à parcourir
Le temps vient et s’en va
Toujours vers l’au-delà.
Et l’homme vient ici-bas
Pour sombrer dans le trépas.
Rien ne peut arrêter
La fuite de sa destinée.
Le temps passe, le temps coule
l’homme y vient et s’écroule
L’homme reste de passage
Quel que soit son langage
Aujourd’hui le galas
Et demain le trépas
Saint, mendiant ou roi
La mort est seul endroit
Où l’homme jouit d’égalité
Qu’il a su toujours rechercher
(Octobre 2006)
La mort # 3
Nous apprenons la leçon naturelle
Que tous les hommes sont mortels
Depuis l’un à qui on est lié par l’amitié
Jusqu’à l’autre qui nous inspire de l’hostilité.
La mort reste un douloureux événement
Un mystère faisant des hommes des ignorants.
Quand la mort passe et s’empare de l’âme humaine
Ils ne sont conscients de leur joie ni de leur peine.
Oui! Quand l’âme humaine est ensevelie
Ils savent seulement qu’elle clôt la vie
Ils pleurent aux âmes toutes déchaînées
Tous ceux dont la mort s’est emparée :
Héros, proches, êtres aimés
Tous ceux qu’on a tant admirés.
La mort tourmente notre âme fatale
Et transforme la vie en sort inéluctable.
Quel est notre devenir après la mort ?
Détenons nous la clé du royaume des morts ?
Serons-nous toujours poussière au cimetière ?
Notre esprit reste encore étranger à ce mystère!
Mythologies, religions, rituels et consort
Autant de façons de conjurer la mort.
Enfin à travers la question de la vie éternelle
se pose celle du sens de la vie des êtres mortels.
Cri des morts
Au tombeau où tout le monde dort
au mutisme du lugubre sort
Las! j’ai entendu crier les morts :
notre sort muet n’a point de port
à jamais il poursuit son transport.
Là où l’on s’écroule de maux
au mutisme froid du tombeau
las! j’ai entendu crier les morts :
Notre sort muet n’a point de port
à jamais il poursuit son transport.
Au silence tout muet de la tombe
où bien des âmes et cœurs tombent
Las! j’ai entendu crier les morts :
notre sort muet n’a point de port
à jamais il poursuit son transport
(7 août 2002)
Message
Quel que soit le degré de prestige
les morts n’ont laissé que des vestiges
qui nous parlent du temps
où ils étaient vivants.
Abord de la barque du trépas
toujours l’homme s’en va dans l’au-delà
où tout témoigne d’une seule chose
la vie a cessé d’avoir une cause.
Tout a cessé en un seul jour
depuis la haine jusqu’aux amours
Tout disparaît au jour du trépas
tout plaisir qu’inspire un gala.
Une fois perdu dans l’au-delà
et la bouche close à cent cadenas,
de tous nos sens s’éloigne la barque
en ne nous envoyant aucun feedback.
Pourtant dans leur éternel passage
le silence des morts laisse un message :
la mort à tout âge n’a point de port
à jamais elle poursuit son transport.
(Août 2002)
Lomeye Fanm
Saveur de menthe
On était donc en vacances
L’école mit fin à sa cadence
C’était comme mille ans de fête
Je parcourais la Ville à bicyclette
Arrive l’âge de l’adolescence
Sur la course de l’existence
Arrive l’âge de folie de jeunesse
Où le cœur est assoiffé de tendresse.
J’ai vu tout mon cœur toute mon âme
Converger les lèvres fardées de la femme
À la recherche d’un rayon de sourire
Pour orner mes jours de plaisirs
Oui! avant même dix-sept ans
À peine que je fus adolescent
J’avais déjà la saveur de menthe
Qui recèle la lèvre d’une amante.
(Octobre 2006)
—Edner Sait-Amour
Poème de Charlot Lucien
Marie-Jeanne Lamartinière à la Crête-à-Pierrot
(version abrégée, juin 2006)
24 Mars mille huit cent deux,
Quelque mille deux cent noirs miséreux
Sont encerclés à l’intérieur du fort de la Crête-à-Pierrot,
Par 12 000 vétérans des guerres de l’Égypte, du Rhin et de Waterloo.
Dessalines avait rugi: «Nous serons attaqués ce matin»
«Je ne veux garder que des braves sous la main.
Que ceux qui veulent devenir esclaves sortent maintenant.
Que ceux qui veulent mourir en hommes vaillants,
Pour la liberté, se rangent autour de moi.»
Ils avaient tous répondu d’une seule voix,
«LIBERTÉ, LIBERTÉ OU LA MORT!»
«Je vous fais tous sauter si les français rentrent dans ce fort!»
La bataille faisait rage; l’ennemi, assiégeant en vain
Vit sur les remparts, une femme, fusil en main
Sabre à la hanche, courir de soldat en soldat, passant,
De l’eau, des balles, de la poudre, en hurlant:
«Quel serment avez vous fait? Répondez!»
«NOUS MOURRONS TOUS POUR LA LIBERTÉ!»
Les Noirs dans une manœuvre téméraire
Sortaient du fort à découvert
Semblant rire de l’adversaire et de la mort
Et repartaient soudainement vers le fort
Entraînant à leur suite, les boulets, les balles
Et l’ennemi furieux qui tombait sous la mitraille
Mais le siège dura des jours et des nuits, sans pitié
Décimant les forces des deux côtés des remparts calcinés.
Les assiégés mangèrent de l’herbe, de la poudre et du cheval mort;
On but les dernières réserves, dans l’attente des renforts.
Voici, la femme s’approcha: «Général, permettez,
Oui, nous mourrons tous pour la Liberté,
Mais est-il écrit que nous mourrons comme des rats piégés,
Comme nos ancêtres au fond des bateaux négriers?»
Le général regarda Marie-Jeanne, ses cheveux en bataille,
Et aima son impudence au milieu de la mitraille.
«Femme, dit-il, où est ton époux?»
Couvert de sang, de sueur et de boue,
L’époux surgit, tremblant et inquiet—
Face à Dessalines on tremblait.
«Lamartinière!—Oui général! Je sors du fort,
Vous chercher des renforts.
Je vous envoie un signal si je n’en trouve point.
Prends alors les tiens,
Du courage et ta femme, fonds sur l’ennemi
Et franchis-toi une sortie.
Les renforts ne devaient point arriver,
Mais le signal, la bague de Dessalines, fut envoyée.
Déjà Marie Jeanne était à la lourde barrière
Qu’elle ouvrit d’un geste grandiose et circulaire.
Dehors les attendaient l’ennemi, la Liberté ET la Mort.
Lamartinière, alors, jaillit du fort,
Et à la tête de quelques 800 ombres,
Fondit sur l’adversaire dans le pénombre.
Une voix de femme que l’on entendit rugir dans la nuit,
Fouetta les blessés, releva les bras affaiblis
Et réveilla même dit-on ceux là qui s’étaient crus morts:
C’était la voix de Marie-Jeanne, elle aussi sortie du fort.
On vit dans la nuit l’éclair des armes brandies
On vit briller dans l’air le sang vermeille jailli
L’on entendit le cliquetis des sabres
Couinant contre les sabres
Ou le bruit sourd des corps tombant dans le noir,
Sans pouvoir déterminer où penchait la victoire.
Quand les ombres se dissipèrent aux premières lueurs
L’œil des canons et l’œil de l’envahisseur,
Braqués sur les remparts avec une terreur indicible,
Cherchèrent en vain les profils noirs de leurs cibles.
Quand ils se baissèrent sur le sol dévasté
À la vue de leurs généraux ensanglantés,
Debelle, Bonnet et Leclerc lui-même,
À la vue des cadavres jonchant la plaine,
Imbibée de sang bleu, rouge, blanc et noir,
Ils réalisèrent alors avec désespoir
Que la Crête-à-Pierrot désertée,
N’avait plus rien à livrer:
Sans doute quelques centaines de cadavres
Mais point de futurs esclaves…
—Charlot Lucien juillet 2005 (Références historiques sur les chiffres et dates avancés:
—Mémoires de Saint Domingue, par Thomas Madiou; Les Jacobins noirs, par CRL James, sur les techniques de guérillas des Noirs; Written in Blood by Robert, Nancy and Michael Heinl; This Guilded African, by Wenda Parkinson; The Stone That the Builder Refused, Madison Smartt Bell (Novel); et Max Manigat)
Poèmes de Jean André Constant
(Non-titré)
je suis entré dans la vie
une bougie en main
mais sans intention aucune
de remplacer la lumière du jour
mais chaque jour
comme par formalité
la lumière du jour
bat en croissante retraite
je me mets en alerte
je m’enferme alors
dans le cercle de la bougie
et de son peu de lumière
en attente d’un éclair
promis par les yeux d’une femme
(ne pensez pas à ma maman)
puis mes yeux s’enferment
dans les yeux de la femme
qui devient un vieux songe
dans la nuque des ténèbres
ce songe ronge mes jours
et quand je fais l’inventaire
de ses tours et détours
autour de ma bougie
je crache de rage
mais la rage s’attaque à la bougie
qui en retour devenant plus vive
arrache au songe ses rayons
comme un cycle d’amour
alors bougie en main
je m’en prends aux ténèbres
tout en craignant de créer de l’ombre
dans le sillon des songes
tout en craignant de tuer les songes
dans l’aire glacée des ténèbres
rien que pour remplacer la lumière
…absence du jour…
(Janvier, 2007)
Un profile de l’un des trois tritons de la Fontaine des Mers. Derrière lui est une Néréide. —photo par David Henry
À Farah Kerbie Dessources
et si ce n’était que le début de l’aventure
quand la violence prend de l’air
emportant le sel de la mer
la peur sans hésitation casse les regards
et l’obscurité se rue sur les débuts et la fin
l’obscurité se rue sur la calvitie des rues
et si ces rues portaient encore
une robe de fierté
un brin de vie
mais déjà la vie bat de l’aile
on a déjà commencé à dénombrer
les vies en perte de fierté
les os des enfants d’une terre perdue
on a déjà ouvert chaque fibre
de ces blessures trop peuplées
incandescentes
le calme était déjà trop loin
pour s’en souvenir
tout autour de nous des souvenirs:
des déportés de la lune
des observateurs aveugles
des citoyens de pacotille
des mitraillettes d’enfants bandés
la faim tremblant encore sur leurs lèvres
leur avenir verdâtre brillant
à travers leur cercueil improvisé
un beau canevas plus beau que le tableau
pourquoi emporte-t-on cette jeunesse
dans la buée des dernières lueurs de fierté?
au moins ils ont vécu et combattu en toute fierté
pour une prophétie éternelle
—disent les plus cyniques
Farah es-tu la dernière victime?
mère de son parler saignant
alors qu’écoutaient d’autres jeunes cadavres
dans les parages
relâcha le front de la fille et lui dit
« regarde plus près
et tu verras encore
les traces de la sève douce
venant de tes rêves amoureux »
mais Farah retint son souffle
ses yeux fixant obscurément ses orteils
écoute ma fille
ta dignité de femme n’était pas un échec
tant que la lumière des colères
(peu importe sa portée)
dans le brouhaha des bavures
dénude mais jamais ne trahit