—par Kathleen Gyssels
Edwidge Danticat et Kathleen Gyssels (à gauche), à Port of Spain, Trinidad, au campus de University of the West Indies, lors du colloque «The Haitian Bicentenary Conference (1804–2004): Reinterpreting the Haitian Revolution.
«Vous savez, aux Antilles, nous nous fichons de votre circonflexe.» (Maryse Condé, citée dans Howard Bloch dans Maryse Condé, Une nomade inconvenante, Cottenet-Hage & Moudileno, 2002, page 182).
“Increasingly, the credibility of Francophonie as a counter-force, and particularly as counter-discourse, to globalizing American power has resided in its capacity to reinvent itself not simply as an alternative world language and culture that is universal in scope, nor even as the defender of the Francophone cultural pluralism against homogenizing mass American culture and the domination of the English language, but through the championing of multilingualism. In this scenario, the French language has acquired a less essentialist and more instrumental [image]…”
—Margaret Majumdar, “The Francophone World Moves into the Twenty-First Century”, in Francophone Post-Colonial Cultures, ed. Kamal Salhi, Lanham/London: Lexington Books, 2003, pages 1–13.
Couteau à deux lames
La francophonie en Amérique aujourd’hui, démontre fort justement Molly Lynch[i], est sujette à une pensée mythologisante. Comme ailleurs dans les ex-colonies françaises, notamment en Afrique, elle va mal non seulement à cause de la globalisation galopante qui déferle avec, dans son sillage, l’anglomanie, mais aussi parce qu’il y a, à côté, d’autres langues mondiales qui gagnent du terrain, notamment l’espagnol. Les pays francophones africains ont beau accueillir les Sommets de la francophonie, certains s’y opposent robustement (le très regretté Mongo Béti, notamment), car ils y voient une pure opération de charme qui ne bénéficie qu’au «premier monde» francophone, c’est-à-dire aux pays européens et surtout à la France. Il s’agirait d’une ingérence en douce de l’État français, par le biais de sa noble institution culturelle et linguistique, à l’heure où le Cameroun, la Côte d’Ivoire, et d’autres voisins, seraient davantage aidés par des subventions matérielles et économiques, comme l’a démontré Ambroise Kom dans La malédiction francophone.
Quant à la francophonie caribéenne, instituée à travers ses antennes et ses ambassades, ses associations et ses «maisons de la culture française» (un peu ce que le British Council fait dans les pays non anglophones), Haïti a une charge particulière, un rôle important à jouer dans la région caribéenne vu la proximité avec Uncle Tom, puisqu’il s’agit du seul État indépendant francophone à l’intérieur de la francophonie antillaise (Louder et al. Cité, par Lynch 2000: 5 note 3). Indépendante depuis 1804, Haïti s’est distinguée de ses voisins, surtout des États-Unis, la superpuissance économique dont les intentions annexionnistes ne furent ignorées d’aucune Antille. Clamant et brandissant haut et fort sa francophonie, la nation haïtienne voulait par la francophonie faire contre-poids. Or, en même temps, cette barrière linguistique l’isolait de «partenaires» solidaires, tels que les Africains-Américains qui, ensemble avec C.L.R. James (The Black Jacobins), regardaient Haïti comme l’exemple d’une communauté esclave qui s’était auto-affranchie. Les pionniers de la littérature africaine-américaine, de W.E.B. Dubois à Frederick Douglass, les spokesmen de la Harlem Renaissance, comme Langston Hughes, tous ambassadeurs américains en visite en Haïti, étaient fascinés par ce pays libéré d’où ils furent séparés par le français et le créole. Ils constataient également que l’élite de couleur et l’intelligentsia de la nation, les «literati», prônaient l’esprit français, le génie français, bref, la culture française (au grand dépens aussi, il faut le dire, de la culture et langue afro-créoles).
Ce couteau à deux lames (la plus ancienne francophonie au Nouveau Monde/la plus isolée), ensemble avec la Révolution Haïtienne et ses héros, a renforcé, dans l’esprit de la population, «le culte d’exceptionnalisme» (Asselin 2002).
Un tournant radical s’opère avec des auteurs comme Edwidge Danticat, d’un côté, et Dany Laferrière de l’autre qui, de sa voix insolente et avec son humour caustique, prétend (et croit sérieusement) qu’il est «un écrivain américain». L’antagonisme quasi-total entre ces deux auteurs de la jeune génération diasporique (point de vue, thèmes, ton, style, etc.) mériterait une étude constrastive détaillée, et se profile jusque dans leurs choix respectifs de langue de publication. Or, il ne s’agit pas d’un choix délibéré puisque pour Danticat, grandie à Brooklyn, il est normal que l’anglais soit devenu sa langue d’écriture, s’exprimant dès l’adolescence en anglais avec ses pairs. Quant à Laferrière, l’enjeu linguistique est balayé par une de ses nombreuses boutades, à savoir qu’il écrirait ses textes anglais directement en français, masquant de manière rusée un monolinguisme2.
Dans cet article, je m’interrogerai sur la francophonie dérivée dans l’écriture danticatienne. Sur ce que représente, pour une Haïtienne de la seconde génération, établie aux États-Unis, la vieille appartenance de son pays d’origine à la francophonie. Dans ce Nouveau Monde où les francophonies sont minoritaires, des phénomènes d’exception, j’aimerais mesurer ce qui en est exactement deux siècles après cette revendication altière d’être la plus ancienne francophonie au Nouveau Monde. Que constate-t-on aujourd’hui? Cette littérature diasporique n’a plus du tout le monopole de se manifester en français uniquement, l’anglais devient la langue d’écriture d’un nombre croissant d’auteurs haïtiens de la diaspora.
Poétique marasa
Dans l’œuvre mystérieuse et fascinante d’Edwidge Danticat, l’essentiel de son imaginaire et de son idéologie se love souvent dans des détails et des allusions apparemment furtifs et insignifiants. Dans cette écriture qui semble venir d’une voix éthérée, d’une voix spirituelle où les loas, divinités vaudou, se manifestent au quotidien, dans cette exploration de ce que signifie le déracinement pour des générations d’Haïtiens tiraillés entre New York et Haïti, Danticat nous met en garde sur les fausses apparences, sur le côté double des choses, sur les deux faces de la médaille (vivre aux États-Unis en tant qu’Haïtien). Cette dualité s’explique par sa condition existentielle qui lorsqu’on devrait la décrire, accumule les «oxymorons» tels que exilée ré-enracinée, auteure réaliste-merveilleuse, nouvelliste francophone des Amériques, etc.
Née en Haïti et immigrée aux États-Unis à l’âge de douze ans, Danticat est également Haïtienne et Américaine de langue et de sensibilité; elle fait partie d’une génération diasporique qui façonnera la littérature haïtienne du 21ième siècle. Son œuvre n’a de cesse de jumeler l’ici et l’ailleurs, le passé et le présent, le parent et l’enfant dans le genre bref, la nouvelle, qu’elle maîtrise tellement bien que sa collection Krik? Krak! (1995), comme sa dernière publication en date, The Dew Breaker (2004) sont couronnés par plus d’un jury littéraire, le dernier pour sa «outstanding collection of short stories». Non seulement The Dew Breaker est perçu comme une collection de nouvelles, bien que toutes soient liées dans une stratégie narrative que les meilleurs auteurs postcoloniaux (Caryl Phillips dans Crossing the River, ou Dionne Brand dans At the Full and Change of the Moon) ont pratiquée, mais la consécration vient du monde américanophone (voir le «National Book Critics Circle Award» de mars 2005). Ce roman dé-assemblé nous entraîne dans l’enfer des «criminels de guerre»3, comme pour bien apaiser la mauvaise foi de certains Américains qui voient le gouvernement Bush intervenir à plusieurs reprises dans la gestion d’un pays certes malmené et mal géré, mais que l’impérialisme yankee a «purgé» et «pillé» depuis des décennies.
Récits mi-journalistiques et cependant très poétiques, les collages de textes de Danticat exigent un lecteur participatif 4 (voir Gyssels, 2002).
Si de nombreuses études ont mis en valeur l’importance de son œuvre, le déracinement des Haïtiens à New York, le duvaliérisme dans l’île, la discorde entre différentes générations d’émigrés et de communautés diasporiques originaires de la Caraïbe, bien des aspects restent encore à explorer, des questions à approfondir. Il en est ainsi pour son rapport à la francophonie. Danticat est trilingue, pratiquant l’anglais, ainsi que le français qui néanmoins lui semble venir moins spontanément que le kreyòl (créole haïtien) et l’anglais. Chaque jour, dans son entourage, elle entendait cette langue familière et familiale, ce «ciment» culturel entre une première génération exilée (appelée birds of passage) et une deuxième, voire troisième. L’anglais est son outil de création artistique, même si elle a obtenu un master en littérature fançaise à Brown University. Par ailleurs, elle avoue dans une interview à Callaloo comment sa joie est grande d’apprendre que son œuvre plaise aussi en traduction française, se rendant compte de la multiplication énorme de ses lecteurs par le phénomène même de la traduction de l’anglais, langue d’écriture certes saupoudrée d’expressions créolisantes, vers le français, l’une des deux langues officielles de son pays d’origine, Haïti. (Shea 1996)
«Une branche détachée du vieux tronc gaulois»
Depuis sa Révolution, des vagues de francolâtrie et de francophilie variables (Mfaboum, 2004) ont secoué la «plus africaine des Antilles» (Césaire). Cette attitude était motivée par la résistance à l’impérialisme yankee, par l’anti-américanisme suite à l’occupation américaine (1915–1934). Un renforcement des liens à la France, l’enracinement des valeurs culturelles (faisant abstraction du vaudou et des racines africaines), tel qu’illustré dans les manuels d’histoire d’Haïti, analysé par Gérarde Magloire (2000), montre l’attache forte du pays à une ex-métropole fustigée, certes, pour les séquelles de l’esclavage et de la colonisation, mais adorée pour ses Lettres et ses Arts. Symbolisée par le poète Georges Sylvain, la francolâtrie impliquait l’apprentissage et le dressage à la française, la récitation de poètes et de conteurs français. Ainsi, la «fraternité entre communautés parlant et pratiquant cette langue» (une des définitions de la francophonie) était bellement illustrée dans cette Antille au Nouveau Monde, et Sylvain présentait la poésie haïtienne comme «une branche détachée du vieux tronc gaulois» (cité par Tontongi, en ligne). Véritable culte au sein d’une des plus grandes familles haïtiennes, la famille Sylvain, l’adoration francophile allait pourtant main dans la main avec la défense de l’africanité: Bénito Sylvain (le frère de George) était un panafricaniste et ami d’Eric Williams (voir Oruno Denis Lara, 1999), pendant que Suzanne, fille aînée des Sylvain, était la première anthropologue noire du pays, célèbre pour ses centaines d’articles sur l’oraliture (en créole). George Sylvain, fier de montrer que la langue nationale, à côté du français vénéré, fut également une langue littéraire, traduisait des contes de la Fontaine en créole, prouvant que les deux langues romanes enrichissaient la «francophonie outre-atlantique». Jean Price-Mars a beau appeler une telle attitude par la suite du «bovarysme collectif» (Ainsi parla l’oncle, de 1928), les bonnes et vieilles familles haïtiennes allaient continuer d’envoyer leurs fils et filles en France, les infligeant d’un complexe de supériorité française.
Seeing Things Simply
Le succès fulgurant, le courant qui passe entre l’auteure et son public, haïtien ou non, sont dus à une double appartenance pleinement réussie, à une «re-territorialisation» harmonieuse de l’écrivaine originaire d’Haïti, mais branchée à la fois sur les mondes afro-caribéen et américain. J’en juge par l’éclat qu’a Danticat dont les livres (en anglais) sont exposés dans les vitrines des petites librairies de Port-of-Spain, aussi bien que dans l’aéroport de Trinidad. Avec d’autres auteurs de sa génération, elle illustre la «nouvelle vague» qui s’affranchit progressivement d’une francophonie linguistique, culturelle et socio-économique. L’auteure brise le mythe qu’est la France et la francophonie, et en dernier lieu, le rapport entre les Haïtiens (créolophones et francophones) et les autres francophones et créolophones de la région (notamment la Martinique et la Guadeloupe). Dans son œuvre, les «effets de réel» ont beau enraciner ses narrations dans un monde français et francophone, ils relèvent du décorum et font ressortir à chaque fois l’écart entre la réalité haïtienne et une némésis masquée. Qu’il s’agisse de noms de villes (Croix-des-Rosets, Ville-Rose), de prénoms les uns plus démodés que les autres (Rose, Célianne, Martine, Sophie…), de proverbes créoles librement traduits (incipit de la nouvelle «Les enfants de la mer»: «derrière les montagnes, il y a d’autres montagnes»), une auréole de «francité» nimbe la narrativité danticatienne. Très vite, ce monde apparaît comme désuet, en décalage avec la réalité. Ceci se traduit de manière manifeste dans ses nouvelles situées dans New York: que ce soit des pratiques vestimentaires, elles semblent décriées comme totalement démodées. Dans «New York Day Woman», la mère de la narratrice coud de la dentelle sur les T-shirts de sa fille new-yorkaise (pensons à Saint-Barthélémy, petite dépendance de la Guadeloupe habitée par des Bretons qui ont sauvegardé leurs coutumes, et où les Békés portent encore les fameuses coiffes bretonnes, spectacle spectral que Gauguin aurait su priser!). Dans «Caroline’s Wedding», il s’agit de coutumes culinaires d’une autre époque (tirer des bouillons aux os de bœuf). Que ce soit des pratiques musicales (les bonnes vieilles danses de plantations: le Konpa), ou religieuses (le catholicisme aux accents vaudouïsants), Danticat montre l’écart total avec le nouvel environnement nord-américain. Bref, tout ce qui est français représente un «Ancien Monde» qui se désagrège très vite dans l’expérience migratoire (voir Gyssels 2001). Ce qui distinguait Haïti, sa «francité» tombe en désuétude au Nouveau Monde, et il semble que ce soit un sacrifice que la nouvelle génération n’a aucun mal à faire. Le modèle français, voire le modèle du métissage, alliance dosée de deux composantes, n’est plus de mise pour la deuxième génération immigrée à New York.
Dans ses nouvelles, le monde français, la culture métropolitaine y sont systématiquement sources de lancinement généalogique: la presse a pourtant été pendant des décennies métropolitaine, comme en témoignent de nombreux récits d’enfance (dans Mille eaux d’Émile Ollivier (1999, Antan d’enfance (1993) de Patrick Chamoiseau): ces lectures instructives en même temps que paralittéraires sont par ailleurs recyclées comme papier peint. Des Paris Match tapissent les parois des ti-kay créoles, affichant des photos de vraies stars, toutes blanches et blondes, qui font fantasmer les narrateurs masculins (l’inverse semble avoir moins été le cas, à lire les récits parallèles de Pineau et de Danticat, différence qui mériterait d’être explorée). Ces éléments de culture française deviennent les marqueurs d’une irrémédiable différence et rappellent à chaque moment la politique assimilatrice et l’aliénation. Cause de frustration et de douleur, les «Petits Écoliers» (p. 110)—comme les «petits suisses» dans Un plat de porc aux bananes vertes (les Schwarz-Bart, 1968)—disparaîtront chez Danticat.
Dans une première nouvelle, moins commentée que «Children of the Sea» et «1937», Danticat met à nu le rapport entre francophones voisins. Il s’agit de montrer comment Haïti a toujours été séparée des Antilles françaises, pour des raisons historiques et politiques, certes, mais comment cette «balkanisation» (Glissant, 1981) à la fois littéraire et culturelle, est déplorable. Pire, la critique littéraire opère ce même «apartheid», si bien que un cloison sépare les Antilles françaises d’Haïti. Prenons les champs littéraires respectifs et on observera en effet que la littérature haïtienne est rarement intégrée à la littérature afro-antillaise, franco-caribéenne, ou antillaise. De pareils découpages (dans les collections critiques chez les éditeurs spécialisés comme dans les anthologies ou les essais «comparatifs») sont très réductifs, comme l’a montré par exemple Jean Jonassaint: ils expliquent qu’une intertextualité indigène entre Gouverneurs de la rosée (1944, Jacques Roumain) et Traversée de la mangrove (1987, Maryse Condé) reste inaperçue pour grand nombre de lecteurs assidus de littérature martiniquaise et guadeloupéenne5! (Jonassaint 2003)
Par ailleurs, que The Dew Breaker renvoie au même classique haïtien Gouverneurs de la rosée est passé inaperçu dans la presse américaine6. Au lendemain du lancement du livre, Corbett, Smartt-Bell, Kakutani ont fait d’excellents et d’élogieux comptes rendus, mais aucune référence n’est faite au clin d’œil paratextuel à Roumain, qui ici prend une valence bien négative puisque le gouverneur du moment épiphanique de l’aube, le «maître de la rosée» n’est personne d’autre que le tortionnaire de Papa ou Bébé Doc, le tonton macoute qui, «at dew» vient enlever ses victimes dans les cases, kidnapper les dissidents et les opposants au régime duvaliériste. À l’inverse donc de Condé, Danticat va mettre les journalistes et ses lecteurs sur la trace roumainienne; dans une interview (paratexte authorial), elle cite l’intertexte allogène, l’expression créole «choukèt larouze, chouquer la rosée»:
“dew breaker”, it comes from the Creole. (…) it really means somebody who breaks or shakes the dew; that’s where it comes from. Creole is very forgiving of things like that. There is also an expression on the other side, gouverneurs de la rosée, people who govern the dew, who are kinder people, people of the land who nurture the land and try to control their destiny through the land.» (Birnbaum Interview, en ligne)7
De quoi s’agit-il dans «Simplement voir les choses»? Danticat s’attaque à la francophonie si bellement défendue par Senghor comme «une communauté intellectuelle ou spirituelle dont la langue nationale, officielle ou de travail est le français». Vaste programme de solidarité entre peuples parlant la même langue,—ce qui bien sûr ne vaut guère pour la majorité d’Haïtiens, créolophones et illettrés—cette francophonie-là reste plutôt lettre morte. À l’inverse de Simone Schwarz-Bart, qui fustigeait l’animosité des Antillais à l’égard des immigrants haïtiens dans Ton beau capitaine (1987), Danticat épingle comment les Domiens qui débarquent en Haïti traitent les gens du pays, un phénomène d’ostracisme qui se produit pareillement pour les voisins de l’autre côté de l’île, les Dominicains qui choisissent Puerto-Rico comme station de transit avant l’»entrée» hasardeuse aux Etats-Unis. À l’inverse de Wilnor, qui est aussitôt marginalisé, les Guadeloupéens qui s’installent à Ville-Rose sont les bienvenus, car ils sont les modèles d’une francophonie idolâtrée, d’une supériorité linguistique qu’ils voudront bien partager avec les «habitants locaux», et d’une qui signifierait promotion socio-raciale. Danticat met en scène un modèle haïtien, dans la personne d’une jeune fille prénommée Princesse. Ce surnom réduit l’adolescente haïtienne à une «poupée noire» aux mains, ou mieux, au pinceau, de l’autre protagoniste, Catherine, un peintre guadeloupéen qui, loin de «couper la canne», vient se prélasser et se divertir, membre d’une colonie d’artistes. Pour des écolières zélées comme Princesse, c’est une aubaine: Princesse avait rencontré certains d’entre eux grâce aux professeurs de son école qui, pour récompenser les bons élèves, leur présentaient des peintres et des écrivains francophones. Ils habitaient les maisons couleur de pain d’épice perchées sur les collines surplombant les plages au sable blanc de Ville-Rose. (140)
Catherine incarne la francité, la politique assimilationniste si bien ancrée dans les mœurs des Antillaises. L’obsession du bronzage de la peau, de cramer au soleil haïtien, est épinglée sans ironie par Princesse qui observe finement:
Âgée de vingt-sept ans seulement, Catherine paraissait beaucoup plus. Elle prenait d’interminables bains de soleil et pourtant sa peau conservait la même teinte cuivrée—mais elle se desséchait chaque jour un peu plus. De toutes les femmes noires que Princesse connaissait, Catherine était celle qui passait le plus de son temps au soleil sans changer de couleur. (140)
Le mimétisme franco-français est raillé par la narratrice hétérodiégétique qui, durant tout le récit, reste une présence discrète, qui nous dépeint par contre une protagoniste bien timide, muette et subalterne. Comme Fanon et Bhabha l’ont remarqué pour les «colonisations réussies», ce que la Martinique (et la Guadeloupe à un degré peut-être un peu moindre) est aux yeux de Glissant, l’imitation du Béké et des «Français de France» conduit à des comportements totalement «déphasés», voire aberrants, de l’environnement et de l’habitat de l’Afro-Antillais Non seulement le «français de France» que Princesse s’inculque si difficilement l’aliène de son univers, mais elle subit une métamorphose douloureuse exposée au regard de l’Autre. Le contact avec la «négropolitaine» la gêne et met son cœur en débandade. Envoyée chez Catherine pour se défaire de cet accent balourd et disgracieux, Princesse paie de son corps pour ce service pédagogique. Elle doit poser toute nue, ce qui la met dans un très grand embarras:
«Ce n’est pas si terrible, dit-elle [Catherine] en esquissant rapidement les seins de Princesse sur son carnet de croquis. Laisse-toi aller, voyons. Imagine que tu es dans ton lit, tranquille, seule et bien à ton aise.
Princesse trouvait difficile de faire semblant d’être à l’aise alors que le soleil inondait ses parties intimes.» (141)
Lucratif pour Catherine, ce marchandage ne permet en rien une vraie «relation» entre modèle et peintre. Catherine ne manque pas de rentrer pour Paris, une fois sa mallette remplie de toiles. Satisfaite des séances de pose et des croquis, elle abandonne Princesse à son quotidien. Sans rien dire à son modèle qui l’attendra fidèlement chaque jour, la Guadeloupéenne s’envole pour écouler ses tableaux dans la capitale où, on l’imagine bien, elle vend au prix du plus offrant ses toiles fort demandées.
Danticat condamne ce «traitement» néo-colonial des Haïtiens, et en particulier de la femme haïtienne dans toutes sortes de commerces, du plus innocent, poser nue, à la prostitution (voir aussi sa nouvelle «New York Night Woman» dans Krik? Krak!). Ce néo-esclavagisme est d’autant plus odieux qu’il est pratiqué par des «sœurs de couleur», par des voisines qui partagent le même passé de colonisation française et d’impérialisme culturel français. Aux yeux de Catherine, Princesse n’est rien d’autre qu’une indigène qu’il faut croquer dans un canevas par ailleurs préalablement figé (plage et cocotiers, palmiers et sable blanc). Avec beaucoup de formalisme sorbonnard, cette négropolitaine adhère complètement à l’art tel qu’il est demandé par une certaine clientèle. Comme le constate Ian Stratchan dans Paradise and Plantation, Tourism and Culture in the Anglophone Caribbean (2002), la Caraïbe entière continue d’être le décor des «Iles fortunées», des plages paradisiaques, des «indigènes» aimables et serviables.
Et c’est exactement ce regard exotique qu’a Catherine de Princesse. En signe de remerciement, la Guadeloupéenne lui rapportera de Paris deux T-shirts (du musée Pompidou et d’une galeire où Catherine va exposer) pour récompenser l’étalage de son corps dans des postures exhibitionnistes, assurant le plaisir voyeuriste au spectateur. À travers l’échange inégal, le vil troc, Danticat montre du doigt la dégradation de deux circuits artistiques haïtiens: d’une part, il y a l’art haïtien primitif, production à la chaîne pour de solvables Américains et Européens; d’autre part, les ateliers port-au-princiens produisent en série des œuvres pour les galeries d’art effectivement prospères aux îles sœurs, notamment en Martinique et en Guadeloupe, comme j’ai pu m’en persuader à chaque visite à Fort-de-France ou Pointe-à-Pitre
Duval Carrié et Préfète Duffaut, deux légendes vivantes de la peinture, vivant eux aussi en Amérique (Karen Mc Carthy Brown, 2000), sont d’avis que la peinture haïtienne est condamnée à disparaître sous les demandes en masse du marché d’art nord-américain. Peintres (professionnels et amateurs) satisfont une demande croissante. Le second marché, que nous décrit Danticat, est celui des Européens qui, clichés tropicaux à l’appui, cernent le paysage et ses habitants (majoritairement des démunis et des paysans) d’une perspective exotique, voire érotique.
Le rapport du peintre et du modèle est injuste: alors que Princesse s’attache à Catherine, cependant rêvant d’une tout autre peinture, le peintre ne s’intéresse nullement à la personnalité ni à la vie de la fillette.
Une autre peinture est envisagée secrètement par la pauvre Haïtienne qui, si seulement elle avait les moyens, aurait l’audace de briser le formalisme européen, la représentation réaliste. Que les toiles seraient différentes. En écho à Tar Baby (1981), le modèle se rebiffe et comme le protagoniste morrisonien, Son, surnommé «le Rat de mer», Princesse aspire à devenir sujet au lieu d’objet:
Princesse avait envie de peindre les sons qui sortaient du coquillage, semblables aux gémissements adressés à un bateau lointain, un SOS à la mélodie discordante. Elle avait envie de peindre le contact du sable sous ses pieds, le bruit des carcasses de crabes sèches et vides qu’elle écrasait entre ses mains. Elle avait envie de se peindre elle-même, en plus grande et plus ronde, avec une mèche de sirène, noire et soyeuse. Elle avait envie de découvrir l’endroit exact où le ciel et la mer se rencontraient, tels de vieux amants séparés depuis bien longtemps. (150)
Cette peinture-là intégrerait la cosmogonie vaudou. Princesse se rêve en Erzulie Freda, déesse de l’amour, comme Mammi Wata, sirène des eaux sculptée par les forgerons du vaudou. Opposée à celle de Catherine qui ressasse la nature sauvage et la beauté primitive, faisant écho à Breton (Martinique, charmeuse de serpents), elle ferait fi des clichés euro-centristes qui interprètent Haïti comme un décor de faune et de flore, un lieu de sensations et de zombies, de luxure et de vaudou.
Bref, la peinture destinée au marché extérieur, pour l’exportation voit simplement les choses haïtiennes, les dénigre même en reproduisant en série des corps de femmes dociles dans des poses lascives, alors que l’âme tourmentée d’Haïti se traduirait dans des figurations abstraites.
À plusieurs reprises, l’inconfort de Princesse devrait pouvoir être le sujet de peinture, non le «T-shirt par ailleurs immaculé, découvrant dans la surface blanche une infinité de possibilités» (150), mais le tissu taché de sang, motif important dans le recueil de Danticat «Les enfants de la mer», se déroule sur un bateau de fortune avec une voile tachée de sang, navire de mort sur lequel s’enfuit le fiancé. Si elle rêve de peindre, c’est pour montrer les blessures non cicatrisées qui sont couvertes et rendues invisibles par des langages artistiques qui déforment et qui dissimulent.
Comme souvent dans l’écriture jumelée de Danticat, une deuxième histoire se creuse dans la première. Entretissée à ce premier fil narratif de «Voir les choses, simplement», il y a, par ailleurs à la première page de cette nouvelle, l’histoire en miroir opposé, éclat renversé, d’un professeur haïtien qui fit ses études à la Sorbonne, et qui pour des raisons inconnues, échoue à Ville-Rose et se met à boire et à dépenser son maigre pécule dans les jeux de pitt (combats de coqs), répudiant sa femme, une pauvre marchande ambulante. Même si les raisons de sa déconfiture ne sont point données, le portrait de cet homme malheureux semble suggérer que la formation parisienne, l’éducation franco-française y sont pour beaucoup. L’ «enclos» de malheur semble être la colonisation française avec ses séquelles impalpables et invisibles, et qu’une peinture, la sienne peut-être, un jour, arrivera à cerner et à discerner.
Célianne et Suisse
À l’heure où des boat people n’intéressent pas beaucoup les Nations unies, où les victimes de Jeanne attendent les secours, Danticat «coupe le cordon ombilical» qui lie son pays d’origine à la grande nation des Lumières et de l’adage «liberté, égalité, fraternité» par d’autres touches picturales dans sa nouvelle la plus célèbre, «Children of the Sea», jumelé à un autre «massacre», celui que nous raconte «1937», qu’elle réécrira donc en roman, The Farming of Bones.
Dans «Les Enfants de la mer», la noyade de malheureux passagers est inéluctable, et tous s’essayent (le narrateur par la rédaction d’un carnet de notes) à une placidité mortuaire. Or, l’accouchement de Célianne détruira une fausse impression d’ordre et d’endurance:
«Au bord de ce bateau se trouve Célianne, fille de 15 ans engrossée par les Macoutes, et qui accouche d’un enfant mort-né: C’est une belle petite fille, l’enfant de Célianne. On l’a appelée Suisse, parce que c’est le mot qui était gravé sur la lame du canif qui a servi à couper le cordon ombilical. Si c’était ma fille, je l’aurais appelée Soleil, Lune, ou Étoile, comme les éléments. Elle ne pleure toujours pas.» (30)
«L’enfant de Pariade» reçoit le nom «Suisse». Fruit de la violence et du viol, cette enfant est nommée d’après l’instrument de coupure qui la sépare du corps de la mère. Celle-ci, par contre, s’appelle Célianne, pour bien marquer que malgré la disparition du bébé, elle sera liée à elle pour toujours. Son nom créole se lit comme «c’est liane», d’après l’adage créole («c’est liane qui tient liane»). Celle qui porte au visage les cicatrices de son automutilation, coupe le lien viscéral entre mère et fille. Dans un no man’s land aquatique, sans état civil et sans droit aucun, cet être frêle reçoit un nom de marque, un nom déposé d’après un pays frontalier de la France, mais qui est réputé pour sa «neutralité» et pour ses œuvres charitables (la Croix Rouge, par ailleurs gravée sur les couteaux suisses?).
N’était-ce pas à la frontière suisse que le libérateur d’Haïti, Toussaint Louverture, trahi par la France, fut déporté et mourut en 1802? Ce pays qui ressemble tant, par son relief, à la Grande Antille, ce pays montagneux à la lisière duquel creva, dans le Fort de Joux, a toujours eu une réputation de neutralité face à la France, comme l’illustre, dans Aube tranquille, Jean-Claude Fignolé: le Suisse naturalisé français Wolf von Schpeerbach, colon raté et planteur négrophile, ne pourra s’acclimater à l’enfer saint-dominguois8. De même que Toussaint Louverture est mort à la frontière d’un pays hospitalier, un pays de refuge, de même la mort-née de Célianne aurait sans doute, si la vie lui avait été rendue, pu aspirer à un abri sauf, un lieu non tortionnaire. Qu’elle soit baptisée par la mère par «Suisse» symbolise le destin tragique de «ceux pour qui le nom n’importe nullement, dans notre monde à nous», pour paraphraser l’incipit de la nouvelle.
Ailleurs encore, dans «Le mariage de Caroline», le déclin de la francophonie est suggérée, par exemple par le fait que Caroline enseigne l’anglais aux Haïtiens du Bronx (197). La France, dans l’imaginaire des jeunes Haïtiens vivant à New York, c’est bien «le summum» du Vieux Monde, avec son français rigoureux et châtié, ses châteaux cossus et ses costumes de bal:
«Cette nuit-là, j’ai rêvé que j’assistais à un bal costumé dans un château français du XVIIIième siècle, sous d’immenses lustres de cristal. Autour de moi, les invités portaient des masques en papier mâché et en velours. Brusquement, l’un d’eux a ôté son masque. C’était mon père.» (189)
Ne pas voir que la puissance colonisatrice, symboliquement représentée comme le Père blanc et usurpateur dans l’imaginaire afro-antillais, soit démasquée, ne pas tenir compte des nombreux auteurs haïtiens qui préfèrent la tierce langue à l’heure de la mondialisation serait mystifier la réalité littéraire diasporique haïtienne. Si le cordon ombilical entre la France et sa «fille aînée» («the crown of the French Antilles») a été coupé depuis deux siècles, si la francophonie suggère une solidarité de langue et de culture, cela devient tout à fait forcé et artificiel de plaider les rapports profonds et l’affiliation séculaire entre Français et Haïtiens9. Paul Laraque, Marie-Hélène Laforest, Marilene Phipps, poète-peintre, et qui eut droit à une section spéciale de Callaloo (longtemps avant Frankétienne), à côté bien sûr d’autres jeunes auteurs qui continuent d’écrire en français (Dalembert, qui confirme quant à lui l’ouverture vers l’Amérique latine), Lyonel et sa sœur, Eveline Trouillot, Léon Lahens, tous invitent à ne plus longuement imposer ce «regard du dehors» sur la production d’un pays qui dilue dans toutes ses composantes la «francité».
Avec par exemple Marie-Hélène Laforest, auteure d’une collection intitulée Foreign Shores, le pôle francophonie et la norme française sont faiblement investis, et on trouve en revanche un univers américain et une anglophonie qui est prisée parce qu’elle ouvre des portes dans la société d’accueil, les États-Unis d’Amérique. Ces auteures redéfinissent une haïtianité affranchie de la francophonie, débordant des frontières insulaires et ex-coloniales, comme le conclut Asselin Charles:
“And if poets and novelists are the bellwether of the collective consciousness, one can already speculate about the emergence of an even broader Black Atlantic consciousness among Haitians. Indeed, if the work of such younger writers of the Haitian Diaspora as Edwidge Danticat, Myriam Chancy, Stanley Pean and Lilas Desquiron are any indication, the Haitian ideology today has to be defined no longer within the borders of the island nation, not only within the archipelago of the Caribbean, but within the universe of the Black Atlantic that reaches from Africa through Europe and the Americas.” (128-9)
Pour Danticat, la francophonie ne tient qu’à un fil. Comme chez Condé, autre «nomade inconvenante» établie à New York et qui depuis bellle lurette condamne l’orthographe (voir l’exergue), voire l’idée qu’il faut brandir le créole ou le français pour appartenir à une école ou à un champ littéraire (voir son article: «Créolité without the Creole Language», dans Caribbean Creolization 1998), la francophonie a été surtout une étiquette utilitaire, rassemblant des auteurs très différents dans la même nasse. Une seule phrase de «Tatiana mon amour»10, où s’agglutinent des cultures et des lieux, des origines et des identités très différents, illustre la dissémination des cultures et l’inutilité croissante de vouloir épingler sur des sujets nomades des étiquettes:
“We met Drew’s friend in a restaurant called Le Montien, a Thai place, run by a French family, in the Italian section of Providence.” («Tatiana mon amour», dans Callaloo, extrait)
Le nom américain, le restaurant asiatique, géré par une famille française dans le quartier italien de la ville de Providence, fait éclater un décentrement total par rapport à un Centre bien enterré sous deux siècles de pillage.
Edwidge Danticat avec Paul Laraque, Patrick Sylvain et Tontongi (à gauche), printemps 2002, chez Laraque /Photo par Dumas Fils Lafontant.
Francophonie dérivée
Longtemps exclue sous prétexte qu’elle écrivait en anglais, Danticat est aujourd’hui «récupérée», même par les Haïtiens «francopholâtres» (voir tanbou.com, article de Tontongi en ligne, 2000), comme écrivaine francophone. Or, ne s’agit-il pas d’un pur artifice, puisque la langue, le décor, le local, l’imaginaire, les thèmes… dans l’œuvre danticatienne déconnectent sa production de la francophonie? À l’aube du 21ième siècle, au moment où la littérature haïtienne semble condamnée à porter toujours plus le sceau d’exil et d’exiguïté insulaire, un double glissement s’observe: d’une part, des auteurs non-haïtiens écrivant en anglais sur Haïti (Russell Banks, Madison Smartt-Bell, auteur d’une colossale biographie de Toussaint Louverture), ainsi que des auteurs européens (Eric Sarner, Hans-Christoph Buch), et de l’autre, des auteurs d’origine haïtienne publiant en anglais.
Ne faudrait-il pas, dès lors, couper radicalement le cordon ombilical entre la France et son imposante aura francophone, et celle qui fut appelée «la fille aînée de la France». En finir avec un rapport qui relève davantage de la mystification que de la réalité?
J’en prends pour preuve cet autre détail des «Enfants de la mer». Significativement il s’agit d’un radeau de Méduse qui flotte quelque part dans la mer des Sargasses, à destination de cette Floride mythique, El Dorado américain et enclave caribéenne vers laquelle effectivement un nombre croissant d’auteurs et d’artistes caribéens (Caryl Phillips, Fred D’Aguiar, Danticat elle-même) affluent.
—Kathleen Gyssels
* Une version légèrement différente de cet article a paru sous le titre Couper le cordon ombilical: Edwidge Danticat, Marie-Hélène Laforest et the French connexion, dans Actes du colloque international Le Monde Caraïbe: Défis et Dynamiques, vol 1: Visions identitaires, diasporas, configurations culturelles. Bordeaux: Maison de l’Homme d’Acquitaine, Christophe Lerat (éd), 2005.
Notes
1. | Puisque, dans les pays pauvres, la littérature reste malheureusement l’affaire d’une minorité, la tendance à glorifier la langue de l’ex-mère patrie, moins pour clamer ses attaches à l’hexagone, que pour s’en distancier et se démarquer de la zone d’influence américaine. D’autres voix, plus en phase avec la réalité du pays, confirment cette mythologisation. Je pense à Gary Victor, nouvelliste et romancier très plébiscité dans l’île (Magazine littéraire, mai 2004), qui dénonce l’écart entre l’être et le paraître et parle de la «surestimation» de l’Haïtien, phénomène psychologique qui expliquerait par ailleurs l’abondance littéraire (mais de qualité souvent inégale) de ce pays. |
2. | Voir mon article en ligne sur www.lehman.cuny.ile.en.ile. |
3. | Bob Corbett écrit dans son compte-rendu sur The Dew Breaker: «Edwidge Danticat is an extraordinary writer. She gives us real people with damaged lives rooted in the long tradition of torture in Haiti. One story of Danticat teaches me more than dozens of abstracted news stories which I happened to be reading daily at the same time. With Danticat I felt it’s coming into touch with the human reality of such suffering. I think the lives of Danticat’s cast of characters will remain with me forever.» (corbetre@webster.edu) |
4. | Avec parfois peu d’intrigues, mais une galerie de personnages séparés par le temps comme par l’espace, les narrations de Danticat se structurent selon un «patchwork», un canevas où les voix narratives se répondent et correspondent. Elle conçoit à cette fin une «poétique marasa», le mot vaudou pour «jumeaux», constellation cosmogonique importante dans les croyances vaudou (ou vodou) de l’Afrique de l’Ouest. |
5. | Ce même «aveuglement» se produit pourtant dans d’autres littératures de la diaspora noire. Ainsi, Tar Baby de Toni Morrison jette aussi des clins d’œil à Wide Sargasso Sea de Jean Rhys, né à Roseau (Dominica). Alors que les littératures caribéennes sont le champ d’une dense intertextualité, celle-ci reste invisible aussi longtemps que la critique travaille dans ses sections linguistiquement, géographiquement, voire ethno-culturellement distinctes. |
6. | La traduction française, Le briseur de rosée par Jacques Chabert, a paru quelques mois après, curieusement chez Boréal (Montréal), non plus longuement à Paris. |
7. | The Morning News, 20 April 2004 http://www.themorningnews.org/archives/personalities/birnbaum_v_edwidge_danticat |
8. | Comme s’en plaint sa femme, pourtant pas une Française «pur sang» non plus, Sonja Biemme de Valembrun Lebrun: «le Suisse pur sang n’est qu’un bâtard qui a sucé le sang d’une Noire, ton sang mal tourné a corrompu le mien et le fils que tu m’as donné est à sa façon un moricaud, je te punis d’avoir sacrifié mon mariage… tu m’en veux, je le sais, d’avoir bouleversé cette quiétude, rompu avec l’hypocrisie, la routine de tes yeux, l’indignité d’un système masquée, occultée par le paternalisme d’un Schpeerbach, Suisse alémanique qui s’applique à être différent…» |
9. | Une anecdote de Dany Laferrière serait ici bienvenue: il raconte comment il fut invité en tant que «auteur haïtien de l’ex-colonie française», ce qu’il trouvait ridicule: la première colonie à s’affranchir de la France, pays vilipendé et exploité (dette à rembourser depuis Charles X jusqu’aux années 80 à la France, demande de restitution à Villepin, qui devrait verser des billions d’euros au pays assiégé). |
10. | Il s’agit d’une nouvelle que je n’ai pas encore rencontrée ailleurs: Danticat a cédé dans le passé de nombreux récits brefs à des magazines et à des revues (voir la Table des matières de Krik? Krak!): celle-ci fut publiée dans Callaloo (27.2 (2004): 439). |
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