Poème de Charlot Lucien
Une main s’élevant au milieu des décombres
Hier un superbe bâtiment
Un monument à la vanité humaine
En plein milieu de la ville…
Et quelque chose bouge au milieu des débris
De ce qui en reste aujourd’hui.
Une main
Une main porteuse de ses cinq doigts—
Un grâce à laquelle nous nous sommes habitués.
Une main? C’est tout?
Dis-moi plus, raconte,
Est-elle lisse? Manucurée? Calleuse?
Est-elle noire? Est-elle blanche?
Est-ce la main du maître de la maison, Monsieur LeMoi?
Du touriste bienveillant qui le visitait
Ou celle de la servante Philamandré?
Personne ne peut dire…
C’est tout juste une main, une main sanglante
Grisâtre et couverte de poussière
Et survolée par une chorale d’insectes
Sifflotant leur anticipation abjecte.
Mais c’est qu’elle bouge! Elle bouge!
Et l’un des doigts, quoique faiblement,
Semble me dire et dire au monde
“Approchez, plus près, plus près…”
Oui, une main bouge au milieu des décombres
Couverte de sang, de poussière et de cendres,
Et nul ne peut dire si elle est noire, blanche
Lisse ou calleuse…
Mais elle bouge!
Et il me semble maintenant,
Qu’elle a tout simplement besoin d’être lavée
D’être réchauffée,
D’être tenue entre d’autres mains…
Et pendant que je la tiens
Et la lave, et la réchauffe…
Te joindras-tu à moi
Avec tes mains nues—si tu n’as pas d’outils
Pour creuser autour d’elle
Pour aider à dégager un bras
À dégager une tête
Une poitrine oppressée?
Un corps meurtri, mais vivant!
Nous pourrons tous ensemble alors
Nous rassembler
Pour aider à rebâtir de nouvelles vies,
Aider à rebâtir l’espoir.
(Janvier 2011)
—Charlot Lucien
Des poèmes de Edner Saint-amour
Nouveau Monde
(Sur l’amour)
Ah ! Un jour l’humanité sera
Un grand havre de solidarité
Quand la vue de l’œil cesse ses ébats
Et le cœur parle de la fraternité
Ah ! L’humanité se construira
Sur une véritable fraternité
Quand l’œil se tait sur tout ce qu’il voit
Et le cœur parle de solidarité
Homme cessera à jamais de voir le monde
Par les couleurs qui stimulent la pupille
Son cœur parlera d’amour en haute onde
Aux radiations de l’étoile qui scintille
Quand l’œil jusqu’à la silhouette inconnue
Cesse de voir le monde par le regard de la vue
Homme marchera dans la voie du bonheur
Ensourçée de doux élans du cœur
Alors émergera un nouveau monde
Où l’amour sera toujours en onde
L’ère d’une nouvelle humanité
Qui reposera sur la fraternité
Alors émergera un nouveau monde
Où l’amour sera toujours en onde
L’ère d’une nouvelle humanité
Qui se bâtira sur la solidarité
Alors émergera un nouveau monde
Où l’amour sera toujours en onde
L’ère d’une nouvelle humanité
Qui se construira sur une éternelle unité
Alors émergera un nouveau monde
Où l’amour sera toujours en onde
L’ère d’une nouvelle humanité
Qui sera faite d’une parfaite sensibilité
Allons! Blancs ou noirs, jaunes ou rouges
Unissons-nous tous au socle de l’amour
Pour transcender ce monde qui bouge
N’attendons pas au passage du dernier jour
Construisons ensemble un grand havre de paix
Où le cœur restera tranquille et l’âme gaie
Au monde l’amour est le seul bien précieux
Dans la vie qui puisse nous rendre heureux
Certes, l’argent favorise le confort
Mais aussi son train atèle son sort
Certes, il apporte un peu de sécurité
Mais la division trahit souvent la sérénité
L’amour est le seul véritable ferment
Qui nous garde vaillant au choc des ans
Unissons-nous tous au socle de l’amour
Sur terre c’est la raison de notre séjour
(Octobre 2010)
Bonheur
Souvent je rêve d’un nouveau monde
Où l’on parle d’amour à la ronde
Où les cœurs respirent entrelacés
Le doux parfum de l’amitié
Souvent je rêve d’un nouvelle humanité
Où l’amour se chante au rythme ponctué
De plaisir, de liesse, de joie, d’allégresse
À travers nos cœurs tout pleins d’ivresse
Souvent je rêve d’une planète
Où l’amour se lit du cœur à la tête
Où l’amitié sera à jamais au rendez-vous
Comme les papillons aux arômes des bambous
Si nous pouvons oser nous offrir de tendresse
Pour enguirlander nos jours d’ample allégresse
De nos entrailles à travers les secrètes profondeurs
Ainsi s’écrira pompeusement le noble mot : BONHEUR
(Octobre 2010)
Regard du cœur
Si l’on cesse de voir le monde
Avec l’œil de la pupille
Pour le voir avec le regard du cœur
Combien le monde serait plus beau
Si l’on cesse de voir le monde
Avec l’œil de la pupille
Pour le voir avec le regard du cœur
Combien le monde serait plus grand
Si l’on cesse de voir le monde
Avec l’œil de la pupille
Pour le voir avec le regard du cœur
Combien le monde serait plus bon
Si l’on cesse de voir le monde
Avec l’œil de la pupille
Pour le voir avec le regard du cœur
Combien le monde serait parfait
Si l’on cesse de voir l’humanité
Avec la vue frivole de l’œil
Combien l’humanité serait meilleure
Combien l’humanité serait heureuse
Si l’on cesse de voir la planète
Avec la vue frivole de l’œil
Combien elle serait merveilleuse
Combien l’âme serait heureuse
On aurait un monde plein de fraternité
On aurait un monde plein de solidarité
On aurait un monde plein de sociabilité
On aurait un monde plein de solide unité
On aurait une planète pleine de sensibilité
On aurait une planète pleine d’affectivité
On aurait une planète pleine de grégarité
Décrivant une humanité pleine d’unité
Touchez moi par le regard de ton cœur
À chaque heure
Pour savourer ensemble une coupe de bonheur
Sans rancœur
Mettons la haine en cage
Pour livrer l’amour en partage
Tout sera pour le mieux
Vers un monde plus harmonieux
Mettons la rengaine en cage
Pour donner l’amour en gage
Tout sera pour le mieux
Vers un monde plus harmonieux
Mettons la haine en prison
Pour que l’amour s’ouvre à l’horizon
Tout sera pour le mieux
Vers un monde plus harmonieux
Mettons la rengaine en retraite
Pour remettre l’amour en fête
Tout sera pour le mieux
Vers un monde plus harmonieux
Hélas ! La zizanie comme la rancune
Est d’un malheur sans espérance aucune
Seul l’amour peut nous verser d’espoir
Pour avancer vers le pôle de la victoire
Aimons-nous donc à tout instant
Meilleur cadeau, précieux présent
L’amour est fait pour être vécu
Attrapons-le, il sera la bienvenue
Un mot d’amour vaut mieux que mille pièces d’argent
Quand on ne l’a pas tout, au sein devient déprimant
L’amour est un trésor qui ne s’achète pas
En jouissons-nous jusqu’au dernier trépas
(Octobre 2010)
Échos d’amour
Quand mes échos de l’amour en vigueur
Résonnent dans ton âme et ton cœur
Je vois la vie dans pleine jeunesse
Fleurir d’ivresse, de joie, d’allégresse
Je vois la vie sans cesse s’agrandir
Comme une fleur venant de s’épanouir
Dont la sève arrose les seins
Qui s’y infiltre comme dans un rêve
Sur ton visage se dresse un sourire radieux
Déclinant ton âme et cœur tout joyeux
En ce jour, l’amour s’est mis en phase
À chaque lettre de chaque mot de ta phrase
Sur mon visage se dresse un sourire radieux
Déclinant mon âme et mon cœur tout joyeux
Car l’amour qui ondule se déclenche
Comme la vague d’un ruisseau en avalanche
Le bonheur enlaceur de nos cœurs
Se lit sur nos regards enjôleurs
Sur leur contour d’éternelle allégresse
Dans un monde fou d’extase et d’ivresse
Ainsi nous chantons l’amour en chœur
Qui soudain gravit toutes les hauteurs
À travers un écho parlant de fraternité
Dans un monde tout plein d’humanité
Verbe d’amour
Est-ce que je suis noir
Parce que la couleur de ma peau est noire
Non ! Non ! Non ! au rythme de l’amour
Mon âme crépite, mon cœur bat tous les jours
Est-ce que je suis blanc
Parce que la couleur de mon front est blanc
Non ! Non ! Non ! au rythme de l’amour
Mon âme crépite, mon cœur bat tous les jours
Est-ce que je jaune
Parce que la couleur de mon teint est jaune
Non ! Non ! Non ! au rythme de l’amour
Mon âme crépite, mon cœur bat tous les jours
Est-ce que je rouge
Parce que la couleur de mon ventre rouge
Non ! Non ! Non ! au rythme de l’amour
Mon âme crépite, mon cœur bat tous les jours
Hélas ! Cessons de toujours nous tromper
Car nous sommes de la même humanité
Tous les cœurs se battent au même rythme
De l’amour qui se défile comme dans un film
Frères humains ! Aimons donc ce que nous sommes
Que l’on soit ou rouge, que l’on soit noir ou blanc
L’amour reste le plus précieux présent qui se donne
Et se chante à travers tous les cœurs à tout instant
Parlons la noble langue de l’humanité
Pour arroser notre vie de fraternité
Le temps passe sans point faire demi tour
Seul l’amour peut ralentir nos vieux jours
Parlons d’amour en célébrant sa victoire
Que l’on soit jaune ou rouge, blanc ou noir
Le temps passe sans point faire demi tour
Seul l’amour peut ralentir nos vieux jours
Comment renier l’autre auquel je suis rattaché
Par l’amour, l’amitié, l’affectivité, la sensibilité
Puisque nous sommes de la même humanité
Puisque nous connaissons la même destinée
Attrapez dans mes regards quotidiens
Quelque brin d’amitié et d’amour
Le temps nous fuit sans revenir au départ
L’amour seul est notre allié dans son rempart
Soyons au grand salon de l’amour
De fidèles convives de toujours
Car la vie décrit un variable cycle fini
Où la mort a toujours gagné le pari
Profitons des moments de la vie
Qui s’accumulent en amas infinis
Jouissons de l’amour, de l’amitié
Ce bien précieux qui nous est donné
Que notre langue parle d’amitié et d’amour
À tout grain de vie qui vient poindre au jour
Jouissons de ce précieux présent
Qui ne s’achète pas à pièce d’argent
Ô Amour, l’amour, un bien qui se donne
Aux cœurs bienveillants qui s’y adonnent
Parlons d’amour en célébrant sa victoire
Que l’on soit jaune ou rouge, blanc ou noir
(Octobre 2010)
—Edner Saint Amour
Poèmes de Guamacie Calice
Toute île marche de pair avec son insularité.
Je ne t’en veux pas
Crois-moi
Pour en avoir enfin choisi un
Peut-être que tu aurais dû le faire avant même que je t’ai connue
Peut-être que je ne t’aurais pas détestée autant
Je n’aurais pas à supporter cette honte de te compter
Parmi les couis dans lesquels j’ai égrené des battements de mon cœur
Moi je ne l’ai pas encore fait
Mais tu peux en être sure
Je le ferai au moment opportun
Je le ferai parce que le vent dévoilera forcément aux lampes allumées
Au moins quelques traits de sa mission secrète
Je le ferai parce que les pylônes cesseront
D’être complices des interceptions fantômes de la ville
Je le ferai parce que j’ai toutes les raisons
En tout cas ce n’est pas par circonstance
Toute île marche de pair avec son insularité
Et parmi les autres raisons qui me poussent à la faire figure en première position
L’envie de toucher la silhouette du temps accroché dans une cheville de crépuscule
Et celle de l’aube qui de son antre incubateur guette le pouls de la vue
L’autre raison ma chère qui me pousse à faire un choix
Est le fait que toute histoire met en évidence deux ou plusieurs parties
Étant donné que je rêve de la mienne et qu’il me manque l’autre entité nécessaire
Je suis obligé de me la procurer
Et puis toute île est condamnée à vivre avec son insularité.
Un oisillon
Un oisillon s’envole
des paupières d’un gondole
à la conquête d’une comète cavée
à la conquête de la saison brulée
un oisillon mille couleurs
mille splendeurs
mille diamants flotte
entre un champs et une motte
entre le début et la fin
d’un grand chemin
un oisillon vient de tisser
un morceau de nuage caillé
pour pouvoir attraper le soleil
dans son orbite d’orgueil
pour pouvoir saisir l’altitude
dans toute sa plénitude.
Si je n’y suis pas
Ce n’est pas parce que mon désir n’est pas éclos
Ni parce que je porte tout le poids du monde sur mon dos
Non si je n’y suis pas avec mon cœur dans ma main
Et mon âme aux élans tirés du pont diamantin
C’est parce que j’ai la conscience pourrie
Un chien y fait pipi à chaque levée de nuit
Et j’attends qu’un soleil dissipe mon engourdissement
J’aurais aimé dans ma place de maillon ici en ce moment
J’aurais aimé trinquer les verres aux graviers du vent
Allumer une bougie entre les deux cuisses du chaos
Le chaos dont ne s’éteint pas encore l’écho
Mais j’ai le désir dans une embarcation à voile
Il est sur le point de toucher la destination infernale
Et j’attends qu’un âne brait dans ma frustration
Si je n’y suis pas ce soir c’est parce que j’ai le désir
Aux fondements mouvants dont la face est à fourbir
Pour recueillir un brin de luminance et quelques rayures
Il supporte amèrement l’usure les cicatrices et les ratures
Faites par l’obligation le quotidien cambrioleur
De corps d’esprit d’avenir de rêve et de bonheur
Je demeurerai île jusqu’à ce que j’apprivoise mon insularité
—Guamacie Calice
Poème de James Pubien
Cahier d’absence
(À elle)
8 heures et demi
J’écris au silence
Une lettre anonyme.
9 heures pile
Aussitôt, le jour,
Éveillé, tout moi
Est élégie—hormis
Le rêve.
9 heures pile et 20 secs
Nu, j’invente une route. Le ciel
Teintait bleu. La journée
s’accélérait ; déjà ! s’enfuyaient
des horizons.
10 heures et 11 minutes
Ton absence en errance
Sur mes lèvres
Réveille
L’air enjoué
D’une bien vieille comptine.
Au nom de quoi, ton nom
S’accorde à la désinvolture
De la chanson insoupçonnée
11heures et 20 minutes
Dans la lumière du jour,
J’esquisse ta fuite. Je
Frémis. O ! doux frissons…
Mais !
Où vas-tu, petit poème ?
Tu es ce que je confie au
Silence.
Mais !
Où vas-tu, petit poème ?
L’éternité avilit ce qu’il
Rend immortel—
Mais !
Où vas-tu, mon absente…
12 heures et une minute
Mon corps un peu transi
Attend son verdict, tes
Vendanges de lumière et de
Parfum.
12 heures et une minute
Le temps se contient.
Mon amour déborde.
O ! le bonheur existe
Puisque tu…
Le bonheur existe
Parce que tu…
12 heures une minute et 20 secondes
Tout silence est bavard
À qui sait écouter
12 heures une minute et 30 secs
J’écoute !
(Extrait d’Atelier, un recueil de James Pubien publié aux Éditions Bas de Page, la vente de signature a eu lieu le 14 novembre 2010 à l’Institut Français de Port-au-Prince)
Poèmes de Jean Saint-Vil
Douze-un-dix
La terre sur nous trembla
À la vitesse de la mort
La ville se brisa
Comme des assiettes de faïence
Tout le monde s’affola
S’agenouillant les bras ouverts
Et les murs s’envolèrent
Emprisonnant ou terrassant
Dans les décombres et les gravats
Les morts et les blessés
Au tableau sombre d’un mardi noir.
Vœu de mort
J’aimerais mourir
Raide sur une femme
Raide morte aussi
Dans le moment
D’une épectase
D’elle et de moi
Au même instant
Qui nous étrangle
D’une même mort
Dans sa splendeur.
J’ai dans l’âme une odeur indicible
De vertige qui monte
Comme une eau de marée
Qui prend le pas sur le sable de la plage.
Une senteur si complexe
De relents de fruits de mer
Où se délaient goémons,
Algues vertes, anémones,
Et souvenirs de naufrages
Qui remontent à l’amont
De la nuit des temps morts.
De relents qui obstruent
Les chemins invisibles
Des épices, de l’or, de la soie, des esclaves, de la drogue,
Où les voiles, les gondoles, les pirogues, les hors-bord
Ont sombré,
Près des syrtes, des coraux, des brisants, des dérives,
Avec eux les marins et bien d’autres,
Négriers, trafiquants, drug dealers et passeurs,
Dans les eaux assoiffées de la mort.
La voix
La voix, c’est de l’air enroulé, plus vivant que le vent. Entre
colère et douceur, elle monte au créneau comme les
marches de guerre qui de la paix sonnent le glas au pas de la
mort dans l’âme. Elle chante, elle chuchote, elle fredonne,
dans les sons qui font mouche comme les branches des arbres
au cœur rageur des tempêtes. Elle titille, elle aspire, elle
soupire, elle tutoie, elle vouvoie, elle rudoie, elle louvoie dans
les phrasés qui creusent et qui bombent le torse dans leurs
sanglots sinueux qui font craindre le meilleur et récoltent le
pire.
La voix rit, la voix pleure, la voix crie, la voix siffle, la voix
souffle, à tue-tête comme les cuivres qui explosent en
tonnerre sur des scènes en délire où éclatent les larmes de rire
dans les rides qui des âges creusent les tombes.
La voix porte conseil dans les nuits qui résonnent en échos
dans les rêves ou les coups de massue des cauchemars qui
nous gâchent ce qui reste des sommeils.
La voix peut roucouler, se la coulant si douce en trémolos
douceur comme les chants des colombes dans leurs salves
d’amour.
La voix souffre en sourdine du dedans, jusqu’aux pleins et
déliés où se gravent en toutes lettres les grands chagrins
d’amour. La voix donne à toute heure des leçons qui sont dures à
apprendre dans les creux de nos méninges, aux couleurs
contrastées de nos sautes d’humeur. La voix sait s’enrocher dans la peau du silence, s’affubler sous le masque du parjure, mettre de l’eau dans le vin de sa colère, en faisant des miracles qui font tilt comme les (quatre mots supprimés) poses de première pierre des amours qui se donnent à cœur joie dans les cœurs pleins d’espoir.
L’arbre qui cache la forêt
L’arbre éclate au grand jour, à mes yeux, par ses feuilles, par
ses fleurs, par ses fruits, ses racines, cachant toute la forêt,
sous tous les angles de vue, de profil, ou de dos, ou de face.
L’arbre trône et plastronne comme un dieu, qui ne cède ni sur
terre ni au ciel une parcelle de beauté dans le champ vaste et
pur de l’univers.
Et pourtant, tout serein reste l’arbre, résistant du trop plein de
sa sève, au déluge de louanges éperdues dont l’entourent, à
toute heure, les passants qui le couvrent de regards attentifs,
de leurs yeux grand ouverts, dans le champ invisible de la
forêt alentour, qui fume jour et nuit.
L’arbre est beau en tout temps, aux reflets des soleils qui
rehaussent ses verts, aux fines gouttes de pluie qui sèment sur
sa ramure des perles de cristal, aux jeux sombres des ombres
sur le sol à ses pieds dilatés quand s’agite la brise à fleur des
baisers d’amour dont il est témoin muet.
L’arbre est roi, rayonnant dans l’effet de halo qui s’exerce sur
son fût, de sa tête à ses bases, du vertige qu’il génère quand
on cherche sa cime, des pinceaux qu’on s’emmêle quand on
compte ses racines, de la magie qu’il fabrique quand on le
prend dans ses bras.
L’amour in vitro
Faire l’amour in vitro,
Face à face à une glace
Dénommée solitude.
Faire l’amour in vitro,
Dans sa triste couchette,
À l’appel du désir.
Faire l’amour in vitro,
Comme une seconde nature
Qui te nargue à distance.
Faire l’amour in vitro,
Contre sa propre nature,
Au grand dam de ses draps.
Les femmes, elles aiment ça
Quémander des caresses,
Les femmes, elles aiment ça,
Et à répétition.
Elles aiment se faire prier
Sur l’autel de l’amour.
Elles aiment faire chanter
Pendant que leur cœur chante.
Elles aiment donner le change,
Avant qu’elles mêmes ne changent.
Elles finissent par craquer
Comme des bulles de bonheur
Pour toujours donner plus,
Jusqu’au bout du suspense.
Le dur réveil
Il est très rare de se lever, tout feu tout flamme, sauf si une tasse de café vous pend au nez avec le pain d’une parole qui réconforte. Combien de fois on saute du lit de son plein gré sauf si on fait un grand effort à la limite du surhumain en s’étirant mille et une fois pour retomber mille et une fois sur l’oreiller ?
Le réveil est rarement voulu, souvent forcé comme les contraintes d’un contrat qui vous enjoint des directives, qui vous tracasse à contre-cœur et qui vous laisse un goût amer au bord des lèvres.
La meilleure façon de se lever est de faire la grasse matinée en parvenant à un moment où l’on en a marre d’un lit trop chaud et de foutre en l’air l’oreiller sans qu’on ne sache où il git par terre.
Le pire moyen de se lever est la pression du réveille-matin qui coupe en deux le dernier rêve ou le sommeil du petit matin de part et d’autre d’une ligne de crête aussi tranchante qu’une baïonnette au bout du canon.
Le pour, le contre
Le pour, le contre, et le meilleur, craignant le pire, en attendant le mieux dans le meilleur des mondes où rien n’est au beau fixe quand on croit au bonheur.
Le pour, le contre, vers le juste milieu, de part et d’autre duquel les parties sont égales sinon équivalentes en les superposant sans pour le moins du monde préjuger de leur sort.
Le pour, le contre, envers et contre tout pour une question de mort, à tort et à travers, cloué au pilori où tout peut s’écrouler derrière les cieux de lune où tout est irisé dans les bras de l’amour.
Le pour, le contre, pesant les idées fixes dans tous les faux-débats où rien n’est jamais clair dans le creux des têtes qui pensent.
Le pour, le contre, en fin de compte, mettant dans la balance toutes les intentions qu’elles soient bonnes ou mauvaises, pour prendre une décision, qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Je suis fait pour aimer
Je suis fait pour aimer,
Désaimer, ré-aimer,
Autant celles qui m’aiment
Que celles qui ne m’aiment pas,
Pour revenir chaque fois
À l’état de non-amour,
Sans donner jamais cher
De la peau de l’amour.
Je suis fait pour aimer,
Même celles dont je n’ai
Que la chance de ne voir,
D’entrevoir que le haut
De leurs fesses bien charnues,
Dans les taptaps qui passent,
Où le galbe de leurs seins
Attirant à toute heure
Les regards des mordus du sexe fort,
Dans leur course effrénée
Vers les jeux de l’amour.
Je suis fait pour aimer,
Acquiescer les caprices
De toutes celles que j’aime,
Avaler nuit et jour
Leurs couleuvres monstrueuses
Comme ces comprimés
Que l’on prend à heure fixe
Pour rester au plus haut
De l’échelle de l’amour.
Je suis fait pour aimer,
Jusqu’au bout du plaisir
Qu’il commence par la fin
Ou le milieu sans me poser
Des questions longues ou courtes
Sur ce que c’est que
Les aller et retour de l’amour
Entachés des errances et erreurs
De ceux qui ont juré
À l’envi de s’aimer jusqu’au bout,
Rien que du bout de leur langue.
Je suis fait pour aimer,
De mes lèvres, de mon corps
Quand il colle à ton âme,
Dans l’espace épicé
Du menu d’une nuit
Plein de rebonds dans les bras
Doux et chauds de l’amour.
—Jean Saint-Vil
Poèmes de Tontongi
Une aperception du campeur
Son visage est défait
tel un rebours de quoi que soit
depuis notre dernière rencontre
par les rides soudainement apparues
les ossements sous les assauts du temps
élongés tout au long du menton
comme si venant d’une longue traversée.
Je le revois le lendemain
d’une allure pressée et gaie
mais comme pour aller nulle part
il a perdu son calme regard d’introspection
qui questionnait en silence le destin
même si sans jamais le défier.
Je le revois marchant à grands pas titubant,
semblant se résigner au grand troc
de la dégradation galopante du corps
contre de fous moments de plaisirs de l’instant
dans les abîmes du non-retour
comme la voie tracée depuis longtemps
inéluctable comme une perdition.
Pour mieux vivre ses élucubrations
dans les néants de l’extrasensoriel
il s’est longtemps avoué vaincu
pensant que c’est le péché fondateur
qu’on lui fait croire d’avoir commis
qui le dispense de toute obligation.
Il n’est jamais retourné du voyage
qui l’a envoyé dans les ténèbres du temps.
(Juillet 2010)
L’holocaustesque Vide et le projet de l’Être*
(dédié aux victimes du tremblement de terre du 12 janvier 2010)
Imagination dépassée
comble de malheur
Indélébile douleur
l’holocaustesque Vide.
C’était aussi vrai, la lente agonie
les briques de ciment s’agitant
éperdues comme des fous asilés ;
les disparus sous les décombres
la mère qui cherche son enfant
l’enfant qui cherche depuis dix jours
le père qui n’a jamais connu l’angoisse
gémissant au-devant des débris anonymes.
J’ai pleuré même de loin
au-delà des mers bleues charriant ce destin
de marronnés de la terreur intarissable
marronnés de la nature s’adonnant à la démence
s’en foutant des détresses causées.
J’ai pleuré les horreurs de l’instant
le règne inexorable de la Malsité ;
ceux qui vont et qui ne reviendront plus
les enfants qui ne connaîtront pas l’enfance.
J’ai pleuré la peur des lendemains incertains
le désarroi face au torrent de pluie qui s’annonce
l’appréhension sous les grippes de la mort
le retour à l’animalité du corps
exposé à la nudité de la contingence.
J’ai pleuré la désacralisation du corps
cette esthétique violée par la démence,
ô incontrôlable nature endiablée et furieuse !
J’ai pleuré l’absence de la silhouette mystérieuse
de la majestueuse cathédrale de Port-au-Prince
enfouie dans la pénombre du temps, expulsée
de l’espace, dénudée, exposée à l’évanescence ;
elle fut la mère nourricière du Bel-Air
le haut lieu pour les grands Te-Deum
comme pour les conjurations de l’ennemi
le carrefour des sacrifices innommables.
J’ai pleuré les victimes innocentes
celles qui ne se la coulaient pas douce
les trépassés d’un mardi de malheur.
J’ai pleuré, et aussi gardé l’espoir
même englouti dans l’hécatombe
quand la souffrance semble infinitésimale
au-devant du grand Vide fait d’horreurs
qu’un jour la vie s’humanisera, on l’a vu,
là-bas, un instant même dans le pleur et la peur ;
oui la vie s’humanisera comme on l’a vu
se présenter tels des joyaux de souvenirs
dans le surgissement de l’humanité en action.
Et si le tout et tout le temps
après des bouffées de malheur
après que des os furent craqués
sous des coups d’un destin malmenant
après la plongée dans l’averse de la nature
en ébullition et en chute libre
hors de son axe d’équilibre,
n’étaient que les rêves de la fable
la route sans guide et sans destination
le haut lieu de la mort sans avertissement
la contingence en crise de nerfs
Freud et Méphisto
Jésus et Moïse
Boukman et Fatima
Mohamed et Bouddha
les Taliban et les évangélistes
en fusion dans la terreur de survivre
complices dans les péchés du Néant ?
Ils ne reviendront plus, les disparus
sacrifiés par la mesquinerie de l’avarice
rejetés par l’humain accablé
dans les tréfonds nauséabonds de la crasse
dans la bêtise animalière de l’instinct
celui-là qui fait mépriser l’être
qui dégrade et exploite à merveille
qui cultive le bluff de l’ordre parfait
de l’assurance contre la Malchance
malgré la preuve criante de la merde.
Et si le tout et tout le temps
n’étaient que cet anéantissement soudain
dans un instant sous les débris impénétrables ?
Un cadavre pour la fosse commune
sans nom et sans même un numéro ?
Et si le tout et tout le temps
au fond n’étaient qu’un pleur de plus
la matière et l’absence se combinant
pour pétrifier l’émoi dans l’angoisse ?
Pourtant, Haïti est la famille
même quand elle semble venir de loin
elle a jadis fait la gloire et la richesse
des grandes plantations et des gros exploiteurs
des grandes cours d’Occident et d’Orient.
Jadis elle bâtissait des États-nations florissants
qui font encore la fierté des peuples victorieux
beaucoup y sont venus au grand rendez-vous
pour l’achèvement du rêve d’être d’Haïti.
Aujourd’hui avec joie elle accueille
venant des quatre coins de la terre
pour sauver la vie et honorer l’humain
vous autres qui soulagez nos peines
et partagez notre rêve d’un monde ré-imaginé !
Elle dit bravo ! bravo aux âmes solidaires !
Bravo aux docteurs, aux infirmières et infirmiers
qui se sont mobilisés pour sauver des vies !
Bravo à tous ceux qui défient la censure
pour prendre témoignage de l’inconcevable !
Bravo aux bâtisseurs secoureurs de tout bord,
champions de la décence de vivre !
Haïti est aussi l’éclaireur
qui montre du doigt le chemin
et la lumière qui éclaire dans le noir
elle a besoin de défenseurs
et non des envahisseurs empereurs ;
Haïti est le projet de l’être
la promesse de 1789 et de 1791
l’espoir de 1776 et de 1804
le fondement du possible
la réalisation de l’impossible
les corps qui deviendront des cadavres
les montagnes qui recouvrent leur plateau
même quand elles grondent de colère.
Haïti est le non-signifiant du signe
et la signalisation de l’insigne
un être de duale incarnation ;
elle est notre angoisse et notre damnation
et notre mauvaise foi éternelle
le moyen de notre rédemption ;
elle hante notre fausse quiétude
elle est notre passé et notre futur
Haïti est le projet de l’être.
—Tontongi Boston, © mars 2010
Ce poème est aussi publié dans Poetica Agwe, et aussi dans le livre collectif Haïti je t’aime, Ayiti mwen renmen ou, édité par Lysette Brochu, Jean Malavoy et Claire-Marie Bannier, éd. Vermillon, Ontario, Canada, 2010.
Poème de Mario Malivert
Chant d’espoir
1.
thrène entre chaque faisceau
rougeoiement d’atomes
ultraviolets sur les pores
transpirer la rancissure des nuits
à la transparence des âmes
à l’esquintement des affables
suer le coma des soleils
au caquet des langues frêles
à chaque trépas des vies
2.
entre le pire et le gâchis
d’êtres pris dans des tissus de bave
la léthargie aux pans des cris
hurler de sinistres envies
dans les épines des désirs
de résister
se morfondre au seuil
des fioles d’assorossi
feuilles charriant les transes
3.
ta conquête des roses
au clair-obscur des jours mornes
un caillou au dru de l’eau
tas de vrilles sur nos balcons
aile d’hirondelle au coin des lèvres
amer le ramassis des luttes
à chaque volet de l’histoire
des nacelles tanguent sur la mer
l’épiderme calleux au froid des fers
4.
oh la barre en terre cuite
croisée entre le fini de nos délices
et les slaloms de l’odyssée
je me ronge les ongles
au présage des brises froides
le moisi sur notre foi
foi dans le fini de nos rêves
la splendeur de nos griseries
le cartel de nos visées
5.
espérer aux confins des joutes
la sustentation du lendemain
sur les séquelles des nostalgies
écloper le dur des risques
sur ton d’ouverture
hors la luxure du vide des vies
gober le silence des liesses
entre le songe et le réel
le fait souhaité et l’accompli
6.
à la dérive des nefs brimbalantes
éteintes les lueurs émaciées
s’éblouir à la brillance des astres
la brume à l’entour des lampes
clarifier l’air des embruns visqueux
contourner le péril des sables mouvants
défuntes les plaintes aux environs
des huttes perdues entre les vallons
de Jean Rabel et le ras de Titanyin
7.
à l’ivresse des rêves acquis
du concret de l’esquisse des buts
oubliés les stigmates d’hier
sur les ruines d’heures caduques
vestiges de brasiers anachroniques
un vautour prend son tour de garde
acrimonie pendue au pilori
balance taboue démontée en vrac
les ogres en fuite errent dans les caves
8.
enrayer les réminiscences-souffrances
combler les arènes oublier les escarmouches
nous sommes entre les spasmes des transes
l’auréole coiffe notre présent
levons la tète à l’éblouissement des soleils
ouvrons nos pores à la fraicheur du jour
notre futur sera merveilleux
garni de roses vermeilles