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Poésie en français

Poèmes de Lenous Guillaume

(1er texte)

Esquisse d’une belligérante

Merveille d’autrefois, poissonneuse rivière d’antan, toi, maintenant tu es (presque) une eau rapiécée, pas bien appropriée à voir, seulement bonne à entendre encore te faufiler entre deux ou trois pierres de ton ci-devant indépendance de mouvement.

Un goût de pourriture et de persil dans la gueule de ta mémoire, à côté de quelques anciens trous, îlots de chagrin, douleurs de chaînes dans l’être, bruits de bottes, de fusils 1915 et coups d’éclats au corps, tu vas, tu viens et fais, plus que personne, du surplace sans merci, avec un indigeste péril dans les canaux de la survie, des affronts pas encore vengés, dans ton parcours de belligérante.

Des pierres roulent Sisyphe en toute hypocrisie, les unes après les autres, dans un à-tout-casser-fracas, dans l’hydre qu’est devenue ta ravagée parure sous plusieurs angles des regards.

Dans les tranchées d’aujourd’hui, insoumise encore es-tu, lorsque tu persistes à chercher, dans tes propres horloges, ton midi-boit-sans-soif de chemin, même après l’introduction par perfidie, lors de concerts mi-hauts mi-bas, de plusieurs chants mercenaires en ton âme.

(Montréal, le 21 juillet 2018)

(2ème texte)

Un jour…*

Venant d’on ne sait où
l’horreur déluge par la gueule de ses chaumières
tout partout en sa globalité
depuis un funeste septembre

Déracinés plus tard
à l’heure de la faim
ses arbres partent sans bruit
avec leurs plats de feuilles hécatombes
salade sans fraîcheur ni gaieté
à la senteur d’averses en rage

Depuis
elle tangue en ses complaintes
cernée par l’étendue d’une dégradation
où nulle flamme de trop n’arrive
à bien éteindre son désespoir

L’épi rouillé d’un bruissement sous feuillage
s’ajoute à la récolte du doute
dans quelques mains sous braise
qui grappillent au fond de ses champs en détresse

Mais un jour se lèvera sur sa baie
andante cantabile
comme un lac de repos
une symphonie vers son parachèvement
au long cours de l’eau de pluie changée en rivière
dans la grotte de ses lèvres
à mi-chemin entre abondance et pénurie

Ce ne sera pas toujours moderato moderato
de son côté

Au même rythme que des pas du feu
dans la configuration d’une chair
il y aura un changement de ton dans ses airs

Un jour, il y aura des voix ignées, d’autres indignées, et certains, malgré tout le
ramdam autour, se réveilleront longtemps après la chouette de Minerve, tout juste
le temps d’être bien au fait des largesses du malheur…

Viendra un temps où plusieurs d’entre eux voudraient bien atteindre le fil de la
faim donnant accès à l’immense goût d’une survivance

Plusieurs devront changer de bateau
dans sa trajectoire
et de parcours
dans les courants qui la transpercent
pour ne plus correspondre à ces satanés marins
oiseaux-pirates de toujours
qui voguent et volent comme bon leur semble
impunément depuis des lunes et des lunes

On imagine la hauteur de sa désertification
au moment où l’on entrevoit
dans leur chute de falaise
ces fantômes d’arbres assassinés
tout au long de son parcours

Elle mime le chant du paroxysme
en d’interminables monologues
théâtre par hyperbole qu’elle joue toujours
où le fantastique fait boire l’amer à toute parole
à même un ru dans sa savane

Quoi qu’elle tente ou qu’elle imagine
la douleur traîne une besace de suffocation sur sa route

En ce temps-là
des poignards en ses yeux sont à surchauffer
pour ne pas qu’ils épargnent les ronrons
de certains conteurs d’histoires rouillées
en sa nouvelle réalité

* Extraits de À l’envers d’un échouage, inédit.

—Lenous Guillaume Suprice

Poèmes de Denizé Lauture

Entre mes lignes

Entre mes lignes
Il y a des silences
Des souffles
Et des soupirs
Entre mes lignes
Il y a des sanglots
Des plaintes
Et des murmures
Entre mes lignes
Il y a des prières
Des lamentations
Et des cris
Entre mes lignes
Il y a des jurons
Des insultes
Et des blasphèmes
Entre mes lignes
Il y a des labyrinthes
Des gouffres
Et des récifs
Entre mes lignes
Il y a des vagues infernales
Des lunes en feu
Et des soleils désaxés
Entre mes lignes
La queue d’une comète foudroyante
Dessine des tableaux troublants

Entre mes lignes !!!

La mélodie mort-née

Porte ne chante point
Ta chanson ne bercera
Aucune âme
Elle ne réveillera
Aucune princesse
C’est une chanson
De bois mort
Ne chante point porte
Ta mélodie rend l’âme
Avant le plus simple écho
Ne chante point porte
Une chanson de bois mort
Une chanson qui ne réveillera
Aucune princesse
Une chanson qui ne bercera Aucune âme
Porte ne chante point La mélodie mort-née

Les oiseaux des lampadaires

Voyons, il fut un temps où ces oiseaux, pour se
Poser, n’avaient que l’écorce terrestre, les arêtes
Tranchantes des rochers, le dos
lisse ou bossu des énormes
Dinosaures et les branches touffues des arbres des premiers
Printemps.
Des éternités passèrent.
Puis pour se jucher
Ils commencèrent à avoir aussi le
crâne d’un bipède comme
Eux, mais sans ailes et ses clôtures et ses troncs d’arbre
Jetés sur les rivières trop profondes.
La fuite du temps continua.
Une autre époque arriva
Pendant laquelle ils eurent le toit des huttes du bipède
Marchant, les remparts construits autour de ces huttes
Et les mâts des étranges vaisseaux
dans lesquels il se hasardait
Sur les flots bleus sans fond.
La fuite du temps continua.
D’autres millénaires
S’évanouirent.
Alors ces oiseaux eurent des pyramides
Dont les sommets tranchèrent les
nuages et le bleu du ciel.
Ils eurent de gigantesques forteresses, de puissants
Châteaux aux larges corniches avec
une multitude de tours
Et de créneaux, des cathédrales imposantes avec plusieurs
Clochers. Ils y tissèrent leurs nids et leurs oiselets
Naissaient sous le même toit que les
princes et les princesses
Et tout près des tabernacles où la lampe éternelle illuminait
La présence du divin enfant et du TOUT-PUISSANT.
La fuite du temps continua, et le bipède marchant
Devint un nouvel homme. Ses cités se multiplièrent.
Ses Aqueducs s’imposèrent au-dessus
vallées et gorges.
Ses ponts
Ombragèrent les fleuves, les lacs et les bras de mer.
Alors nos oiseaux eurent des superstructures de pierres ciselées
Symétriquement et d’autres de fer et
d’acier comme des tours de
Guet pour se fondre sur leurs pitances aquatiques, pour
Somnoler parfois loin des frous-frous
des feuilles, pour compter
Ou rajeunir les plumes sous leur
ventre, pour se comparer aux
Poissons volants, pour méditer sur le roulement des ondes
Ou bien pour confier leurs chimères ornithologiques aux
Scintillements brefs des étoiles, à la sphère déroutante de
La lune ou aux lueurs aveuglantes du soleil.
Puis, arriva l’ère où le bipède sans ailes façonna ses turbines
Et ses générateurs.
Fils et câbles longèrent autoroutes, rivières
Et fleuves.
Fils et câbles traversèrent lacs et bras de mer.
Les réseaux se multiplièrent dans vallons
et vallées, plaines et Montagnes, cités et déserts.
Alors Des millions et des millions
de champignons géants dont les
Chapeaux devinrent des lunes dorées à chaque adieu du soleil
Et sur lesquels leurs ailes les transportèrent sans effort.
Voyons peut-être que depuis longtemps dans leur petit
Crâne au doux plumage avec deux
petites oreilles qui sondent
La vélocité des tempêtes et connaissent toutes les mélodies
De l’atmosphère ; avec un bec, mèche pénétrante, qui tâte la
Profondeur des fissures de tant d’arbres, attrape tant de gouttes
De pluie au vol, tisse tant de nids et nourrit tant d’oiselets :
Avec deux yeux indiscrets qui suivent les mouvements des rayons
Du soleil et se plaisent à mesurer le diamètre des ondulations
Que font les baies ou les gouttes de pluie qui tombent dans une
Nappe d’eau tout comme le poète devine la durée des douces
Sensations que distillent ses doux petits dards dans le bassin
Émotionnel de sa muse aimée ; oui, peut-être dans ce petit crâne bien
Pourvu, sautillait depuis des éternités le charmant petit désir de
nos oiseaux virent soudain
Se poser sur la lune pour observer le passage des météores…

(Extraits de Les lunes d’or du cactus, Trilingual Press, 2017)

—Denizé Lauture

Poèmes de Tontongi

Harvard Square, un après-midi d’été

La mélodie envoûtante
du saxe et de l’ensemble
ajustée à l’improviste
sur le square sous le vent
en gaîté du charme estival.

Les spectateurs et les passants
et les danseurs improvisateurs
s’échangent de place tout en souriant
de temps en temps—c’est la poésie
de la muse un jour d’été
les gens dansant en souriant.

Même les touristes et leurs caméras,
l’ai ébahis sous l’extase nouvelle
des grandes merveilles de Harvard Square
se foutent bien de l’ironie de la perversion
du lieu impur sur l’idéal d’être ; pourtant
les transcient homeless, c’est une autre histoire,
comme la conscience faite autre et indésirable
dans le laboratoire de la rééducation.

(2018)

Un requiem pour l’humblement belle Laura

(Dédié à Laura F. Keith)

Quand je t’ai vue ce jour-là,
je voyais déjà ton combat lancé
contre un destin qui te paraît imbattable ;
ta générosité de cœur
même dans l’angoisse de la mort virtuelle,
c’est cette image de toi que je retiens.

J’aimais ton élancement vers les autres,
la volonté de vaincre les caprices du corps ;
tu avais répondu à mon appel,
le poète sans le sou
et tu as aidé notre petite presse à s’envoler ;
tu as étudié les classiques à l’école
pourtant tu étais la vraie âme du Texas,
c’est bien dommage que tu aies tant souffert.

Je me rappelle encore la dernière fois
à Harvard Square, le délicieux pizza,
la visite au bureau de Harvard Extension,
la course retour dans ma voiture
vers ta résidence à Arlington Heights
et le dernier adieu d’embrassade fraternelle.
Tu m’avais tout révélé excepté que tu allais mourir
que je devinais par les prognostiques des médecins
et pourtant je refusais de le croire.

La maladie n’avait pas effleuré ta beauté,
belle tu demeurais sous la menace
de cette horrible affliction de malheur ;
ces instants où je t’ai visitée dans la vie
ont transcendé les ravages de la faillite du corps,
c’est le miracle de la vitalité de l’être ;
tu l’exhibais avec une grâce consolatrice,
j’aurais tant aimé d’être davantage là pour toi.

Tu m’avais parlé des démons qui t’accablaient,
la souffrance de perdre une mère en jeune âge
et les tribulations d’une vie perturbée par l’absence.
Pourtant tu étais restée malgré les désolations
et jusqu’à la fin l’humblement belle étoile ;
je ne t’avais pas connue pour longtemps
et tu n’avais laissé ta peine voiler tes épanchements
vers la solidarité avec les autres comme un courant d’eau
qui mouille les rochers qui à leur tour s’en réjouissent.

Tu étais morte à l’orée d’une très prometteuse vie,
terrassée à mi-chemin de l’ascension ;
je t’honore pour avoir changé la souffrance
comme une raison de vouloir le changement.
Ton passage sur la terre quand bien même temporaire
aura touché beaucoup de monde grâce à la chaleur
doucereuse qui filtre de ta présence.
Merci, mon amie, pour ta bonté de cœur.

(Janvier 2017)

—Tontongi

Poème de Jeanie Bogart

Des nuages au coucher du soleil derrière la flèche de Sainte-Chapelle.

Des nuages éclairés par les dernières lumières du jour derrière la Sainte-Chapelle sur l’île de la Cité. La flèche originale en bois a été remplacée à plusieurs reprises: en 1383, 1460 et 1640. —photo par David Henry, photographe à Paris

Dans ton poème sans titre

À trop me promener
Dans le lit de ta poésie
La muse s’est mise à me tripoter l’imagination

Mon territoire est un minuscule point
Un appendice têtu
Dans le champ de ton verbe
Mon sol est foulé
Ma ville fouillée de fond en comble
Aux fenêtres cassées de mes mirages
Ton image s’interpose
Entre la rue et ma vue
Entre ton angélus et ma muse
Puis reviennent les mots
Aux doigts désossés
Chatouillant le fin fond de ma pensée
Un après-midi de pluie
Tes mots partirent à l’assaut
De mes secrets de femme
Un soir de clair de lune
J’ai égaré la clé de ta solitude
Entre les éclipses du dire et mes rires
Entre des lacs de bonheur et nos fièvres

Après deux saisons d’amour et de hautes caresses
Tes mots tripotent encore
Comme au premier jour
Les aiguillons de mes sens
J’ai cherché longtemps
Aux périmètres de tes silences
Un poème sans mots sans os
Un poème dur d’écorce
Au sang cassant les plus minces désirs de liberté
Je n’ai retrouvé que l’opiniâtre ardeur du verbe
Se cheminant dans ma sensualité

Rêve ou réalité
Dans le brouillard diffus d’un poème sans titre
Un matin de maigres caresses
J’ai vu tes mots
Sucer le dernier de mes sucres d’orge.

—Jeanie Bogart

(Ce poème est tiré d’un post sur Facebook)

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