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Poèmes en français

Poèmes de Edner Saint-Amour

Ce que je veux

Quand démocratie sera-t-elle en vogue?
Quand se lèvera soleil du dialogue?
Quand brillera soleil de la liberté?
À présent je suis fatigué, trop lassé!
Lassé de n’entendre que monologue
qui nous invite à la salle de la morgue,
langage de la dictature
jargon d’une lugubre aventure.

Lassé de ma vie de soldat
lassé de mon vécu de combat
lassé de mener toute une existence
au train de la violence et vengeance.

Lassé de vivre sur une montagne de conflits
qui en consensus ne sont jamais convertis
Lassé de vivre dans une éternelle lutte
Lassé de vivre en bandits qui se disputent.

Je veux voir le soleil de la liberté
se lever et briller sur mon cœur lassé.
Je veux voir le soleil de la démocratie
se lever et briller sur les jours de ma vie.

Je veux voir surgir un État de droit
où la liberté brillera sur tous les toits
Je veux voir le soleil de la démocratie
se lever et briller sur mon pays Haïti.

(24 février 2004)

Absolutisme

J’analyse les événements politiques
Étalés sur différentes phases historiques,
Mes frères Haïtiens, je vous assure
Mes frères Haïtiens, je vous jure:
Dans le jeu de positions toujours tendues
Le pouvoir ne peut être posé qu’en étant absolu;
Urgence de raisonner le jeu de positions
Pour donner au pays une nouvelle direction.

De l’égoïsme exacerbé de l’intérêt de clan
La politique ne peut plus suivre le courant
Dont le mouvement agite les âmes et les cœurs
Les conduisant au chemin de lugubres horreurs.

Outre que cet usage politique nous divise
Pas moins nous minimise, nous banalise.
Il faut nous sortir des fosses de la destruction
Pour franchir le chemin de l’édification.

Foi dans la patrie, refus à l’interdit
Foi dans le permis, finisse l’anarchie
Foi dans la nation, finisse la Guerre
Foi dans l’édification, finisse la misère.

(Février 2004)

Regard sur l’extérieur

Bien assis sur mon fauteuil de valeur
je dodine dans la salle du bonheur.
Ainsi le vent frais de l’espoir encensé
ma vie, l’univers entier de mon existence.
Bien attaché a mon rempart de valeur
je courtise fées et muses du bonheur
que je chéris avec amour et persistance
tout le long de ma vie, mon existence.

Bien entouré de mes gardes de valeur
point ne me séduisent ni guerre ni peur,
tout me rassure dans cette cité de valeur
tout me rassure dans cette cité de bonheur.

Au royaume où je suis roi, non je ne ferme les yeux
en disant je me fiche du dehors car je suis heureux.
Je sors de l’intérieur pour regarder l’extérieur
l’ouragan qui passe en déversant flots de malheur.

J’ai vu un gros monstre cornu de trois fléaux
qui crachent sur l’homme son venin de maux
l’homme qui se rue de douleurs
sous le poids de ses malheurs.

J’ai vu le mal du ventre, la misère biologique
faim qui dévaste comme une bombe atomique
où l’homme se rue de douleurs
sous le poids de ses malheurs.

J’ai vu le mal du cul, la misère physique
coup de bâton qui dévaste comme une bombe atomique
où l’homme se rue de douleurs
sous le poids de ses malheurs.

J’ai vu le mal de tête, la misère socio-psychologique
ignorance qui dévaste comme une bombe atomique
où l’homme se rue de douleurs
sous le poids de ses malheurs.

(17 février 2004)

Valentina

Une fée au visage brillant hors de tout éclat
s’assaillait en face de moi. C’était bien Valentina
Alors je m’amuse à contempler l’éclat de sa beauté
plus captivant que celui de la princesse Asthatée.
Voguant à travers l’infini de ma contemplation
à la plus haute vitesse de mes émotions
Aussitôt tout mon cœur, tout mon univers
se transforme jusqu’à se mettre à l’envers.

On dirait que dans tout mon être
un turbulent ouragan se fait naître
avec un sonore écho qui te fait dire
combien mon cœur veut t’appartenir.

Ah! au premier contact de ma vue
avec ta silhouette au charme absolu
je me sens attisé jusque dans l’âme
par une je ne sais quelle flamme.

J’admire ta silhouette en ma mémoire
comme à travers un grand miroir
qui offre à mon regard, à mes yeux
le spectacle le plus merveilleux.

En ce bel instant de joie et d’extase
où l’amour s’est mis en vive emphase
je sens, à mille répétitions crépiter
mes lèvres contre tes gencives violacées.

Avec les fibres d’une âme qui s’enfièvre
au contact juteux de tes velouteuses lèvres
j’ai lu cent fois mille pages d’ivresse
au souvenir de ta silhouette qui m’affaisse.

Pourtant au retour de mon âme de son extase
mon cœur se trouve vide tel un grand vase,
vide de ton amour, de tes douces affections
qui agitent encore les flots de mes émotions.

Mais, quand mes doigts auront-ils pour cadeau
le droit de câliner ta douce et gracieuse peau,
de goûter la saveur de tes dents blanches
en suivant l’amour à la cadence de ta hanche?

Quand, aurai-je donc pour me perdre,
la coupe de tes velouteuses lèvres
que je dégusterai au comble de mon aise
comme la chair succulente d’une fraise

Je te contemple autant dans ma mémoire
que je respire le doux parfum de l’espoir
que nos cœurs se battront à loisir
au rythme du plus fou des plaisirs

J’espère que ces désirs qui me font forfait
se transforment du souhait au véritable fait
pour me faire vivre autant que tu le veux
les instants les plus doux et merveilleux.

Alors que le meilleur de mes plus chers vœux
soit à jamais, à toi, à moi, à nous tous deux
un ciment qui unit nos deux jeunes cœurs
qui se réjouiront de leur gala de bonheur.

Valentina, quand ce jour viendra-t-il
où notre foyer en amour sera fertile
où nous savourerons sur un même lit
les délices de nos amours infinies?

Trop assoiffé de tes bras tendres
mon cœur ne peut plus attendre
ce grand jour prometteur d’ivresse
dont les heures ralentissent la vitesse.

Femme aux lèvres tout mielleuses
dont la puissance est mystérieuse,
hâte donc ce merveilleux instant
que notre destin follement attend.

Valentina, se peut-il que davantage
nous lisons dans de futures pages
ce bonheur d’une hystérique danse
qui se cadence au rythme de la transe.

Hâtons-nous, hâtons vers ces délices
pour déguster des moments propices
que notre moelleux lit de l’amour
tant nous garantira pour toujours.

J’ai même hâte jusqu’à la fièvre
de transformer tes magiques lèvres
en mon unique, mon éternel biberon
pour boire seul mon amoureuse boisson.

Ô Valentina, unique femme de mes rêves
dont le sourire attise toujours ma sève,
Que tes seins sveltes aux tétons si jolis
soient à jamais mon biberon qui me nourrit.

Que la coupe de tes lèvres charnues
soient mon verre plein que je mettrai à nu
la virginité de ton exquis sourire
me demeure une source de plaisir.

Pour tout ce flot, cet océan de félicité
que m’inspire l’attrayant éclat de ta beauté
que tout mon être chante pour toujours
À toi Valentina, toutes mes amours.

À nous tous deux le beau jour de la St-Valentin
À nous tous deux la douce nuit des séraphins
Vivent les baisers du soir et du matin
Vivent les baisers de St-Valentin.

St-Valentin
Arrive la St-Valentin, Arrive la St-Valentin
Le moment des baisers, la saison des câlins.
Arrive la St-Valentin, arrive la St-Valentin
Cadeau du cœur, tout l’amour se maintient.

Laissez nos cœurs qui s’enflamment
Au tendre soin de nos jolies femmes
Qui nous font craquer âmes et cervelle
Dans leurs baisers plus doux que le miel.

Confions-nous l’amour dans la nuit qui s’achève
Comme au doux matin où le soleil se lève
À la femme dont la beauté est toute splendeur
À la femme dont le baiser est toute chaleur.

Au mutisme de la nuit de la St-Valentin
À votre fidèle compagne de rêve quotidien
Dites: à toi le secret mystérieux de mon cœur
Explore le dans l’univers entier de ses profondeurs.

Port-au-Prince

Port-au-Prince, notre chère et précieuse capitale,
en vous nous reconnaissons l’autorité parentale,
à vous toujours nous voulons rester fidèles
tant dans les moments de calme que de querelle
Soyez pour nous tous de bons parents
Qui assurent l’éducation de leurs enfants
Dans le chemin de la justice ou de la loi
Qui protège notre destin du désarroi

Dans les divisions qui nous tous brûlent
Où la mort à la vie fait règle et formule
Cherchez dans l’esprit d’une commune sécurité
d’éteindre le feu de nos lugubres hostilités

Ne laissez pas vos âmes, vos esprits nationaux
Tomber dans l’enfer du labyrinthe des maux
D’une nouvelle et troisième force d’occupation
Source fertile à une nouvelle force de rébellion.

Vous qui représentez nos seuls pères et mères
Comprenez donc le sens de notre grande prière;
Foi dans les héros, en leur mission de fonder la nation
Foi dans l’État, en sa mission d’édifier la Nation

(11 février 2004)

Politiciens

Quand le monde politique engage des actions
Qui conduisent l’homme à sa destruction
La raison conseille alors à rebrousser chemin
Pour mener vers un autre port le destin

Ô politiciens, vous qui détenez la clé de gestion
Des actions, des affaires de toute une nation
Combien vous affichez à la face du monde
Vos tendances belliqueuses tant nauséabondes.

Pourquoi vous affichez vos travers pervers
Qui conduisent l’homme à la mort, à la guerre
Pourquoi ce refus à tout ce qui est édification
Et adhésion à tout ce qui est destruction

D’après ce qui se déroule sur le sol d’Haïti
Mettant toute une nation dans l’anarchie,
Ô politiciens vous montrez dans le domaine social
Combien vous êtes d’un genre de calibre banal.

Politiciens, vous galvanisez de pauvres gens
Afin de vous nourrir de leur propre sang
Vous dont l’attitude haineuse tend vers l’affrontement
Combien vous méritez d’un retirez-vous-de-moi-Satan

Vous profitez d’un peuple en mal malnutrition
En leur manifestant votre nulle compassion
Pour vous faire, selon l’usage, du capital politique
Rien que pour vous hisser au pouvoir et faire boutique.

Politiciens, vous qui nous ensorcelez de lugubres mots
Gardez dans votre mémoire éternelle ces doux mots:
Vous êtes produit et somme de tous les salauds
Qui maintiennent le peuple haïtien dans le gettho.

Toujours noyé dans le courant de la violence
Dont les flots se renouvellent en permanence
Haïti ne produira que des Léa, des Antoinette
Qui vivent dans la famine et dans la disette

Haïti ne produira que des bidonvilles
Où parlent sans cesse le revolver et le fusil
Le jargon éternel de la guerre civile
Où le bonheur est d’un grain stérile.

Haïti produira ses bandes de mendiants de rue
Dont le don reste l’unique chemin du salut
Où la politique devient simple jeu de merde
Dans laquelle les vies haïtiennes se perdent.

Haïti vivra toujours d’assistance humanitaire
Pour apaiser le monstre de la faim, la misère
Où l’on cultive la fatalité de la pitié et du don
Pour combler le vide du ventre par la ration.

Certes nous habitons même terre même sol
Certes nous parlons la même langue créole
Pourquoi nous ne pouvons pas nous comprendre
Pourquoi nous ne pouvons pas nous entendre.

Parce que le politicien conçoit le jeu du pouvoir
À l’œuvre du boucher qui travaille à l’abattoir
Une source de promotion ou de capital politique
Qui augmente le chiffre du profit de sa boutique.

(9 février, 2004)

—Edner Saint-Amour

Poèmes de Elsie Suréna

Toi qui passais

Tu as effleuré mon nom avec douceur
Comme on hume un parfum à peine découvert
Logée dans ta voix, je me suis sentie
Tout de suite accueillie comme une promesse
J’ai à nouveau envie d’aimer sans rémission
Envie d’abandonner ma tête sur tes genoux pour
Sentir tes doigts sillonner lentement mes cheveux
Envie de plaisirs simples entre complices
De vieille date qui se retrouvent un soir, lovés
Dans de douillets coussins autour d’un thé gingembre
Envie de promenades matinales dans la paix de Calasse
Nos mains en confiance, l’indigo de la mer plein les yeux
Envie d’être à La Pointe, l’une tout contre l’autre
Emmaillotés dans les vents accourus du grand large
À l’heure où sur Jérémie s’allongent les ombres et
Durent les confidences qui m’apprennent aussi ton nom

Vieillir

J’ai écarté
Les rideaux du temps
Pour mieux voir s’en aller
Ma jeunesse vif-argent

Saison après saison
J’ai accepté
Mes rides et mes cheveux blancs

Comme mes petits-enfants
Au gré de leur arrivée
Saison après saison

Aveu des heures tardives

J’aime les baisers
Rhumpunch
Gourmands
Aventureux, qui
Effleurent, se posent
Hésitent, sculptent
Papillonnent, balaient
Soupirent, pressent
Mordillent, happent
Reniflent, s’engouffrent
Lèchent, siphonnent
Cherchent, s’immiscent
Suçotent, s’abandonnent
Tirent, gémissent
Titillent, chevauchent

Vont-et-viennent, s’affolent
Puis s’arrêtent hors d’haleine

Au seuil de la douleur.

Tentations

J’imagine souvent le contour de ses lèvres humides
Entrouvertes sous mes doigts qui les soulignent
La façon avide dont elles accueillent, enchâssent
Et gardent les miennes si bien au chaud

J’imagine aussi la fragrance de son creux d’aisselle
Entre pain mouillé, musc et citron vert, lorsque
Dans la moiteur de l’été il pose la tête sur un bras
Replié, chemise entrebaîllée sur sa poitrine lisse

J’imagine surtout ses gestes nerveux et gauches
Pour me déshabiller ce soir-là dans la pénombre
Au rythme d’un impétueux désir qui talonne et se
Cabre, indompté, sous ma très impudique main

J’imagine encore mes caresses qui prennent le large
Des mots sans suite ça et là échappés de son plaisir
Ses gestes fous, son regard ému qui soudain s’absente et
Ses mains ancrées dans mes cheveux au bord de l’infini…

—Elsie Suréna

Poèmes de Denise Bernhardt

Darkest Hours

Quand le ciel s’assombrit
Au soleil déclinant,
Laissant mourir à l’horizon
Les lambeaux du jour,
Quand le monde se fige
En un champ de laves refroidi,
Tandis que la mer se creuse
Et plisse sous le vent…
Viens près de moi, mon cœur,
Les mots sont doux
Dans le nid du poème.
Viens t’abandonner
A des caresses plus légères
Que les duvets de l’aube,
Et recueillir les baisers qui éclosent
Au bord des sources murmurantes.
Alors tu pourras accoster
Aux rives de mon silence,
Comme les nefs,
Trop longtemps égarées
Sur trop d’immensité,
Rejoignent enfin leur port.

Le manque

Les pleurs venaient du plus profond
Comme une eau souterraine
Ayant longuement cheminé
Dans les arcanes de silence.
Ils se déversaient en balbutiements
De ceux qui accompagnent les tourments
Des amours empêchées.
C’étaient des vasques toutes bues
Qui voulaient retrouver la fraîcheur des fontaines,
Des mains tendues
Vers des fruits hors d’atteinte,
Des anches en quête d’harmonie,
Des visages ayant vu
Se voiler leurs miroirs.
C’étaient des gisants
Dans leurs linceuls de solitude,
Accablés par les vaines ardeurs
Qui sillonnent les nuits.

Mai Piu

Puisque jamais plus…
L’été aura toujours la même ardeur
Et les jardins leurs nacelles de roses.
La forêt m’offrira ses berceaux
De feuillage et d’ombre
Où tremblera ton visage.
Puisque jamais plus…
Je garderai
L’empreinte oblongue de tes mains
Sur mon cœur
Et leur chaleur, après l’amour.
J’aurai ta voix et ton regard
Me disant
Qu’il faut mourir un peu
Pour que survive
Le sel du bonheur.
Puisque jamais plus…
Il nous restera la magie
Du souvenir
Et l’âme la plus tendre
Pour éloigner la nuit.

(16 Septembre 2004)

—Denise Bernhardt (11 Juillet 2004)

Poèmes de Duccha

Le cri

Serait-ce que le cri est à la portée de tous,
A l’angle de nos vies propres
Et de nos angoisses juxtaposées.
Nous voici dans l’interface sourde
Victimes de la stratégie du verbe
Avons-nous commis le mal amer.

Serait-ce que le triste boomerang
Des conjugaisons aveugles,
Génère pleurs et viscosités de la peur

Toute nudité est imposture
Dès lors que s’effacent
Les miroirs…

Ma vie

Les couleurs ne savent pas les lignes du boulevard,
Le cœur s’en va jeter sa prière sur l’inconnu qui passe
Mais qu’elle est cette douleur du coté droit,
L’illusion est peut-être la mère de nous tous
Et la vie comme une feuille verte
Ignore ce que c’est que tomber,
Je, île en décomposition,
N’ai même pas une vie à perdre.

Sillon de verbe

Toutes tes tresses me triturent
Je suis l’enfant perdu dans le placenta
De tes débordements

Je m’approprie certains mots
Afin de pouvoir te faire
M’enfanter comme ce nuage qui gonfle

Mais
Si en toi le mot se démonte,
Tous mes toits troués t’auront saluée
Même dans l’étrangeté des vagues muettes.

—Duccha Port-au-Prince, Haïti

Poème de Guamacice Delice

Haïti

Haïti terre natale
en tremblement constant
entrailles crevassées
plantations détournées
semences importées
forêts effacées
campagnes vidées d’arbres utiles
bougeons séchées
crises superposées
ouragans déroutés
au volcan de désunion
la misère marchandée
la jeunesse angoissée
la grandeur chutée
passé condamné
présent honteux
futur liquidé
la stridence de tes voyelles est morte
tes consonnes se combinent
tes funérailles sont chantées
au futur simple
en des mots sourds
Haïti mère
mère des prisonniers négligés
des valeurs ignorées et des trésors exilés
mère aux rêves égorgés
et aux efforts crucifiés
cauchemars en jubilation
désastres irréparables
révolutions manquées
inachevées
aspirations incompatibles
familles bousillées
fiançailles avortées
les modèles ont plié bagages
les anciens sont démis de leur fonction
des leaders moulent le pain de la corruption
ô Haïti o terre natale
terre enculée
de mes jours
colline battée
vers l’immensité des eaux
mornes aux lèvres coupées
tu ris même assommée
les rayons du midi réfractent
sur tes dents
comme j’ai peur!

—Guamacice Delice

Poèmes de Jean Saint-Vil

L’avenir

L’avenir d’un fœtus,
C’est la naissance,
Car ça grossit.

L’avenir d’un nouveau-né,
C’est l’existence,
Car ça doit vivre.

L’avenir d’un nourrisson,
C’est l’enfance,
Car ça pousse.

L’avenir d’un enfant,
C’est la jeunesse
Où l’avenir, plein d’avenir, paraît sans avenir,
Car ça fait le fou.

L’avenir d’un adolescent,
C’est l’âge adulte,
Car ça mûrit.

L’avenir d’un adulte,
C’est la réussite ou l’échec,
Car ça passe ou ça casse.

L’avenir d’un vieux,
C’est la mort,
Car ça trépasse.

(le 27 octobre 2004)

Bagdad

Policiers décapités,
Parents-d’élèves tués,
Treize-jeunes assassinés.

Écoles calcinées,
Stations-d’essence incendiées,
Circulation bloquée.

Insécurité généralisée,
Couvre-feu larvé,
Points-chauds désertés.

Elèves molestés,
Journalistes menacés.
Gangs démantelés.

Martissant déchaîné,
Bel-Air bouclé,
Cité Soleil encerclée.

Minustah timorée,
Hommes-d’affaires démoralisés,
Centre-ville paralysé.

Marchandises pillées,
Commerces fermés,
Magasins attaqués.

Chimères culottés,
Police dépassée,
Amnesty consterné.

Pays déchiré,
Population apeurée,
Les-bras croisés.

(le 30 octobre 2004)

Revel tonitruant

Pipirite chantant,
Cinq-heures sonnant,
Étoiles filant,
Soleil levant.

Tambour battant,
Trompettes claironnant,
Cloches tintant,
Camions klaxonnant.

La-pluie tombant,
Vent soufflant,
Tonnerre grondant,
Cyclone menaçant.

Coqs coqueriquant,
Corbeaux croassant,
Crapauds coassant,
Grillons grésillant.

Canards barbotant,
Pétrels plongeant,
Malfinis chassant,
Flamants-roses picorant.

Bourriques brayant.
Chevaux hennissant,
Bœufs bêlant,
Cochons grognant.

Villages dansant,
Feuillage bruissant.
Arbres frémissant,
Bruit fracassant

Hommes trébuchant,
Enfants courant,
Femmes braillant,
Vieillards chutant.

Maisons branlant,
Portes claquant,
Terre tremblant,
Pays brûlant.
Nerfs craquant,
Cœurs sursautant,
Sols craquelant,
Haïti fout-le-camp.

Chimères décapitant,
Pneus s’enflammant,
Barricades s’érigeant,
Voitures flambant,

Citadins paniquant.
Population vociférant,
Armes-de-guerre crépitant,
Bombes explosant.

Tout-le-monde pleurant,
Commerces fermant,
Voleurs pillant,
Policiers détalant.

Politiciens radotant,
Gouvernance dépérissant,
Dirigeants bluffant,
Fumée montant.

Sang coulant,
Passants mourant,
Cadavres gisant,
Deux-pieds devant.

—Jean Saint-Vil
(le 31 août 2004)

Poème par Vilvalex Calice

Être

Le verbe se conjugue
pour dire qui suis,
qui est ou n’est pas,
pour l’instant,
dans le présent.
On doit être,
pour faire naître
un lendemain.
Dans le futur.
Avec ce que soit,
on fera ce que sera
mais, à l’imparfait
on sait, parfaitement,
ce qui était n’est plus
et, ne serait jamais ce qu’il fut,
ou eut été dans le passé,
simple ou antérieur.
C’est plus que parfait,
nous avions été la somme
De ce que nous sommes.
Conjuguons les verbes
aimer et être,
pour faire renaître inconditionnellement
le bonheur dans le cœur des êtres,
Non au subjonctif mais à l’imperatif.
Que l’amour soit!

—Vilvalex Calice

Poèmes de Nounous

Doublement aspects ludiques

Jolie fée qu’ailleurs d’autres nomment facilitatrice
relie-nous lampe allumée à ton vol de phalène enfin
au plus proche de ta texture aérienne
pour l’histoire bellement enfouie dans un songe d’antan
jamais osée par nulle écriture nous concernant
mais tout au plus imaginée parfois à la dérobée
et qui maintenant s’impatiente à quitter son irréel domaine
par moment après marée haute du large
quand la nuit dans nos têtes se donne des allures
d’un vibrant élixir en sarabande
sur les ailes de quelques gris chevaux
que nous apprivoisons tranquillement près d’ici
afin que dans le temps tu puisses
devant nous fièrement les chevaucher
sans peur aucune comme actuellement en ta mémoire.

Relie-nous pour tout dire infatigables danseurs
à ta mélodie-succulence en vermeille couleur
qui nous placera sur des pas paisibles
à tous les carrefours improvisés de la détente
même au sens unique de la démesure s’il le faut
vers certaines contrées jusque-là inaccessibles à nos singes
qui d’emblée trouveront en pile
musicales branches pour les voyages en perspective
par la silhouette gracieuse de ta forêt-libellule
par ta voix piano plutôt au prélude d’abord
puis pianissimo en flûte limpide à l’interprétation
à travers sentiers rectilignes et cursifs
respectivement reflets d’arc-en-ciel et doublement aspects ludiques
d’une lune jumelle qui joue du jazz avec sa correspondante
à tous les quartiers de ton incommensurable et invitante planète.

Dans ma mûrisserie

Derrière la fenêtre tout en bas
une brise s’agite
ombre furieuse à ma portée.
Puis soudain
dans toute sa grisâtre colère
ton écho me parvient cru
à l’œil d’un profond embarras
tandis que je tiens à bout d’impatience
les images dernières de ton plus proche affranchissement
ce vert raisin du savoir en parcours
au-delà des ronces du quotidien
que je t’ai aidé à cueillir autrefois
avant mainmise au possible des vers destructeurs
sur son trop lent pour le moins mûrissage.

Et svelte confidence tout de même
malgré confiance mienne qui se désagrège
à l’éventualité d’un simple signal de ton écoute
un feu fait rage ce côté-ci de la mémoire
à conviction plutôt hésitante néanmoins
pour mettre en ruine les ordures extraites
de tes petits contes sans saveur et sans fragrance.
Mais étonnamment restent les imageries
presque surréelles
de tes joyeux chevaux qui couraient dans mes mains
quand sonnait midi ma pause en ton bocage
espace des liens à l’intérieur duquel je n’ai pas eu l’impression
jusqu’à ce jour d’ici maintenant
d’avoir combien si longuement musardé à l’occasion
alors que reine-claude ou belle mirabelle pour ta part
tu te tiens là
allez savoir comment pourquoi
oblongue pas du tout
mais ronde c’est-à-dire dans ma mûrisserie.

«Voilà pourquoi je t’envoie un salut impossible, comme quelqu’un
qui fait de vains signes d’une rive à l’autre du fleuve
tout en sachant qu’il n’y a pas de rives, vraiment, crois-moi, il n’y a pas de rives,
il n’y a que le fleuve (…) Mais il est trop tard, à quoi sert-il de te le dire?»

—Antonio Tabucchi

Feu fuyant

Passe dans mon rire un oiseau de ce côté
ainsi que ton hallali derrière moi
et je commence à détester le fait d’être ici
trop longtemps assis sur des déboires
à regarder me perdre plus d’une voie sans comprendre
loin si loin dans le corridor des jours.
Pour ta part
actrice véritable jouant à la perfection l’incessant rôle
d’une sacrifiée sur les angles irréels de deux planches
qui se touchent à la verticale et à son contraire
tu as de nouveau pris rendez-vous
avec tes anciens pèlerins de guerre
au plus haut de ton petit air chafouin sur la pointe des pas
en empruntant le masque sans mesure d’une colère ignée
pour faire taire les traits de la honte sur ton visage
tout bonnement devant moi à l’autre bout.

Lettre à la mer

Mer absente
toi si lointaine déjà
ô mer aveugle au milieu de bien de trésors inconnus
à l’intérieur de toutes ces cités à l’extrême
tu fuis avec ma rive mes dunes et mes conques
me laissant sans port
sans tes petits voiliers pour l’essentiel
et sans l’étincelle d’un signal pour la pêche des heures miraculeuses
dans l’habitat de l’habitude
car les écumes que laisse ta voix en cyclone derrière elle
ont mis barrières à toute possibilité de…
à même un regard de ma plus petite parole de nénuphar
à l’endroit de ton terreau maintenant imperceptible si tant.

J’ai assassiné la plus grande peur que j’avais
de franchir les murmures de ta rythmique intempestive
ces clôtures qui me paraissaient insurmontables si souvent autrefois
par ma propre myopie il va sans dire.
Il me reste pour l’heure
deux ou trois autres actions similaires à effectuer
en lien à des préoccupations
des doutes des distractions et autres empêchements
en haut lieu de l’être
avant de pouvoir vraiment afficher symphonie dans mon rire
avant de pouvoir faire saisir à mon double
qu’aujourd’hui je suis un air libre assurément
de la nouvelle chanson à diffuser pour notre singulière évasion.

Même sans feu ni fard
ta barque doucement glisse encore
entre mes côtes à l’occasion
et d’aussi loin que la mémoire pouvait naviguer
je suis allé les heures dernières
voir une ultime fois péril
où il couvait nos vents guerriers
pour enfouir regrets et rancœurs
en profondeur dans nos demeures anciennes
et accepter le glyphe d’un frais raisonnement
au visage de mon cœur à ton adresse
par cette lettre à la mer
comme bouteille en traversée
qui t’apporte ma colombe principale pour dépassement
en toute aménité
si tu la veux
si tu la vois…

Clin d’œil

Oui
toi
mêle-toi de ton regard
avant d’avoir quiconque à détruire par simple distraction
par simple attraction pour la démolition
et laisse l’autre démêler ses ponts en son coin
avec son apicultrice aux goûts les plus étranges pour l’infusion
cette nomade qui a sa mémoire dans les voies du passé
où le chat qui ronfle presque toujours se réveille en sursaut…

Si tu n’as rien d’autre à ficher vraiment
dis-toi plutôt quelle douceur
en sa ruche lointaine a piqué ta petite langue
pour qu’en son souvenir tu sois si suave à la redécouverte
puis si prête à repartir au goût d’avant-hier en rampant
quitte à balancer quantité d’œufs sur les graviers de jadis
pour voir des coquilles sans histoire se briser en ton vide
quitte même à inventer l’inqualifiable autour de toi
rien que pour voir tes préjudices prendre le pas sur la naïveté d’autrui.

—Nounous

Poème de Tontongi

L’eau qu’on boit et qui noie
(L’Aigle majestueux et le retour du Coq angélique)

L’Aigle des grands desseins, élancé, majestueux
Sillonne les collines et survole les monts
Dans une allure conquérante et souriante,
Tandis que le peuple joyeux célèbre le Retour;
Le tout enrobé dans une surréalité troublante.

Le paysage est beau; belle aussi la protection divine
Des vingt mille marines à mines satisfaites.
Le paysage est beau mais conscient restera le regard
Qui transcende le moment et qui touche l’Au-delà,
Défaisant le conditionnement de la conscience violée.

Le Président est retourné, célébré par son peuple;
Ce fut sa grande demande et ce jour-là sa victoire
Sur un régime de honte qui l’accablait d’angoisse.
Le Président est retourné, et l’on chante et l’on chante;
Espérons que le rêve encore ne change en cauchemar.

Hélas! les égorgeurs temporels de ce peuple
Sont issus de partout, des casernes fortifiées
Comme des bureaux climatisés éblouis de data;
Ils viennent des massifs déboisés, des universités,
Ou de l’autre côté de l’océan infecté de nos morts:
Ils se réincarnent aujourd’hui en dollars bien vernis!

L’Aigle des grands sentiments, des gloires conquérantes,
L’unique super-larron de la foire, bel ange de l’espoir
Plonge irrésistible au cœur de la plaine des douleurs;
Il retrouve son âme au sein de Port-au-Prince. Princier.
Les richesses de la bâtisse vendues aux enchères. Pas chères.

Le Président est retourné, et millions de dos écrasés,
De poitrines éventrées, de familles et femmes violées
Descendent sur le Champs-de-Mars, de l’air respirant.
Malgré l’Aigle tout-puissant cette victoire est la leur,
Fruit de leur dextérité à détourner le 82ème Airbonne!

Je crains qu’on ne le dupe encore, ô grand peuple!
Va-nus-pieds des sentiers épineux sacrifiant le symbole
Comme jadis il brûla toute la ville en défiance à l’horreur
Pour sauver l’espoir et boire un bol de lait, en repos;
Dans le repos tranquille du loup endormi. Domestiqué.

Ça m’étreint le cœur et m’accable le corps jusqu’aux os
De ne pouvoir célébrer la défaite de mon peuple joyeux
En cette victoire à la Pyrrhus qui sent le poison.
Je crains qu’on ne trahisse encore son rêve de liberté!
Balayons! Balayons! Chassons toute la vermine du sol!

Les cérémonies sont des exorcismes et des aveugleries
Qui masquent le macabre derrière de beaux sourires.
Après la performance, après les clairons mélodieux,
Après les battages médiatiques annonciateurs de rêves,
Encore restera un grand besoin de l’air et du soleil!

Tout comme l’oppression et la terreur infligées
Par le régime d’horreur abêtissant l’humain,
L’État de droit qui se laisse ligoter sous les bottes
D’un empire cajolant qui piétine ses rêves
S’enivre de l’eau qu’on boit oubliant celle qui noie.

Dupé et malmené mon peuple n’est pourtant pas blasé;
Il tient ferme même mystifié par l’oracle enchanteur
De l’Aigle ange gardien et de la réalité virtuelle:
Se contente-t-il encore des miettes de l’injuste partage
Il se réveillera encore dans un vaste tyouboum!

Le peuple est victorieux qui sème sa liberté dans la sève
Du défit de sa propre résistance aux forces de l’oppression.
Contre la peur, la terreur, contre le vide de la servitude
Il garde son principe, sa rébellion intrinsèque, sang vif
Pour réinventer l’ivresse, pour regagner l’espace libéré.

Aux abois et vaincue, humiliée et huée par le peuple
Une clique des escadrons de l’horreur et des pleurs
Prend une fois encore la route de l’exil luxueux,
Emportée par l’avion de service des dictateurs déchus.
Et l’on chante et l’on chante, et la vie continue.

On nous tue par l’ivresse des prêches salvateurs
De l’épée inspirée dans la paix de cimetière;
Nous mourons idolâtrant l’étau étouffant
des images d’ombre embellissant le cauchemar du vécu:
S’ils sont vraiment partis pourquoi a-t-on perdu la vue?

Surveillons les espaces conquis sur la terre brûlée,
Le grand jour de joie est une grande veillée funèbre
Des lendemains piégés dans l’euphorie de l’instant.
Surveillons le marché d’esclaves liés jusqu’aux âmes
Au dogme du grand frère grand faiseur de miracles.

L’horreur est remplacée par la charmante tromperie;
Le grand bénitier de rebelle devient grand défenseur
De l’ordre gentiment officiant à la réconciliation
Entre le mal et l’absurde dans un vaste jeu de miroirs:
On nous vend de la charité pour notre miséricorde.

Un regard de loin, par-dessus les brouillards de la vue,
Est notre seule lueur dans la quête du sens dans l’abîme;
Libres sont la femme, l’homme ou l’enfant révoltés
Qui cherchent la réponse dans l’audace du risque:
A qui cherche son âme les voies sont souvent des épines!

Oui nous serons libres demain sur une plaine épluchée
Des marines, des voyous et des classes égorgeuses
Qui obscurcissent l’oppression sous des traits d’idéaux
Dans un théâtre de l’absurde et scène de mystification:
Libres nous le serons un jour—
comme la vague du torrent!

—Tontongi Boston, octobre 1994.

photo by Tanbou

Irony, Bennington, Vermont, USA, 2002. —photo by Tanbou

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