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Présenter la Colline des adieux de Anne-Marie Bourand Wolff

La couverture de La colline des adieux, de Anne-Marie Bourand Wolff.

Les Tainos d’Haïti ont été décimés, on le sait, mais on ne sait pas trop comment ils avaient vraiment vécu du temps de leur existence historique. Dans La colline des adieux, Anne-Marie Bourand Wolff les restitue dans leur réalité romancée comme peuple, comme unités familiales, comme individus vivant un drame d’amour qui, à certains temps, transcendait l’altérité de l’envahisseur et de l’envahi ; un drame d’amour qui était d’abord idyllique, vécu dans le respect de l’autre, avant de succomber, comme toute une manière d’être, dans le labyrinthe de l’oppression et de ses horreurs.

À l’instar de ses deux premiers romans Le pain doré (2011) et Les joyaux d’Aurélie (2007), qui introduisaient cette grande romancière au public, l’écriture de La colline des adieux est à la fois élégante, classique, moderne et simple. L’auteur a surtout remplacé la narration de la victimisation regardant la rencontre des deux mondes—le monde des Tainos et celui des Espagnols—par la narration de la dignité et de la bravoure exhibées par les Tainos dans leur appréhension d’un défi existentiel d’autant plus accablant qu’il menaçait mortellement leur propre existence. Anne-Marie Bourand Wolff a ré-imaginé la vie des Tainos dans le contexte de leur propre culture, leur propre vécu et leurs propres idéaux.

Le livre s’ouvre sur la contemplation du couple princier rebelle, Heno et Rouba, respectivement petit-fils du cacique, héritier légitime du cacicat (ou caciquat), et la fille d’hélios, une jolie danseuse :

Le quatrième de couverture de La colline des adieux.

« Qu’il fait bon de séjourner à Baynoa !
Ce petit village du temps des Tainos s’étirait sur la
côte du Nord-ouest de l’île d’Haïti dans le caciquat du
Marien, l’une des cinq grandes divisions du territoire.
Quel site enchanteur ! Au lever du jour, une bonne brise
matinale vous caresse le visage. Les doux rayons du soleil levant
baignent les ajoupas éparpillés sur les monticules. Les vagues de
la mer, à un rythme régulier, recouvrent le sable blanc du littoral. »

Ils se marient, éventuellement. Son grand-père, le cacique, aime beaucoup son petit-fils, mais il est méfiant de son âme rebelle, l’irrite plus particulièrement son refus d’avoir plus qu’une seule femme, allant en cela à l’encontre des mœurs et de la tradition. La tension s’accroît, mais le grand-père, homme plein de sagesse, choisit de ne pas faire obstacles aux désirs de son petit-fils :

« Fais ce que tu veux de ta vie, prends la seule femme que tu désires pour le parcours de ton existence. Nos dieux t’inspireront plus tard sur ta destinée. Tu seras le futur cacique du Marien, si tu le veux. » Ils s’embrassèrent à nouveau. Heno remercia son grand-père chaleureusement, ils passèrent à table et dégustèrent les mets succulents, un menu tout à fait spécial.

Ils eurent une longue conversation sur leurs ascendants, leurs mœurs. Heno fit part de ses idées sur l’amour, la fidélité, le problème des couples à l’intérieur du royaume. Le grand-père était déjà imbu non seulement des ennuis des épouses au milieu de ses propres familles, de ses proches amis mais aussi de ceux de ses sujets en général. Ils arrivent à conclure que changer une coutume ancestrale ne sera pas facile. Malgré tout Heno décida de se marier avec une seule femme. Finalement le cacique partagea l’opinion de son petit-fils après des heures de calmes discussions. Ils se donnèrent une accolade affectueuse…»

Puis il y a eu la rencontre des deux mondes que les envahisseurs appellent la « découverte », mais qui était une invasion sauvage justifiée comme promesse de civilisation et de progrès. En fait, le livre met en relief le grand contraste qui existe entre les deux entités de la rencontre, suggérant le questionnement sur laquelle était vraiment « civilisée ».

L’idylle entre un autre couple, Franco Valdorer, un jeune officier espagnol, et Oxana, l’une des filles de Shargbak, le chef du village, donne un élément plus « humain » à la tragédie dont le roman donnera éventuellement forme. Leur idylle s’accomplit aussi tendrement comme toute liaison naturelle entre deux jeunes qui s’attendrissent l’un à l’autre, mais les impératifs et les ingérences du processus historique recèlent les choses du cœur au second ordre…

Le livre se ferme sur le chapitre « Hécatombe », une hécatombe ayant eu lieu non sans la résistance valeureuse des Tainos :

« Caonabo, soutenu par les bandes d’insurgés venant du Marien et de la Magua, ne cessa d’attaquer l’armée espagnole. Colomb n’en fut pas étonné car il est persuadé de la ténacité de ce chef des Aborigènes, un homme fier, brave, plein de détermination… (…) Les valeureux Tainos, qui survécurent dans les chaînes avec les esclaves venant d’Afrique, se fraternisèrent, se partagèrent leurs souvenirs, leurs moments d’allégresse vécus. Ces Aborigènes racontèrent combien leur vie était merveilleuse. Ils pleurèrent amèrement l’arrivée des Espagnols sur leur sol. Finalement tous périrent. Leurs compagnons africains dans un avenir lointain, lointain, feront éclater les chaînes de l’esclavage. (…) Ce commerce odieux de la traite des Noirs dura trois siècles de 1503 à 1804. Un jour, ils crieront : “Grenadiers à l’assaut ! Nan pwen manman, nan pwen pitit sa ki mouri zafè a yo !” “Grenadiers à l’assaut ! Il n’y a plus de mère, il n’y a plus d’enfants. Malheur à ceux qui périssent !”»

Ce nouveau roman d’Anne-Marie Bourand Wolff peut être qualifié comme un roman historique pour sa chronologie et la thématique qui le parcourt, une thématique basée sur des faits historiques, mais il est surtout un roman du quotidien historique réimaginé par l’auteur, avec une belle écriture. C’est un chef d’œuvre.

—Tontongi

Vous pouvez Commander ce livre sur la page de la Presse Trilingue.

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