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Poésie en français

Poèmes de Tontongi

La Valse tragique des aigles malicieux* (Témoignage sur les élections primaires de 2016 du Parti républicain et l’ascension de Donald Trump)

Ses refrains propagandistes ne sont pas différents
De la saga de sa rhétorique incendiaire
Simples catégories de la haine.
Il veut construire un grand mur, dit-il,
Pour empêcher les Mexicains de rentrer chez eux,
Et les candidats cubains chantent ensemble avec lui
Jouant les plus bellicistes des faucons.

Les États-Unis sont un pays d’âmes damnées
À la recherche du réconfort dans un autre continent
Comme tous les autres misérables de la Terre
Qui quittent leurs terroirs pour un monde nouveau,
Ou tassés dans le Négrier et forcés d’être ici,
C’est si familier, vous diriez.

Toujours est-il que l’arrogance et le lustre du favori
Défient le bon sens sans aucune retenue :
« Foutez-les dehors ! Foutez-les dehors! », dit-il,
Son chant de guerre contre les valeureux manifestants
Dont les proches ont été tués comme des lapins
Par des flics racistes jouissant d’impénétrable impunité
De kaki bleu et liés par le code Omerta version USA.
Les manifestants sont la voix de notre conscience
Se rebellant contre la démence et la jungle insensée.

Beaucoup de parents interdisent à leurs enfants
De regarder les débats présidentiels
Par peur de la vénéneuse contamination
Venant des adultes enclins à l’obscénité
Alors que le KKK et David Duke
Sont soudain changés en des entités inconnues
Même lorsqu’ils deviennent familiers comme le miel.

Grâce à l’ingéniosité du brut Don Dollar ;
Ils sont maintenant gratifiés de la légitimité,
Une fois encore la croix et le coffre bancaire
Et la bouffonnerie des figurants du cirque
Sortent gagnants dans le brouhaha médiatique,
Être bien né et portant boutons SS,
Ce n’est plus un péché.

Leur performance est une tragédie
Sous le couvert de la démocratie
Récurrence d’un cauchemar inoubliable
Dans l’éclairage de la réalité.
Ces dix-sept hommes engagés dans la poursuite
De la plus haute fonction d’État dans le monde
Comme on dit dans le jargon des conquérants
Sont les plus crasseux que l’esprit puisse concevoir
Dans cette vaste contrée parsemée de gloires passées.
Cette compétition entre des Lucifer réincarnés
Ne fait pas justice à un peuple
Doté d’un si multidimensionnel caractère
Même avec de différentes normes de la décence.

Les voix des candidats ont appelé à l’exclusion
D’un grand nombre d’êtres humains du pays,
Jouant qui-est-le-plus-méchant-des-idiots-du-village
Faisant appel aux plus odieux des salauds,
Pour semer la peur chez les plus exclus d’entre nous.
L’inquiétude du peuple face à la prolifération des factures,
Les conflits avec leur réticence intérieure
À laisser leurs enfants s’imbéciliser
Par des hommes et des femmes avec l’esprit borné
Et d’énormes ambitions plus la délusion de grandeur.

Le bouffon a joué le plaisantin à la télévision,
Il a lu un poème pour enfants et cyniques
Qui parle d’un serpent fort ingrat
Qui a tué sa bienfaitrice avec vaine nonchalance
Après avoir plaidé pour qu’elle lui donne refuge ;
Ce candidat assimile les migrants syriens traumatisés
Fuyant les horreurs de la guerre à la recherche d’un refuge
Au serpent malicieux avec intention meurtrière.
À la lumière de l’histoire de cette terre
Une terre de tourment, de souffrance et de regret
Toujours hantée par son passé génocidaire
Et d’avoir exploité sa très fragile trêve
Et fait réveiller ses plus bas instincts
Pour servir vos intérêts mesquins et iniques
Peut-être votre famille, des migrants venus d’Allemagne
Dont le vrai nom était Drumpt et non Trump
Le nom sonnant plus newyorkais des deux,
Peut-être vous êtes le serpent du poème. Peut-être.

Une grande foule d’hommes et de femmes en colère
Qui revendiquent la pureté et l’ascendance et parlant de bâtir
Des murs et des boucs émissaires
Pour leurs profondes douleurs,
Voilà ce que ressemble un rassemblement de Trump.
Frapper dessus les plus vulnérables parmi nous
Et crier à la victoire dans un microphone,
Ce n’est guère la façon pour l’Amérique de gagner,
C’est plutôt un brûlot vendant l’intimidation à un public
Zombifié jusqu’au point d’applaudir avec joie
Un patron qui licencie à volonté ses ouvriers.

La grande foule d’hommes et de femmes en colère
Jubilant dans l’extase et tenant le drapeau
Et revendiquant l’espace comme leur vital espace sacré ;
Des hommes grands et robustes d’allures martiales
Bousculant et battant des manifestants dans une énorme arène
Plus un leader charismatique qui dirige la charge
Contre ceux qu’il sent qu’il peut sans vergogne dédaigner
Cela sans aucun coût pour sa puissance et rang,
Ce sont toutes des images familières jadis endurées.

Le discours pour bannir et exclure l’Autre,
Le venin sur les visages de la foule immense,
Le ciblage des minorités et toutes les altérités
Les poings levés et le serment à la patrie
L’abaissement des valeurs humaines et de l’espoir
Évoquent tous le souvenir d’un horrible et récent passé.

Ils viennent aujourd’hui pour rabaisser les Musulmans
Ils viennent aujourd’hui pour rabaisser les Mexicains
Ils viennent aujourd’hui pour rabaisser les Chinois
Ils viennent aujourd’hui pour rabaisser les Noirs
Ils viennent aujourd’hui pour rabaisser les Homosexuels,
Ils viendront demain pour rabaisser votre propre famille ;
Tout comme nous détruisons la Terre qui nous nourrit tous
Les gens souvent achètent leur propre corde pour se pendre
Similairement à ceux-là qui votent pour ces clowns.
Les facilitateurs tels FOX News, CNN et MSNBC
Qui leur donnent une plate-forme pour propager leur virus
Sont tous responsables de la jarre brisée.
Aujourd’hui ils font éjecter les manifestants,
Se moquent du visage et du parler d’une femme
Et ridiculisent le mouvement des personnes handicapées,
Demain ils cibleront votre propre croyance,
Vous êtes un idiot si vous vous laissez prendre à ce jeu.

Pourtant ces hommes et femmes adultes qui prêchent
Des stupidités aux si bien préprogrammés moutons
Ne sont pas des aberrations, ni même des absurdités
Bien que leurs déclarations politiques soient invariablement
Les plus étranges dans un monde aux idées peu orthodoxes.
Ils ne sont pas provenus de nulle part
Ces hommes et femmes en colère qui votent Trump
Ils sont les récipiendaires de nombreuses années
De mauvais traitements infligés par un système injuste,
Qui mélange la cupidité et le battage médiatique
Et qui brouille ce qui se passe dans la vie réelle des gens
Tout comme la fixation sur OJ voilait la loi anti-crime.

Le Donald, parasite de l’argent et du privilège,
C’est aussi Bush le père blâmant Willie Horton
Pour les péchés de États-Unis tout en donnant
Aux vrais truands du Wall Street une amicale passe.
C’est aussi Bill Clinton faisant de Sistah Souljah
L’agneau sacrificiel pour rassurer à la fois les craintifs
Bien-pensants et centristes démocrates
Et les faucons républicains luttant contre les ghettos noirs.
C’est ce même Clinton blâmant les soi-disant superprédateurs noirs
Et les Welfare Queens, ces jeunes mamans noires
Pour le désastre causé par le Grand Communicateur
Et ses rapaces sbires, ce Robin des bois des riches et célèbres,
Figure héroïque qui réclame ses électeurs comme des gagnants,
Ces démocrates Jim Crow de l’ancien et du nouveau Sud.

Pourtant, ce n’est pas l’absurde qui fait mal le plus
Mais le schème méthodiquement conçu pour dévaluer
Des êtres humains pour des intérêts de classe.
Ce n’est pas le sourire malin qui perturbe le plus
Mais l’édit final pour bannir du périmètre
Des nombreuses splendeurs de la vie ou le simple droit à la vie
Tous ceux qui cherchent le sens de tout cela.

Non, ces candidats ne sont pas provenus de nulle part,
Judicieux sont ces jeunes et moins jeunes qui rejettent
Le mirage des fausses prémisses et promesses,
Je garde cher dans mon cœur le courage de résister
La route trop facile de la dégradation humaine,
La route vers les abîmes de nos âmes.

Ils sont interchangeables en substance et dans l’absence
De substance de leurs refrains propagandistes ;
Ils se foutent bien de la République, ces fainéants,
Ils représentent seulement eux-mêmes
Et ne ressentent que du dédain pour le reste d’entre nous,
Ils sont amusants jusqu’à un certain point
Car ils cherchent à mettre la main sur le pouvoir,
Pouvoir pour faire sauter nos âmes et notre monde.
Ils ne passeront pas ! nous devons tous crier,
Oh, non, ils ne passeront pas !

* traduit par l’auteur de l’anglais « The Tragic Waltz of the Wicked Eagles »

L’Histoire et la vie

Elle peut intercéder
à chaque moment du temps
du jour ou de la nuit
souvent à l’insu du figurant
—de l’histoire et de sa suite.

Elle fait et défait
l’ordre cosmique et les normes
du nouveau Convenant ;
elle façonne la vie
mais n’explique pas ses mystères ;
elle agence la vie
et les hommes et les femmes
placés dans l’orbite de ses caprices.

L’Histoire n’explique guère
ni l’angoisse ni le cauchemar
mais elle éclaire la route,
à la fois le chemin qui ne mène nulle part
et l’autre qui trace le passage vers le désastre
et souvent aussi son contraire.

L’Histoire, c’est comme une boussole
qui indiquerait le départ, non la destination,
la règle à suivre, non l’objectif à atteindre,
la locomotion la plus praticable,
mais non les obstacles du parcours.

La vie dit le réel,
L’Histoire suggère le possible,
la vie dit ce qui sent bon
mais n’offre pas assez pour l’atteindre,
l’Histoire dit ce qui existe dans le temps
mais vous laisse libre de choisir le moyen.

La vie ne dit pas toujours tout
de l’Existence ni de l’Être,
l’Histoire souvent ne dit jamais rien
de tout ce qui pouvait advenir.
La vie souvent est muette
quand l’Histoire garde le silence.

La vie ne juge
ni le Bon Dieu ni le Diable,
l’Histoire juge tous les deux ;
la vie dit tout le monde est innocent,
l’Histoire dit personne n’est sans faute.
L’Histoire et la vie
sont deux sœurs siamoises
se nourrissant l’une l’autre
et se complémentent dans la tension.

La vie fait miroiter
les commandements du Manque,
le stress des factures qui languissent
dans la moiteur des pleurs
pour engendrer la soumission,
tandis que l’Histoire étale la continuité
des lendemains chagrinés pour signaler
un échappatoire dans les recoins fermés
—voire même un grand bondissement.

La vie assemble, accumule ou désunit
comme part de l’ordre ordinaire des choses,
l’Histoire réclame la praxis consistante,
les efforts constamment déployés pour vaincre
la contingence des survivances incertaines.

La vie continue sa course
dans la direction tracée par l’empreinte
génétique et aussi par les individus en lutte
guidés par leurs dieux et la conscience critique.
La vie s’ouvre sur l’immensité infinie,
l’Histoire vers le laboratoire de l’expérience
avec ses surprises, ses courbes qui mènent
à la désorientation et aussi à la libération.

La vie actualise le sens
quand l’Histoire le redéfinit ;
la vie décide par la vibration organique
des choses et leur rapport à l’instant,
l’Histoire cherche à les restituer
dans leur dimension temporelle.
La vie aime afficher ses épanchements,
l’Histoire préfère en savoir la cause.

La vie est un kaléidoscope de révélations
sur ce qui importe mais que nous transcendons
dans nos vies de mandarin du temps ;
l’Histoire, c’est notre histoire à tous,
le Négrier comme la prise de la Bastille.

La vie vous force à prendre le grand large
l’Histoire dit rien ne sert de courir quand
tout se joue à chaque moment du temps.
La vie peut fait élire des bouffons et d’autres
saltimbanques nuisibles à son épanouissement,
l’Histoire rend leur ascension possible.
La vie pardonne même quand elle pleure,
l’Histoire n’oublie pas même quand elle ne dit rien.

La vie s’offre à toutes les occurrences,
l’Histoire les aide à se matérialiser ;
la vie comme la nature rejette le vide et le néant,
l’Histoire les remplace par l’action prométhéenne.
La vie peut renouveler la réalité d’être,
l’Histoire la réinvente dans l’affirmation d’être.

La vie éclaire la voie vers l’existence,
l’Histoire ouvre celle vers la réalisation du devenir.

(17 mars 2017)

—Tontongi

Poème de Dumolas Mesmin

Bonjour Haïti

bonjour Haïti
Haïti terre de perles
Haïti terre des arts
terre de vanité

bonjour Haïti
Haïti terre de feu
Haïti terre de sang
terre de mystères

bonjour Haïti
Haïti terre de joie
Haïti terre de peine
terre de misère

oui bonjour Haïti
Haïti terre de gloire
Haïti terre de prouesse
terre de déboires

c’est bien moi ton fils
c’est bien moi ta fille
je n’ai pas changé
j’suis venu te servir

ô mère enchainée
ô mère abusée
affamée endeuillée
dis-moi viens mon enfant
dans mes bras tu te chois

Empreintes

et ces calques de cendres
jonchées
aux pans de nos vies
demeurent
testament d’un temps
empreintes
de nos misères
de nos heurts de nos joies
et bien sûr
de notre amour
Haïti

Troubadour

je veux être troubadour
pour chanter mon pays
une terre cassée
une terre brisée
sous les brusques rafales
de l’histoire infâme
je pleure sa gloire parée de deuil
et sa beauté tintée de peine
son bicolore intense
image d’un passé glorieux
flétri
ridée d’une mélancolie
éviscérée de maux
les plaintes de mes cordes
résonnent les notes hantées
de ses entrailles crispées
les cris montés des dieux
échos
des sons lugubres
de ma terne poésie
chantre de cette île
damnée
mes pensées ligotées
en amas de chants moroses
gémissent
sous l’autel d’une patrie
à genoux

Tambour

je te sens
au plus tréfonds de mes sens
tu me parles une langue d’esprit
une langue africaine inconnue
mais connue que de moi
je tressaille de tes sons
aux rythmes Pétro Nago Ibo
je conjure les dieux qui ne boivent
que le sang de leurs enfants égorgés
je sens la voix de mes aïeux
résonner à ta voix
je jure comme mes pères
à tes accords-festins
de vivre pour toujours
libre
tambour
à l’assaut de mon âme
nègre
pour la gloire de mon pays.

—Dumolas Mesmin

Poèmes de Jean Saint-Vil

Tout le monde est fou

Tout le monde est fou
De la tête aux pieds
C’est une règle universelle
Tout le monde est fou
Sans exception
Au singulier ou au pluriel
Tout le monde est fou
Fou de l’amour
Fou de la vie
Ou fou furieux
Tout le monde est fou
C’est dans les gènes
On n’y peut rien
On n’en sait rien
La seule astuce qui vaille le coup
Est de ne pas croire que l’on est fou

(le 2 juillet 2016)

Montre-moi un seul amour

Montre-moi un seul amour
Qui a les pieds sur terre à l’heure
Où il faut mettre les pendules à l’heure
Montre-moi un seul amour
Qui n’a jamais pleuré
Des gouttes de larmes de sang
Montre-moi un seul amour
Qui n’a jamais souffert
D’une menace de mort
Montre-moi un seul amour
Qui n’a jamais reçu
Du temps de son vivant
Une balle en plein cœur

Donnez à la nuit des yeux et des oreilles

Donnez à la nuit
Des yeux et des oreilles
Elle saura tout
Jusqu’aux moindres détails
De tous les bonheurs
Qui peuplent les lits
Ce moi dont je suis sûr
C’est qu’en aucun cas
Elle ne se risquera
À vendre la mèche

J’aimerais souffrir de toutes les exceptions

Exception de mourir
Exception de pleurer
Exception de souffrir
Toutes ces règles à une seule exception près
C’est l’exception d’aimer

Les battements de nos cœurs
Écoutons sans broncher
Les battements de nos cœurs
Leurs messages clairs obscurs
Et souvent erratiques
Font monter les enchères
Vers les nues de l’amour
Jusqu’à perte de vue
Les battements de nos cœurs
Sont comme les battements d’ailes
Qui propulsent les oiseaux
En terrain inconnu
À de grandes vitesses
Et à de grandes distances
Loin de leur case départ

Les amours tombent à tout moment
De l’étage du septième ciel
Et ils retombent toujours
À quatre mains à quatre pattes
Ces grands colosses aux pieds d’argile
Leurs chutes libres ne durent pas
La Terre pour eux une trampoline
Les amours sont des dominos
Qui se relèvent pour retomber
Ainsi de suite c’est leur destin
De mourir de ressusciter
Par le jeu de la réincarnation
Un perpétuel recommencement
Qui fait le charme et la beauté
De leur nature interchangeable

L’amour est toujours fou

Qui parlent d’éternité

Je ne crois plus aux amours
Qui ne savent pas le moins du monde
Que leurs temps sont comptés
J’ai vu tellement d’amours
Qui affichent leur superbe
De toutes les couleurs
Des amours fulgurants
Sur des chapeaux de roues
Qui ne laissent pas de place
À un brin de raison
L’amour est toujours fou
C’est son vilain défaut
Qui lui colle à la peau
L’amour est toujours fou
Sur la ligne de départ
Il est toujours enclin
A faire des faux-départs
Personne ne peut stopper
Son saut dans l’inconnu
L’amour n’attend jamais
L’amour n’entend jamais
Quand on lui dit holà

J’aimerais souffrir de toutes les exceptions
Exception de mourir
Exception de pleurer
Exception de souffrir
Toutes ces règles à une exception près
C’est l’exception d’aimer

Je veux écrire le poème du silence

Je veux écrire le poème du silence
Pour faire un bruit d’enfer
Rien qu’avec des non-dits
Qui disent plus que je pense
Rien qu’avec des pensées
Qui font fi des frontières
Vous me direz que ce n’est rien
C’est toujours par des riens
Que tout a commencé
C’est toujours par des riens
Qu’arrivent les miracles
C’est toujours par des riens
Que les choses se terminent
C’est toujours par des riens
Que la vie continue
Son bonhomme de chemin

Que leurs temps sont comptés
Moi j’en ai tellement vu
Qui affichent leur superbe
De toutes les couleurs
Des amours fulgurants
Sur des chapeaux de roues
Qui ne laissent pas de place
À un brin de raison
L’amour est toujours fou
C’est son vilain défaut
Qui lui colle à la peau
L’amour est toujours fou
Sur la ligne de départ
Il est toujours enclin
À faire des faux-départs
Personne ne peut stopper
Son saut dans l’inconnu
L’amour n’attend jamais
L’amour n’entend jamais
Quand on lui dit holà

(le 2 juillet 2016)

Tous nos présidents sont bons

Tous nos présidents sont bons
Ils seront toujours bons
Nous sommes trop indulgents
Envers eux contre nous

Tous nos présidents sont bons
Ils sont comme des parents
Qui promettent des bonbons
Chaque fois qu’un enfant pleure

Tous nos présidents sont bons
Il faut bien les pleurer
Avec des larmes sèches
Pour ce qu’ils n’ont rien fait.

S’il y a des piles il y a des faces

S’il y a des piles
Il y a des faces
Et même des face-à-face
S’il y a des faces
Il y a des dos
Et même des dos-à-dos
S’il y a des dos
Il y a des ré
Et même des do ré mi
Des dos-à-dos des face-à-face
Des vis-à-vis et des rectos-versos.

J’aime les seins

J’aime les seins
Qui se font prier
Pour les plier
Les mordiller
Les faire vibrer
Ou les presser
Dans des manèges
Qui durent des nuits
J’aime les seins
Dans leur rondeur
Qui sont sans bout
Aux bouts des lèvres
Mais qui soient fermes
Comme des œufs durs
Qui quoi qu’on fasse
Ne se cassent pas
J’aime les seins
Très élastiques
Qui s’étirent
Du bout de mes doigts
Aux creux perdus
Du bas-relief
D’un beau nombril
J’aime les seins
Où je bois la tasse
Dans le silence
D’une folle ivresse
Qui fait déborder
De plaisir
J’aime les seins
Juteux à souhait
D’où coule la sève
Qui plonge les corps
Et leurs âmes sœurs
Qui se font face
Dans l’alchimie
D’une seconde vie.

L’amour n’est pas aveugle

L’amour n’est pas aveugle
Il voit plus loin que nous
Il voit monts et merveilles
Il voit au fond des cœurs
Et même ce qui se passe
Jusqu’au bord des artères.

Demain je boirai de ton eau

Demain je boirai de ton eau
Au goutte-à-goutte de tes baisers
D’une belle étoile près de la lune
Je tirerai une étincelle
Pour chauffer l’eau à petit feu
Te regardant furtivement
Dans le brillant de tes grands yeux.

La fidélité est une union punie

Si vous êtes fidèles
Sachez que tôt ou tard
Vous serez des cocus
Il n’y a aucune raison
D’être fidèle jusqu’au bout
La fidélité est une union punie
Tôt ou tard
L’un ou l’autre membre d’un couple
Finira par craquer
Si le mâle est fidèle
Elle se trompera de mari
Et cela vice versa
Et le divorce suivra
Prenez donc les devants
Pour ne pas regretter
La chair est vraiment faible
Retenez une fois pour toutes
Que la fidélité
Quel qu’en soit le contexte
Est une union punie.

Rouler sur l’or liquide

Si je pouvais à tout instant
Rouler sur l’or liquide
Qui coule et qui percole
De tes lèvres en feu
Je dirais que mon rêve
Depuis que je m’écoute
Est de m’abreuver
À chaque instant qui passe
Aux gouttes d’eau bénite
De tes baisers mouillés.

Ne disons pas toujours la vérité

La vérité quand elle et dure est un ennemi
Il faut la battre ou la rebattre par le mensonge
Abattre et battre la vérité à plate couture
Comme il faut battre le fer quand il est chaud.

Plus coureur que l’amour

Plus coureur que l’amour
Tu fais le tour des jupes
Qui s’ouvrent pour ton plaisir
Plus coureur que l’amour
Tu sautes tous les boutons
Qui font trembler les doigts
De plaisir explosif
Plus coureur que l’amour
Tu pètes les fermetures
Qui brillent comme des éclairs
Dans les nuits de tonnerre
Plus coureur que l’amour
Tu meurs tu ressuscites
Au terme d’un dernier sprint
Au fond d’une jupe qui donne
Le nec le plus ultra
De sa sève délicieuse.

Souvent les arbres font semblant de mourir

Souvent les arbres
Font semblant de mourir
Mais ils reviennent
Toujours en force
Ainsi naissent les feuilles
Les fleurs les fruits
Et leurs exquis parfums
Qui font que les choses tournent
Parfois pour le meilleur
Et souvent pour le pire.

—Jean Saint-Vil

Traduction par Aidan Rooney

Venez

Venez voir
ici où l’on n’a pas de guerre,
ni paix, d’ailleurs.

Venez près
de ceux pour qui l’obscurité
scelle le cœur.

Venez savoir
la vue et voir
que la misère
n’est pas claire.

Venez voir
le désespoir,
depuis le tremblement de terre,
de plus revoir mon frère.

Venez, vous allez voir
qui, munis d’un grand verre,
s’abreuvent dans la rivière
des gens avec des cuillères.

À grande table à manger,
sous les pieds des malfaiteurs,
venez voir,
venez faire.

Venez pour prendre l’air,
venez pour pouvoir voir,
venez avec une lumière
apporter la clarté.

—Traduit par Aidan Rooney de l’original poème «Vini» de Darlene Skylie Pierre

Poèmes de Lenous G. Suprice

Morsures en blues émoi

(à Leonard Cohen, in memoriam)

« Gonaïbo allait toujours au sommeil comme on va à la source,
comme on va à la libération de soi-même. »

—Jacques Stephen Alexis

1

À tes lèvres, ses oranges-amours n’étaient pas une toquade, de toute évidence, à te regarder les ruminer un beau jour
Tu as eu droit à de sains bonheurs, vraiment, de la musique à tout casser, au concert de ses koras, de son harmonica tout blues et d’autres instruments
Plutôt souvent, elle peignait en ses riens des jeux en apparence, et puis ses danses sur ton belvédère, toute la splendeur d’impérissables instants
En ce temps-là, toute la beauté du monde, le temps de son passage, avait couleur de tes yeux qui l’admiraient
Dernièrement, son écho, à la lettre, s’est fait sentir dans ton recueillement-opuscule, a ligoté le chant de tes intimes montagnes, ton archipel en quête d’avancement

***

Ce ne sont pas seulement les aboiements de sa douceur, au fond, qui attendrissaient tes chiens autrefois, mais tout le contenu d’une presque insaisissable empathie, à l’os subtilement qu’elle traînait, du pays profond de ses yeux, où tu aimais t’égarer, jusqu’à la ville immense de son être, où tu guettais un espace, pour tes maisons à (re)bâtir
Par moment, son petit rire de gorge, après tout, ameutait certains frissons vers décrispation en haute marée… lorsque sa joie, son soleil aussi se levaient pour t’amadouer
À entendre la ville en fleur de son sourire, si loin de son essaim-miroir près de toi, tu as eu la voix fêlée par le passage d’un train de chagrin, en des périodes de vache enragée, sans chair laissée par les requins des angoisses à ta portée

2

À tribord sur la gâchette d’un vieux bateau-mitraille
dans l’indélicatesse la plus ultime
nerveuse en saison maigre de la mer
une vague s’emportait au fond
tout près de ta tempe indécise
à l’aventure du jour en son parcours
à cause de…

Au plus puissant jamais cependant
pas de si rauque ni de la faux d’heures livides
non plus d’autres petites misères
dans la quête de nouveaux pacages
mais bien simplement toi
en relation avec certains virtuoses de la beauté

Bien simplement toi
tournoiement tout entier
dans une ronde musicale

Tu étais là d’ailleurs
pour ce grand bain de foule
par l’ouverture au regard du bonheur quand même
pour la plurielle victoire des bras
portes sereines
sur la singulière ombre d’une pétarade solitude
d’une tristesse
en des travers d’enfermement

3

L’autre jour
en une seule nuit
Colibri
un nom de code fatidique
roulis sur langue
est venu s’inscrire dans un bel angle sur toi

À beau charmer qui sait mentir
il fallait y penser

Il y a eu des travers en chemin
les animaux d’une parole à contourner
partout où tu te trouvais

Et il y a eu des chevaux
en course sur ta nuque-falaise
à qui une rapide greffe d’ailes jouissives
aurait été plus salvatrice que tout au monde

4

Longs comme fil d’une peine
un brouhaha presque sans fin
des hurlements de mots que l’on torture
à demeure s’installaient au village de ta mémoire
une indomptable sécheresse y mordait gens et bêtes
jusqu’à leurs ombres les plus fuyantes

Bécasseau à l’affût d’où va l’envol
tu mettais cap sur des bassins calmes
même au zénith d’une insuffisance
avec l’aide encore de ta sœur-musique ailée

Un désert parlait
sans bruit dans les parages
le long de chaque heure qui venait
qui te chavirait en de basses marées

Tu nageais avec les sutures d’une flamme
invisible tatouage à côté des blessures
indubitablement en quête de mots et de musique pour les festivals

5

D’étranges fugues parfument l’air
des sons rauques de violons subitement s’imposent
en heures de brume
dans le brouhaha d’un jour nettement funeste

En entendant ton fleuve faire ses adieux
à sa plus que belle source-sœur intime
et mouiller de toutes ses eaux les yeux
les siens et puis tant d’autres sans répit
au passage en trombe de l’innommable
les oiseaux du poème se sont mis en mode empathique

Même au loin
à travers les arbres tout en verdure de Montréal ou d’ailleurs
on entend les épagneuls d’un sinistre vent
ces bêtes en course après les canards de l’absence
parmi l’hallali d’un sévère glas du silence

Tu as passé
sans doute
tu as passé bon nombre de jours à boire sans verre
ni tête à rien la plus acerbe des regrets
à l’un de ces carrefours obligés de l’existence

L’insecte de ta frustration a entonné son froid petit air, autour des brèches de chants désaccordés, des notes à emmerdes d’une guitare, d’un frisson d’harmonica, loin, bien loin de la Rivière-Suzanne, la plus que belle musique de Cohen l’hypnotiseur

Et puis
au milieu de bien de chants
dans les concerts de l’ivraie
tu as appris comment fermer ton entendement
à la cacophonie de son ambiant orchestre
surtout comment trouver tes notes à toi
des airs bien plus sereins dans la danse
pour ne pas faire faux bond
devant les vrais grains des métaphores

Et puis et puis
tout là-haut
un peu par enchantement
ta sœur-abeille mandarine
en son monde bien à elle
versera un accent de miel dans tes pensées

Un lait de voix
quand elle souriait autrefois
en ton verre deviendra le vent que tu prendras
pour traverser la mer
malgré certains obstacles tout autour

Ce lait de voix
fuite majeure vers l’essentiel
une fois bien ingéré
rendra plus ivres tes songes que la plus saisissante zone d’apaisement
mettra fin à la guerre de l’angoisse contre le réconfort
aidera par l’ultime tes montagnes à accoucher d’un sourire
ce franc bonheur qu’est le retour de la lumière à leur adresse

6

Elle était un fado assez tard joué
dans ta maison près du port
bien loin des ballades d’autrefois
pour étouffer les rots de tes anciens marins
les voix de lointains geôliers qui te poursuivaient
Toute seule, elle venait, elle courait au secours de ta gueule d’iconoclaste

7

Te voici à l’ubac maintenant
conforme à ta manière de réfléchir
intense
et l’autre toujours bien ferme à l’adret
dans ses convictions d’agir
sans plus

Fourmis dans l’âme
par le soir au fond d’un buisson
chagriné
une brise a défrisé ta chevelure
dans son regard
à l’heure chantante des cigales

Un piano
tout bas
a pleuré l’enfance et ses jouets sans oublier
les accords d’autrefois
dans ton carré d’heures autour d’elle

Tu as mis la main sur son vent-rebelle-montgolfière
imprévisiblement
à la fin d’un tour d’infini avec elle

Ivre comme ailes d’un oiseau-tonnerre en altitude
barque fiévreuse elle demeure
à chaque plan d’eau de ta péninsule

Tu es maintenant beaucoup plus proche de la chanson des orages
avec elle et sa suite

Fais gaffe à la hauteur, là où tu mets les pieds, en ce genre de territoire
poète sans papier à présent
au repos pour toujours
mais combien en éveil dans tes mots survivants
si prenants au tréfonds de tes liseurs et liseuses.

À un enfant du monde

(Pour mon neveu et filleul Jean-Philippe Suprice)

Tu peux encore franchir le mur avant l’inéluctable
et voir des oliviers fleurir plusieurs sourires d’enfants avant les premières fusées à leurs yeux lacrymogènes

Mais à l’impossible où aller
que faire sinon enregistrer et encore remémorer le cours des choses et puis vouloir que tes fils soient bien adroits
attachés avant tout à l’habitat des ancêtres

Il ne sert à rien (parfois) de courir de long en large devant l’indésirable
Mieux vaut tout affronter
et dire ses quatre bêtises à l’ignoble de plein fouet

Cinq miroirs aux images brisées plus tard et combien de villes défilées en poussière depuis
avec les promesses d’invétérés coquins au vol des vautours du quotidien
tu es toujours là méprisé
à encaisser les coups de l’horreur.
Sans peur ni rien sinon ton courage entre les mains tu combats la même bêtise des destructeurs à travers leurs tirs aveuglés par l’arrogance
nourris par l’indifférence de quelques nations fortifiées unies
autour du désir des plus forts
de mater les faibles espoirs des plus démunis d’entre tous

Tu ne sais pas comment
n’arrives même pas à dire à la flamme qui réchauffe ton cœur que la simple vue d’un offensant obstacle
enlève tout goût à la prudence
mais pousse tout être sensé à se surprendre lui--même devant toute épreuve
par une sagacité et même une bravoure à tout casser en jouant son va-tout devant les bras armés de la folie

À cinq ans
ton plus jeune connaît déjà le nom de l’arme qu’il faut pour anéantir les élans des porteurs de feu
les tueurs dans l’âme et le sang
qui opèrent à œil sans lumière et dent féroce pour tout broyer

Comment amadouer toute cette colère à la tombée de chaque nuit
au lever de chaque matin
quand dans l’enfance pas si loin tu entends les mots trop insensés pour être retenus par l’entendement ?

Désordre en clair de lune

« En cet après-midi de soleil nègre mon cœur arrête de zapper
il y a échouage
deux cœurs s’archipellent dans un paradis d’occasion »

—Willems Edouard Plaies intérimaires

Au théâtre de son cou, selon la multitude, tu n’aurais pas dû parler de corde, non plus de superstition, lorsqu’une corneille de personnage essayait de prendre de l’envol entre tes branches, de retour dans la baie d’antan.

Pire encore, tu ne t’es pas assez méfié de la bête et de son couac, t’accordant aux racines en vibrato d’une autre d’ailleurs, aux lierres frissons qu’elle essayait d’attacher à ton touffu mûrier.

Des inconnus, parfaitement sosies de la honte, loin d’être ailleurs d’où ils sont attendus, se sont mis les pieds dans quelque chose…, se sont retrouvés à la croupe de ta monture, avec leurs matricules d’aggravation, fouettés par le vent d’une folle détestation.

***

Au moment où une spectatrice, à s’en fendre l’âme, criait : « Merde, merde !» aux actrices à peine plus jolies et plus minces qu’elle dans leurs robes d’un soir, toi le rêveur, tu as cru bon, tes deux fers dans des feux à peine plus allumés que d’habitude, t’affirmer maréchal-ferrant dans l’antre de l’une d’elles en caressant son agneline

De là, dans ton cas, à parler de maréchal rêvant, il n’y avait qu’une assez basse clôture qu’une cynique a vite franchie allègrement.

***

Mais comment a-t-elle fait pour être à l’affiche à ce moment-là, devant tout ce merveilleux monde, avec autant de crottins sous les souliers, avec de la brume dans les idées, sous les applaudissements du dernier de ses nombreux compagnons de scène

Comment fais-tu maintenant pour ne plus savourer cette allégresse de miel sur la petite langue d’une belle payse, pour ne plus te réjouir en jouant agitato de l’orgue en son agora.

Rappelle-toi des matins, des soirs où tu te faisais rouge-gorge dans des nids, même veau braisé, parfois, entre quelques branches de flammes, à la une de leurs boutures en folie

Rappelle-toi aussi de l’heure où tu t’es caché, près d’un inhabituel buisson, pour puiser de l’or en peine au fond de tes océans… sans que tout le village en parle, à la suite d’un moment d’hécatombe le concernant.

***

Loin de là, ton miroir n’est pas muet pour autant devant la beauté des ombres qui se maquillent en ses yeux maintenant et toujours.

À quelques reprises, tu as étrillé leur fougue, au ras des poils, de retour aux heures de jeunesse, avant de mettre les pieds à l’étrier comme il faut et de manière splendide dans une plaine à l’avenant.

Elles te tutoient à présent, de la fenêtre de leur grandeur, toi chèvre d’offrande à leurs boucs de poignards sans croix, sans loi.

Quoi que tu penses ou que tu fasses, tu finiras par oblitérer leurs portraits en série à ton mur défendant, mais avant, si l’envie enchante tout le monde, sur leurs canapés ou le tien, (re)soûle-toi, bois ou rebois à leur même fontaine et ne refais jamais cette tête, la dernière, à la tombée du malheur.

***

De tes agiles doigts, persiste à creuser les yeux de ta faim, faute de douceurs à mettre sur la peau, en quête d’un mieux-avenir pour tous, mais couvre-toi, comme tu peux, pour ne pas tomber dans l’embuscade d’une autre froideur.

Apprends bien à la jouer, ta mandoline, la seule que tu possèdes vraiment, pour les concerts en duo, en orchestre ou en solo, avant la fin de saison des festivals, bien en avant sa mise en miette par les mites, et prends tout aussi bien soin de maintenir le rythme à l’envers d’un échouage.

—Lenous Guillaume Suprice (Montréal, juillet 2016)

Poème de Denizé Lauture

Le poète et l’arbuste

Il s’assoit
À son tronc
Sur ses molles feuilles.
Il les prend dans ses mains
Observe leurs formes diverses
Leurs couleurs variées.
Ses doigts palpent le tronc
Glissent sur l’écorce.
Ses ongles pénètrent
Les fissures à peine visibles.
Il mesure son contour
Prend sa hauteur
Compte ses branches
Suit la direction de chacune
Puis plonge dans la sève
Jusqu’aux racines.
L’arbuste ne l’a pas entendu
Ni ne l’a vu
Ni n’a deviné son motif.
Il ignore la brise
Qui charme ses feuilles
Et les emporte au loin.
Il ignore l’âme du poète
Qui viole son être
Et le lègue aux autres.

Le poète et l’oiselet non migrateur

Le poète est l’ami d’un oiselet
D’un tout petit oiselet
Qui vole gaiement
Dans les froides nues
Qui respire sans crainte
L’air glacé
Qui se pose pour chanter
Sur les branches
Couvertes de neige.
Cet oiselet aussi petit
Que le poing d’une petite fille
Écarte la neige épaisse et froide
Avec ses frêles pattes
Et déterre sa nourriture.
Chaque hiver
Il se tisse un petit nid
De plus en plus solide
Dans le cœur du poète…

Le petit livre de Stéphanie

Stéphanie est une fille intelligente.
Elle a dessiné
Une petite fille souriante
Entre deux fleurs violettes,
Un petit garçon dansant
Entre deux fleurs bleues.
Elle a dessiné
Une pomme rouge
Et une banane d’or.
Des oiseaux de toutes les couleurs
Volant dans un ciel rose,
Se posant sur des arbres fruitiers.
Elle a dessiné
Des carottes qui marchent,
Une maison rouge Aux portes noires,
Un petit chien brun,
Un petit chat blanc,
Des poissons violets
Dans une mer brune,
Les chiffres (1) un, violet,
Deux (2), bleu,
Et trois (3), vert.
Son dernier dessin
Porte quatre fleurs, Une jaune,
Une bleue,
Une rouge,
Et une violette.
Au-dessous de chaque dessin,
Stéphanie a écrit le nom en français.
Et avec tous ces jolis dessins
Et mots français
Stéphanie a créé son premier livre de français.

—Denizé Lauture tirés du recueil de poèmes Les lunes d’or du cactus, Trilingual Press, 2017

Poèmes de Kiki Wainwright

La lessive

Nuages gris, nuages lourds,
horizons incertains,
tonnerre qui gronde,
je dis tonnerre à qui veut l’entendre ;
je ne parle pas de toi Boisrond,
dors de ton sommeil de héro.
Bout mon sang,
se gonflent mes muscles endoloris
sous le soleil rieur,
les hourrahs de victoire se sont tus.
Les mots ont culbuté :
mutation, dégénérescence,
le printemps de l’histoire
sous le crachat des dégénérés
est enfoui dans l’infamie.

Le ciel est une femme enceinte ;
l’ouragan va naître d’un dur labeur.
Le vent fait son chemin
porteur d’espoir et de justice.
La lessive doit être faite,
les linges sont trop sales.

Faut-il comme le bitume, mon nu
sous les intempéries de toutes sortes
recevoir les insultes des chiens impénitents ?
Non, la misère est déjà mon locataire,
la crainte, mon compagnon ;
non, je ne suis pas le ver
piétiné, écrasé, étalé sur la route de l’opulence ;
non, je suis fils de la patrie,
poète des opprimés,
la liberté est mon credo,
la justice, mon point de mire.

La lessive doit être faite,
les linges sont trop sales.
L’ouragan est déjà parti
son paquet de justice sur le dos,
rien ne peut l’arrêter,
pas même l’œil vigilant du géant du Nord,
pas même la poigne des sbires ;
rien ne peut l’arrêter,
même les rosiers seront dépouillés de leurs épines.
L’histoire doit faire son cours,
les fruits pour la cueillette sont mûrs,
l’heure a sonné ;
à tue-tête les opprimés
crieront victoire par monts et par vaux,
car de la muselière il ne restera qu’un souvenir,
celui de la tyrannie.

La lessive doit être faite,
les linges sont trop sales.
Les chênes tomberont,
les roseaux resteront de garde le long des fleuves.
La lessive sera faite,
la terre lavée et purifiée des insultes immondes
de l’injustice et de la honte.

L’ouragan passera, rien ne peut l’arrêter,
ce sera un spectacle inouï
quand l’ouragan passera.
La lessive sera faite te dis-je
et les linges changés.

Yanvalou

Dos bas
dos bas
ondule
ondule
la houle en moi.

Caressent mes flancs frémissants
les douces vagues sonores
au crépuscule
des jours incertains.

Pénètre mes entrailles
me bouleverse
de fond en comble
la prière des prières.

Presse le pas
presse le pas
danse
danse
arrête.

Note suspendue
à mes oreilles
une merveille.

Ondule
ondule
faufile
faufile
Abobo !

(Extraits de Tambour de la Libération/Tanbou Liberasyon/Drum of Liberation, Trilingual Press, 2016)

Nguyên Huê à Saigon le soir.

Nguyên Huê, le grand boulevard qui mène de l’Hôtel de Ville de Saigon vers le fleuve Sông Sài Gòn. —photo par David Henry

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