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Haïti, je t’aime! Ayiti, mwen renmen ou!

Sous la direction de Lysette Brochu, Jean Malavoy et Claire-Marie Bannier, Ottawa, Éditions du Vermillon, 2010, 251 pages

—revue Frenand Léger

Ce collectif, écrit en rapport avec le violent séisme du 12 janvier 2010 qui a ravagé la capitale d’Haïti, rassemble les textes de cinquante-trois contributeurs canadiens, francophones et haïtiens. Au beau milieu de la couverture de l’ouvrage, se trouve une photographie d’une des toiles de l’artiste peintre haïtienne, Mireille St-Cyr, qui réside à Toronto. Au premier plan de la toile, intitulée Porteuse d’eau, on y voit une femme portant une calebasse sur la tête accompagnée de deux enfants en arrière-plan. Cette scène picturale fait référence à la femme dans son rôle de « poto-mitan », expression créole des Antilles qui désigne le pilier central dans le temple vaudou. Cela sert aussi à désigner la personne qui soutient la famille, généralement la mère. Le terme se rapporte à celui ou à celle qui est au centre du foyer, l’individu autour duquel tout s’organise et s’appuie. Les hommes étant souvent absents, c’est la femme qui joue en général le rôle de poto-mitan dans la société haïtienne. C’est une apologie de la femme forte haïtienne, particulièrement de la paysanne, pivot de l’économie du pays et pilier de la famille. Le sujet de la peinture, sa présentation ainsi que ses couleurs vives, justifient peut-être le choix de cette huile sur toile pour illustrer la couverture du livre qui se veut être « un hommage au peuple d’Haïti ».

Si l’illustration occupe une position centrale sur la première de couverture, c’est pourtant le titre de l’ouvrage, de par sa grande valeure référentielle, qui retient le plus l’attention. Le lecteur averti ne manquera pas de remarquer que le titre est écrit en français et en créole avec des caractères de couleurs bleue et rouge. Pour bien mettre les deux versions du titre en relief, on a utilisé des caractères de taille relativement grande. Le français et le créole sont les deux langues officielles de la République d’Haïti. Le français, vestige de la période coloniale, est utilisé en Haïti uniquement dans des situations formelles par une minorité de privilégiés scolarisés se situant entre 10 et 15 pourcent. Quant au créole, c’est la langue maternelle de virtuellement tous les Haïtiens. C’est à travers cette langue vernaculaire que la totalité du peuple haïtien communique, s’exprime et s’identifie. Contrairement au français, le créole constitue l’un des éléments les plus fondamentaux de l’identité collective culturelle haïtienne. L’utilisation des deux langues officielles dans le titre de l’ouvrage en association avec les deux couleurs nationales du drapeau haïtien renvoie forcément à un ensemble important d’informations culturelles et historiques concernant le peuple haïtien. Autrement dit, tout sur la couverture porte à croire que son but est de rendre en effet hommage aux citoyennes et citoyens de la première république noire, et de témoigner de leur « force d’âme ». Mais, il existe malheureusement un contraste déconcertant entre la couverture et le contenu de l’ouvrage en ce qui a trait à la question linguistique.

Le livre est divisé en sept parties précédées d’un ensemble de cinq « TEXTES » introductifs incluant un avant-propos, des remerciements, une dédicace, une préface et un survol de l’histoire d’Haïti. Des cinq textes liminaires, le survol historique est le seul qui présente un intérêt pour le lecteur étranger. Quoique sommaire et contenant des informations passe-partout, cette introduction sur l’histoire d’Haïti a néanmoins le mérite de fournir des renseignements d’une certaine utilité aux néophytes. Dans l’avant-propos, on nous fait une mini-leçon de grammaire créole dont la pertinence est difficile à démontrer dans un tel ouvrage. La leçon porte sur la forme d’un pronom personnel qui figure dans la version créole du titre. Le bien-fondé de cette leçon de créole ne s’appuie que sur la traduction du titre qui elle-même n’a aucune utilité sur la couverture puisque le livre ne s’adresse même pas aux Haïtiens. La preuve en est qu’il n’y a absolument aucune contribution en créole dans ce collectif dont le titre est traduit dans cette langue. On s’attend naturellement à lire au moins quelques textes écrits en créole dans ce livre publié en l’honneur d’un peuple qui s’est toujours battu pour promouvoir et valoriser sa langue nationale. La traduction du titre en créole va à l’encontre de l’horizon d’attente de tout lecteur sensé. En fait, on pourrait même aller jusqu’à penser que cette utilisation gratuite du créole dans le titre s’inscrit dans une forme de doudouisme ou d’exotisme de mauvais aloi.

Quoiqu’il contienne plusieurs textes à caractère documentaire ou informatif, il s’agit bel et bien d’un ouvrage littéraire. Selon les mots de Jean Malavoy dans la préface, « Ces textes […] regroupent tous les genres littéraires : récits, nouvelles, lettres, fables, essais, contes, poèmes et haïkus. » Il convient d’ajouter aux propos de Malavoy que ces textes sont aussi de qualité littéraire fort inégale. À chacune des sept parties de l’ouvrage est attribué un thème-titre autour duquel sont regroupés des textes aussi divers que variés. Le contenu de l’ouvrage est organisé dans un ordre chronologique qui rappelle la vie en Haïti telle qu’elle se déroulait avant, pendant et après le tremblement de terre.

La première partie de l’ouvrage, intitulée « La vie quotidienne en Haïti », comporte une douzaine de textes qui décrivent presque tous la réalité haïtienne avant la catastrophe. Cinq de ces douze premières contributions sont des textes narratifs incluant un récit de voyage, deux nouvelles, un témoignage et un compte rendu. Les sept autres textes appartiennent tous au genre poétique. La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule « Le séisme ». Elle regroupe des écrits de formes diverses en prose et en vers relatant les tragiques événements du 12 janvier pendant leur déroulement. Quantitativement parlant, cette partie est la plus importante de l’ouvrage et c’est aussi, à notre avis, la plus réussie littérairement. Les quinze textes qui la constituent comprennent surtout de la poésie mais on y trouve aussi quelques récits de fiction, une correspondance et deux essais. Dans la partie suivante, ayant pour titre « Conséquences », on y trouve treize poèmes exprimant, dans un ton pathétique et avec beaucoup de sensibilité, l’horreur post-désastre. Pour se faire une idée du contenu de cette troisième partie, il suffit de faire attention au discours très explicite de certains titres notamment « Quand ma terre tremble, c’est mon âme qui s’effronde », « Ma terre est un très vieux souvenir », « Litanie des heures qui auront suivi », et « Le deuil d’Haïti ».

Après « Conséquences », c’est le « Soutien » que les sinistrés attendent de « ceux de là-bas », des Américains en particulier. Cette quatrième partie est l’une des plus courtes de l’ouvrage. Elle contient seulement quatre poèmes remplis de mots gentils et réconfortants pour les victimes du séisme. Quand une catastrophe d’une telle ampleur frappe une communauté si démunie, les victimes sont généralement envahies par un sentiment de profond désespoir. C’est pour remonter le moral de ceux et celles qui ont survécu au séisme, pour leur dire que « Haïti renaîtra à la Vie » que la prochaine section de l’ouvrage s’intitule « Espoir ». Le premier des treize documents qui composent ce cinquième chapitre est un courriel qu’une enseignante de l’école polyvalente Nicolas-Gatineau adresse à Lysette Brochu pour lui demander d’envoyer à des jeunes Haïtiens la lettre et le poème que ses élèves de 14–15 ans ont écrits pour eux. La lettre et le poème en question se placent respectivement en deuxième et troisième position dans cette section de l’ouvrage. À l’exception de l’essai « Au chevet d’Haïti » et de la fable « Haïti : la faute à compère lapin », tous les autres textes de cette partie de l’ouvrage sont des poèmes. Ils sont suivis par « Deuil » et « Religion, spiritualité » qui sont les deux dernières sections du livre. Dans « Deuil », il y a quatre poèmes remarquables dont deux en prose. Il y a aussi un récit « Veillée au Cameroun » qui lui-même détonne de par son contenu n’ayant aucun rapport direct avec le thème principal autour duquel tous les autres textes sont centrés. « Religion, spiritualité » est la dernière section de l’ouvrage en termes de position et de quantité. Elle ne comprend en effet que deux textes : un essai « Haïti, Dieu et le mal » et un poème intitulé « Dieu ».

Tout compte fait, l’ouvrage est en majorité constitué de textes poétiques. Sur les soixante et un textes, quarante-trois sont des poèmes. Hormis quelques-uns en vers rimés, ils sont, soit en vers libres, soit en prose. Les quatorze autres textes, en majorité narratifs, sont partagés entre des témoignages, des nouvelles et des essais. Dans l’ensemble, les poèmes sont de bien meilleure qualité que les autres types de texte. L’écrit littéraire recherche en général une certaine esthétique du discours par l’utilisation d’effets de style et d’images. Pourtant, à l’exception de quelques-uns comme « Un homme heureux » et « Apocalypse. Colère de Minautaure », la plupart des textes narratifs et non poétiques de l’ouvrage souffrent d’un manque de visée esthétique. Ces textes sont écrits de manière tellement prosaïque qu’il serait difficile de démontrer leur littérarité.

Après la lecture de ce livre écrit en hommage au peuple haïtien, dont le titre est traduit en créole, et auquel dix-huit Haïtiens ont contribué, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise de constater qu’il n’existe, parmi les soixante et un textes, aucun écrit en créole haïtien. Haïti, je t’aime ! Ayiti, mwen renmen ou! est donc un livre écrit au nom des Haïtiens créolophones unilingues victimes du tremblement de terre, mais destiné exclusivement aux Francophones. Les « porteuses d’eau », « les enfants du soleil », « les Haïtiennes et les Haïtiens » qui ont faim et soif, que l’on veut aider et honorer par la publication de ce livre, dans quelle langue communiquent-ils? Dans quelle langue comprendraient-ils ce vibrant hommage que l’on veut leur adresser?

—Frenand Léger Département d’études françaises, Université de Toronto

http://utpjournals.metapress.com/content/120331?sortorder=asc (University of Toronto Quarterly)

http://utpjournals.metapress.com/home/main.mpx (University of Toronto Press)

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