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Éditorial

Depuis la première parution de la version électronique du journal sur l’Internet en janvier 2000, beaucoup d’eaux ont coulé sous les ponts. Le petit Elián González est retourné à Cuba, sous la protection de son père, la décence l’ayant finalement emporté contre la passion haineuse des Vencemos de Miami, ennemis de la révolution castriste.

En Yougoslavie, suite aux dégâts infrastructurels et à la pénurie économique causée par les bombardements de l’OTAN durant la guerre de Kosovo, le peuple s’est mobilisé pour le changement. Moins encore que l’ennemi l’OTAN, Il a rendu Slobodan Milosevic particulièrement responsable. Il l’a finalement renversé en octobre 2000, quitte à s’associer (au moins au niveau des aides logistiques reçues par l’opposition des Américains durant les élections présidentielles) avec ceux-là mêmes qui ont contribué dans la destruction graduelle de l’État fédéral yougoslave.

En Palestine, une nouvelle intifada a finalement éclaté après des années de mystification nourrie par les accords d’Oslo. À Jérusalem le 28 septembre 2000, escorté par plus d’un millier de policiers, et contre toute raisonnable attente, Ariel Sharon croyait politiquement rentable de violer l’un des lieux les plus saints palestiniens, suscitant la colère des Palestiniens. Au lieu de condamner Sharon comme un faiseur de guerre irresponsable, Ehud Barak, le Premier ministre travailliste, jouait de préférence la carte nationaliste; il donnait à son armée l’ordre de tirer sur les manifestants palestiniens. Cette provocation aura coûté la vie à des centaines de personnes, y compris des enfants, adolescents et vieillards.

Naturellement, la violence s’est exercée des deux côtés, les Palestiniens attaquant comme bon leur semble, y compris des civils, généralement avec des pierres à mains nues, souvent avec des bombes ou des mitrailleurs. Toujours est-il cette “guerre” est inégale: une forte armée occupante contre une nation occupée; à peu près à chaque dix tués Israéliens, une centaine de tués Palestiniens. Sans compter, pour les Palestiniens occupés, les conséquences collatérales comme le chômage forcé ou la maladie.

C’était assez de voir Israel lancer une nouvelle guerre contre les Palestiniens, mais voyant Ariel Sharon non seulement élu Premier ministre en Israel, mais aussi considéré à l’heure comme un respectable “homme d’État” pour ses ouvertures aux travaillistes, nous écœurait comme une perfidie des plus basses.

Aux États-Unis, après l’initiale confusion sur le gagnant des élections présidentielles de novembre 2000, George Walter Bush est finalement déclaré président grâce à la décision par la Cour suprême fédérale d’annuler l’ordre de recompte des scrutins donnés par la Cour suprême de l’État Floride. Beaucoup d’observateurs voient dans la décision un véritable coup d’État à l’américaine, bien que camouflé sous la lettre de la loi.

Pourtant, c’est la même logique anti-populaire qui établissait le Collège électoral en premier chef, essentiellement comme un paravent contre la furie populaire, qui a finalement eu gain de cause. Malgré sa majorité dans le scrutin populaire, et possiblement au Collège électoral étant donné le nombre de ses votants non-comptés, le système a en fin de compte sacrifié Al Gore sur l’autel de sa stabilité. Le Vice-Président n’avait d’autre choix que de s’y acquiescer, étant donné sa loyauté au système.

À vrai dire, le choc de l’entendement, la réversibilité de ce qu’on attend normalement de la fonction des choses semble s’imposer aujourd’hui presque partout et dans tout, à l’instar d’un nouveau paradigme, une nouvelle reconfiguration où la transposition duale de ce qui est vrai ou simulé, réel ou virtuel, imagé ou authentifié, est répétée à merci, devenant une sorte de nouvelle loi de la nature.

Ainsi, Aristide est réélu en Haïti après quatre années de “chauffage de la chaise présidentielle” par René Préval, le président lavalas sortant. Loin d’aider à la solution de la crise comme certains l’espéraient, les élections municipales et législatives de mai 2000 l’envenimaient, l’opposition (un fourre-tout toutes tendances confondues), accusant Aristide de nouveau dictateur, à cause apparemment des fraudes électorales commises. C’est tout de même inouï de voir le mot “dictateur” attaché au nom d’Aristide, l’ancien prêtre de “la parole-délivrance” de Saint Jean Bosco [lire l’essai de Tontongi sur l’impasse haïtienne].

Bien que le peuple haïtien espère un dénouement de la crise basé sur la priorité de sauver le pays de l’abîme, c’était fort décervelant de voir le nom Marc Bazin affiché parmi les membres du nouveau gouvernement Aristide. Après ses grandes amitiés avec les impérialistes, qu’il considérait un temps comme les exploiteurs du peuple haïtien, il est comme quoi logique de voir Aristide aujourd’hui s’acoquiner avec la grande bourgeoisie proto-duvaliériste dont Bazin est le plus élégant représentant. Toujours est-il, dénoncer Aristide comme le Démon lui-même, comme le fait son opposition de droite, c’est distordre la réalité à merveille.

Pour retourner aux États-Unis, Jesse Jackson, le disciple de Martin Luther King qui a consacré presque toute sa jeunesse et toute sa vie adulte à la cause des droits civils américains, est aujourd’hui, selon les média américains, exposé comme un animal qui a couché avec une autre femelle et engendré une progéniture en dehors des commandements du mariage. Plus d’un en demanderont de quel crime est-il jugé coupable? En tout cas, le charme est rompu, comme on dit, le révérend s’avère être un homme, seulement un homme, avec peut-être une conscience politique, mais aussi avec une libido. Bien sûr les pauvres des ghettos s’en foutent bien, ils voient dans l’intérêt à l’histoire la main de l’ennemi…

À vrai dire, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. L’altérité du noble et l’ignoble, ou plus précisément le passage de la fonction à l’anti-fonction a existé depuis le commencement de la polis dans la société humaine. Le démolissage du jour au lendemain de l’image de Staline par Khrouchtchev en 1956, en fut un exemple. Plus tard, Michael Gorbatchev, un moment célébré comme le champion des lumières socialistes, change radicalement en fossoyeur, non d’un système politique périmé, comme le voudraient ses critiques, mais de l’idéal d’être soviétique. Gorby est devenu à la fin un homme sans ancrage.

Notre journal veut être la voix du beau et de l’audacieux, questionnant presque tout, y compris les êtres suprêmes et les intouchables vérités officielles. Dans nos pages continuera de fleurir la poésie, avec peut-être ses cris, ses larmes et pertes, mais aussi avec, surtout, l’énergie du rire et l’espoir de vivre dans une société libérée.

—Tanbou mars 2001

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