Si Haïti a dû passer par les armes pour faire entendre au monde le cri de son âme meurtrie par l’esclavage ; d’autres circonstances lui ont appris que les armes n’apportent pas toujours les solutions escomptées. En effet, pour en venir à bout de l’occupation américaine, après l’échec des armes, le pays a dû mener un combat culturel et artistique. Sa littérature, son art, son artisanat, en dépit des catastrophes (qu’elles soient provoquées par la nature ou par l’irresponsabilité des homes), gardent encore et toujours toutes leur profondeur et leur dignité. Ce n’est pas pour rien que Normil Sylvain avait confié la renommée du pays aux écrivains et artistes.
“Young Girl” par Vady Confidant, huile sur toile, 24x30, participant dans l’exhibition «Quand nos pinceaux ont tremblé», 2011.
Beaucoup d’écrivains et artistes qui ont répondu avec promptitude et efficacité à l’appel de Sylvain sont originaires de Jacmel. Ville touristique par excellence non seulement pour son histoire ou son architecture, mais aussi pour son artisanat et son carnaval. On peut donc comprendre pourquoi elle est érigée en lieu de pèlerinage par tous les amateurs d’ambiances culturelles et artistiques.
Nous pouvons affirmer sans grand risque de nous tromper que la peinture est le premier parmi les arts à permettre au pays d’avoir une vraie place dans l’espace culturel mondial. En vue d’une telle réalisation, la ville de Jacmel n’a pas lésiné sur ses talents. La grande aventure de la peinture dite primitive ou naïve, aurait peut-être une autre saveur sans les touches originales des noms de Castera Bazile, Préfète Duffaut, Wilmino Domond.
Plusieurs grandes expositions internationales à la fin des années 1940 avaient consacré la peinture dite primitive haïtienne comme la seule vraie expression plastique de l’art haïtien. Avant cette consécration, une grande dame venue de Jacmel, Luce Turnier, commençait déjà à s’imposer dans la catégorie des peintres non-primitifs au Centre d’Art—créé dans le pays par Dewitt Peters en 1943–44. Aujourd’hui, elle est considérée comme l’une des plus grandes figures de la peinture haïtienne. Que dire aussi de cet enfant terrible de notre peinture : Célestin Faustin, peintre au pinceau d’or, né dans une petite localité de Lafond, peut être comme l’un des rares peintres haïtiens capables de parodier Jean Jacques Rousseau en disant « je suis le sujet de ma peinture ».
Le 12 janvier 2010, les pinceaux ont tremblé comme la ville, le pays. Certains sont fêlés, cassés voire effondrés comme les maisons, les bâtiments. Tant de gens croyaient que les maitres ainsi que la relève étaient anéantis à jamais ; que les pinceaux qui hissaient cette ville au faîte de l’art haïtien allaient se taire désormais. Et pourtant, le jour où la fin semblait être proche ; le temps semblait vouloir enfin s’arrêter, un cri se fait entendre à travers la ville ; les pinceaux se remettent brusquement à leur tâche avec plus de conviction, les couleurs envahissent les toiles avec plus de vigueur. Et les noms de Laurent Maccene, Laurent Wilbert, Dominique Galates, Lamour Michel, Vernet Patrick, Lamour Noreston, Lamour Rose-Marie, Laurent Olivier, Domond Washington, Garaud Reginald, Paul Homère, Laurent Rénold, Jean Lionel Guivard, Confident Vady, Colin Ronald, Plaisimond Gérald, Massena Daniel, Lamour Sergo, Jean Pierre Jacques-Philipe, Présumé Margareth, Jean Ernst, Montissol Jean Michel Gracia, Cabé Harry, Wah James César, Duras Guy Emmanuel, Arcelin Evens, Lafalaise Junior, Michel Abel, Lamour Célange, Guillauto Lourdie Cheika, Laurent Willio, Cupidon Jean Dieubéni, Lafontant Jacques retentissent, transformant ce qui devrait être un drame, un anéantissement total de l’art en source créatrice, d’une force et d’une intensité inimaginables.