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Un Plan «B» pour nos candidats à la présidence:

Une solution incontournable au démarrage du pays

—par Gerdès Fleurant, PhD

La sagesse populaire veut que le nombre apparemment élevé de 34 candidats (un étant mort avant les élections, donc 33) à la présidence pour un petit pays comme Haïti soit un fait déplorable et même inquiétant pour l’avenir du pays. Ambition politique disent certains. Tant de gens aveuglés par l’appât du pouvoir. Soit! Mais, si on remplace le mot «pouvoir» par celui de «service», nous nous rendrons vite compte que c’est une bonne chose que tant de nos compatriotes veulent se mettre au service du pays, car Haïti a tant besoin de l’énergie, de l’imagination, et de l’engagement de ses de fils et filles. Le nombre élevé de candidats ne saurait poser un problème en soit, car une chose était claire, de nos 33 candidats à la présidence, 32 ne pourraient pas gagner, et l’avenir d’Haïti dans les cinq prochaines années va dépendre beaucoup plus de l’attitude et de l’action de ces derniers, et des partis politiques qu’ils représentent, que de la dextérité administrative du gagnant et de son équipe gouvernementale. Si les 32 non gagnants se rangent comme à l’ordinaire au travers du chemin de l’élu et lui vouent une opposition farouche, obstructionniste, et destructive, une autre chose est encore plus claire, que ce dernier, quelque soit sa bonne volonté et sa maîtrise du terrain, finira comme tous ses prédécesseurs au palais national, dans la dictature, la réprobation générale, la honte, l’exil, et la nostalgie déchirante.

Qu’un homme ou une femme finisse mal (c’est ce qui arrive le plus souvent à nos politiciens), c’est grave et troublant il faut le dire, mais plus grave encore c’est que la nation recule et a du mal à se reprendre à chaque fois que nous nous livrons à ce genre d’exercice qui consiste à mener une opposition destructive dont l’issue est la chute de l’occupant du palais national avant la fin de son mandat, causant ainsi la descente du pays, sans coup férir, dans le chaos et l’abîme. Cela équivaut à jeter le bébé avec l’eau de sa toilette, comme on dit aux États-Unis, car chasser l’occupant du palais national a toujours été pour nos lettrés, et le pays tout entier, une victoire à la Pyrrhus dont le coût pèse encore dans la balance de paiement national, et ce tant qu’au sens figuré que réel.

Donc, l’enjeu pour Haïti à présent, c’est le rôle et le comportement des 32 candidats à la présidence qui n’ont pas gagné aux urnes du 7 février 2006 et ceux de leurs représentants. Ce rôle et comportement des 32 candidats qui naturellement ne pourraient pas gagner aux dernières élections, car il ne peut y avoir qu’un seul gagnant, je les appelle le plan”B”, un rôle et un comportement patriotiques allant vers un dépassement de soi pour s’élever à la hauteur citoyenne qu’Haïti et le peuple haïtien ont le droit d’attendre de leur lettrés. Ce plan «B» de nos candidats à la présidence s’avère d’une importance capitale, et peut inaugurer une ère nouvelle pour une nation dont l’histoire symbolise l’aspiration, à travers les ans, de tant de peuples opprimés.

La réalité socio-économique et culturelle d’Haïti exige que nous réfléchissions profondément sur la nécessité d’appliquer une nouvelle méthode à l’analyse de notre comportement politique au cours de notre vie de nation indépendante.

En effet, nos hommes et femmes politiques ont toujours eu un plan «A», le plan du gagnant, celui de prendre le «pouvoir», et dans le cas contraire, ils/elles se jettent dans l’opposition, situation dangereuse qui exige souvent qu’ils se mettent à couvert ou fuient le pays avec leurs familles. C’est ce plan”A”, pas de quartier à l’élu perçu comme un ennemi, les éternelles conspirations et coups d’État qui occasionnent des offensives et contre-offensives à l’intérieur de la classe politique, des solutions draconiennes de la part des détenteurs du «pouvoir», élimination physique des antagonistes, qui explique le présent désarroi de notre pays. Il est donc étonnant qu’après plus de 200 ans de péripéties politiques que nous ne nous soyons pas rendu compte qu’il faut changer de méthode, et au lieu de voir le problème de façon unilatérale, il nous faut une application dialectique et structurelle des choses qui veut que nous envisagions tous les éléments de la course au «pouvoir». En ce sens, le comportement des prétendants au siège présidentiel devient l’un des éléments cruciaux de l’équation politique. C’est pourquoi je veux parler de quelques avantages d’un plan «B» et pour le pays et pour nos 33 candidats aux urnes.

En tête de liste se trouve la question de la paix publique, base de la sécurité nationale et du développement durable. Si les citoyens ne peuvent pas vaquer à leurs affaires, sans peur d’être agressés, ils ne pourront pas participer à la production de la richesse, problème numéro un du pays, car la pauvreté endémique que nous subissons n’est autre chose que notre inhabilité à produire la richesse suffisante, malgré sa mal distribution, pour assurer le bien-être de la population. L’attitude citoyenne pour tout candidat malheureux aux urnes est de penser au pays d’abord, et de réfléchir sur les moyens les plus efficaces pour servir son peuple. Le choix devient donc ou de se ranger dans l’opposition destructive, ou de passer à l’action constructive qui veut que la paix publique prime l’intérêt personnel. Un fait encourageant doit être toutefois noté. Un certain nombre de candidats aux urnes du 7 février 2006 ont publiquement félicité le président élu pour lui souhaiter bon courage, et un autre a déjà entrepris de travailler à ses cotés en prenant la charge de coordonner les atouts de la Diaspora haïtienne dans le secteur de l’investissement et la création d’emploi.

Ensuite vient la question de la dignité et du respect de soi, car nul peuple ne saurait continuer indéfiniment à se livrer à la risée du monde entier, qui est après tout un moindre mal que de s’entredéchirer physiquement comme nous le faisons depuis plus de deux siècles, et du fait de gaspiller inutilement les ressources humaines, sans payer les conséquences fâcheuses que nous encourrons à présent. Si nos hommes et femmes politiques pensaient mieux à cultiver l’esprit de service au lieu de courir après le «pouvoir», ils auront atteint un niveau de respect de soi et de dignité comparable à la grandeur de ce petit pays qui rayonne par sa valeur symbolique et réelle aux yeux de ceux qui connaissent l’histoire de notre planète, en particulier celle de l’Afrique et des Amériques.

En fin de compte, on n’a pas besoin d’être «au pouvoir» pour servir le pays, car servir le pays c’est se servir soi-même. Nul ne peut devenir citoyen d’une nation riche et prospère sans y contribuer de façon tangible, car l’État ne peut pas tout faire, et seul un partenariat entre l’État, les classes pauvres et moyennes et la classe créatrice (l’élite intellectuelle et monétaire) assurera le démarrage d’Haïti. Ainsi, le plan «B», un geste patriotique le plus élevé, constituerait à accorder un sursis au gouvernement élu (ce qu’on appelle dans les pays mieux organisés «une lune de miel»), et de se jeter dans l’action pratique en établissant des institutions financières et philanthropiques dont l’activité comporterait un fort élément de développement durable. Pourquoi ne pas créer des centres d’apprentissage, des fermes modernes en agriculture, des centres culturels et des écoles, des bibliothèques qui portent le nom du candidat ou d’une personne qui lui est chère. Ce seront des actes politiques qui iront dans le sens de l’intérêt du pays, et quand bien même certains diront qu’on le fait pour des raisons politiques, tant pis, car le pays en profitera. L’essentiel, c’est qu’on le fait et que l’on commence à marquer sa détermination de rompre avec la politique destructive qui cause en partie notre sous-développement.

Le plan «B» de l’élu serait de faire appel à tous ses collègues qui ont participé à la course électorale pour servir le pays soit en leur offrant des postes dans son gouvernement (puisque le programme de la majorité des candidats est identique), ou de les encourager à rester vivre tranquillement dans leur pays, et de s’adonner à leur travail d’appui au développement du pays. Ainsi, les candidats commenceraient à se préparer un portfolio d’actions concrètes, donnant un véritable choix aux électeurs, avant de se présenter par devant eux aux prochaines élections. De plus, on commencerait à se faire à l’idée qu’un politicien présidentiable, qu’il réussisse ou non, a pour devoir d’établir une fondation philanthropique qui porterait son nom ou celui d’une personne qui lui est chère. Haïti ne peut plus se payer le luxe de gaspiller ses ressources humaines dans des chasses aux sorcières à la chute de chaque gouvernement, un fait qui entraîne la fuite des cerveaux dont nous avons tant besoin vers des cieux plus cléments.

Nous serons tous perdants si nous continuons à nous entredéchirer, à nous accuser mutuellement d’être la cause de tous les maux du pays, ou de penser que notre parti à lui seul peut résoudre le problème centenaire d’une nation qui se débat pour sortir de l’ornière socio-historique de la mondialisation. Un fait est certain, seuls les Haïtiens et Haïtiennes vivant dans le pays ou dans la Diaspora, sans nul doute avec l’aide de leurs vraies alliés, assureront le développement du pays.

—Gerdès Fleurant PhD, Professeur émérite, Wellesley College / gfleuran@wellesley.edu

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