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Éditoriaux / Editoryal

Un idéal en crise et en devenir

Dans le premier numéro de Tanbou / Tambour de janvier–février 1994, nous nous étions donnés des objectifs qui étaient formulés comme suit:

«La revue sera un organe essentiellement révolutionnaire (…) parce que nous encouragerons la participation collective, massive, combative [de tous], à l’élaboration de notre propre destinée; nous situant à la fois loin et contre l’ennemi, en dehors de son champ intellectuel de mystification et d’aliénation. Nous combattrons l’oppression de l’homme par l’homme par les moyens qui nous seront présentés, tout en encourageant et participant avec les autres dans la quête d’autres moyens».

Ces objectifs et aspirations demeurent aujourd’hui aussi percutants et urgents qu’alors.

Nous demeurons aussi certains que la permanente crise politique et l’état d’indéveloppement endémique qui assaillent Haïti sont part d’une perpétuelle géopolitique de domination dont les effets pervers subvertissent les élans naturels des humains à l’empathie, la solidarité, la communalité et l’attirance mutuelle les uns envers les autres. Pourtant, en dépit de cette politique de déviation anti-humaine, il n’en demeure pas moins que nous soyons encore des compagnons de fait dans une grande aventure existentielle d’autant plus collective et universelle que notre survie, en tant qu’espèce, est congénitalement liée avec celle de l’Autre, et que notre complétude, c’est-à-dire notre réussite cosmo-temporelle, notre finalité, est conditionnée et déterminée par l’interaction avec les autres; interaction comprise ici comme à la fois la quête de l’osmose empathique avec l’Autre, et la préservation et consolidation de l’équilibre écologique et social qui soutienne l’existence. Autrement dit: la solidarité congénitale et la survie collective se complémentarisant pour humaniser l’aventure quotidienne de la vie en société.

Or, comme on le sait, cette géopolitique de domination a mis en branle des forces destructrices qui continuent d’œuvrer assidûment, chaque jour, et même dans le tréfonds de nos émois, pour contrer, dénaturer, les élans généreux de l’humanité. Ces forces—déterminantes des droits à la jouissance de la vie—ce sont tout à la fois la politique de puissance et d’exploitation des nations impérialistes, les intérêts mesquins des classes minoritaires dominantes, et tous les racismes et préjudices anti-humains qui confinent la vie dans l’étau étouffant et dégradant de la subjectivité de clan.

L’impact le plus décisif de ces relations d’aliénation sur la lutte de libération du Tiers-monde s’opère quand l’ordre politique et moral engendré par le régime de domination est internalisé par ceux-là mêmes qui, de fait, en constituent l’anti-thèse et le contre-poids—les opprimés et leurs représentants—acceptant de s’auto-dévaluer et de rejeter leur propre conscience logique pour les fausses logiques et les prisons épistémologiques de l’idéologie occidentale dominante, alimentant ainsi la passivité complaisante qui nourrit en retour un défaitisme ourdi quant aux possibilités de libération existantes. Jurgen Habermas a qualifié cette perversion de «distortion phénoménale de la Réalité» qui «conditionne» notre entendement à l’habituation aux crises, à l’abject, l’absurde, le répréhensible, aboutissant à ce que Hannah Arendt a appelé, parlant du régime nazi, la «normalisation de l’horreur». À voir, en effet, la facilité avec laquelle une toute petite minorité des populations nationales s’accapare et monopolise les richesses matérielles et intellectuelles—du coup les moyens objectifs de l’épanouissement de la vie—d’un pays donné, on ne peut que s’étonner qu’il n’y ait pas une révolution tous les jours.

Le cas d’Haïti

En Haïti, l’indéveloppement économique, la pauvreté, le gaspillage, le sous-usage des ressources disponibles—et l’insouciance d’une classe politique et socio-économique d’autant plus désintéressée de la catastrophe ambiante qu’elle en tire son parti—sont autant de forces antagoniques qui bouchent la voie du tunnel de malheur des Haïtiens; autant de facteurs objectifs qui pérennisent le système d’exploitation et de zombification du peuple.

En cela, la lutte fatricide, acharnée, qui continue de ravager le mouvement lavalas est une illustration parfaite de l’ingéniosité de la grande bourgeoisie haïtienne et ses alliés impérialistes qui, après avoir bouffé tous les mets délicieux de la table—pour employer une image coquasse—laissent les miettes de pain au peuple pour se battre dessus. Quand on sait que l’intervention des États-Unis en Haïti en 1994 et le régime de protectorat qu’ils y maintenaient avaient aussi pour objectif collatéral de pénétrer et neutraliser la puissance de frappe du mouvement populaire lavalas, on comprend pourquoi cette lutte fraticide paraît si suicidaire.

Cela dit, une analyse pertinente de la conjoncture de crise permanente d’Haïti doit inclure une double focalisation sur à la fois la dynamique interne de la lutte des classes et sa dimension exogène, c’est-à-dire la main manipulatrice de l’impérialisme dont l’objectif est l’affaiblissement neutralisant du mouvement populaire, jugé comme étant un contre-poids contrecarrant à la politique néo-libérale. À vrai dire, à voir la lucidité dont a fait montre le peuple même dans sa prise de position pro-Préval dans la lutte qui oppose celui-ci avec l’ancienne majorité OPL du Parlement, c’est clair qu’il ne s’y laisse pas prendre jusqu’ici. Probablement parce qu’il sait bien que la continuation de la fausse crise, dont l’OPL semblait se délecter, ne favorise que les «grands mangeurs», donc le statu quo de perdition, d’autant plus que l’irrédentisme et les sautes d’humeur de ces protagonistes ne reposent sur aucun principe de valeur qui demande un tant soit peu de sacrifice de la part du peuple. Le jeu est vu pour ce qu’il est: un jeu de faux-semblants.

À l’heure qu’il est, Haïti est toujours à la case de départ, malgré les espoirs de 7 Février 1986, des luttes revendicatives de 1987, et de la poussée lavalas de Décembre 1990. Le pays est toujours sous un de facto protectorat, ses ressources pillées, le peuple survivant dans une misère sub-humaine, allégée par l’aide des expatriés et la charité des ONG, tandis que les riches deviennent de plus en plus riches.

Heureusement, le peuple haïtien est toujours en lutte, ses idéaux et aspirations toujours à l’ordre du jour, sa victoire en devenir. C’est bien judicieux de voir Aristide regagner la perspective libérationnelle qui lui a valu l’affection du peuple; c’est encourageant de voir Préval prononcer son discours de Kenskoff, et entamer un rapprochement avec Cuba—ce qui montre que la raison d’État n’a pas tout-à-fait aveuglé sa lucidité sur les enjeux objectifs de la problématique haïtienne. Cependant, comme il est déjà bien prouvé, la rhétorique déclamatoire des dirigeants haïtiens n’est jamais assez pour changer quoi que ce soit. Quoi qu’en disent Boisrond Tonnerre, Antoine Simon ou Jean-Bertrand Aristide.

Pour qu’il y ait un changement véritable en Haïti, il faut surtout une volonté et praxis collectives qui engagent chacun et tous. Pas dans le sens abstrait de l’«engagement», mais dans le sens de la participation de toute la société dans des projets concrets, des pratiques concrètes pour matérialiser les aspirations de la population, fonder ses espoirs. La politique, chez le peuple, est vécue au niveau de la vie, au niveau de la pauvreté alimentée par l’action perverse des autres; au niveau de la mort prématurée des enfants et des générations par manque de la nourriture et des soins médicaux; au niveau de l’humiliation quotidienne, au niveau de la perdition d’être. Ce dernier point signifie que la résistance, la lutte pour la reconquête de l’Être doit être surtout menée au niveau de l’esprit, car la domination n’est complète que quand elle pervertit aussi l’entendement de l’opprimé; donc la lutte contre la zombification culturelle imposée sur la langue et la culture créoles des Haïtiens est une part importante du projet de la libération nationale.

Bref, autant de défis qui sont présentés dans une configuration interconnectée qui inclut les divers aspects de la vie sociale. C’est un combat multi-frontal qui doit s’engager non seulement contre l’exploitation de classe, contre l’émigration forcée, contre la faim, la misère, l’élitisme, le papadocratisme, mais aussi contre l’ordre néo-colonial, le tout-marché libéral, l’indéveloppement endémique, la zombification existentielle. C’est un combat pour une vie autre et meilleure.

Nimewo espesyal Tanbou

Nou sòti nouvo nimewo espesyalTanbou sila a kou yon jefò pou nou kontribye nan relansman deba a sou sou afimasyon kiltirèl idantite ak otantisite pèp ayisyen an, nan yon sans ki valorize rasin afriken li yo. Se tou yon apèl pou yon revolisyon kiltirèl kap vin pote-kole avèk revolisyon sosyal, ekonomik e politik nou souwete pou peyi a.

Kritik Tontongi a sou swadizan «frankofoni ayisyen» se sèlman yon ti trokay nan diskisyon pou reafimasyon kiltirèl sa a. Nan pwochen nimewo jounal la, nou konte prezante travay kritik, lengwistik, syantik anpil lòt pansè ayisyen kap pouse sou keksyon liberasyon sikolojik e entelektyèl pèp ayisyen parapò fason-panse sistèm neo-kolonyalis la.

Antouka, nou espere pou anpil moun kap panse sou keksyon an—edikatè, doktè, enjenyè, ekriven, atis, mizisyen, sikològ, travayè sosyal, elatriye—koumanse met men nan lapat. Youn nan bagay kap prouve sa, se koumanse ekri travay yo an kreyòl (an franse oubyen ann angle tou, si nesesè, paske nou pa kwè se yon keksyon de yon lang kont yon lòt). Sepandan, nou kwè fèmeman ke avansman ak valorizasyon lang-kilti kreyòl la pap ka fèt si li pa yon jefò delibere, yon praxis deside pou ekri e eksprime nan li travay valab nap pwodui. Praxis konsyan sa a te rive lè entelektyèl ak atis franse yo te deside pou yo libere lang ak kilti franse a sou zanpriz dominasyon lang ak kilti laten an. Sa te fèt tou nan jefò Anglophone yo fè pou enpoze lang ak kilti yo a kou yon lang-kilti dominan. Kouwè nou renmen di, «detèminasyon fè lòm (e fanm)», donk se avèk detèminasyon ke pwojè kiltirèl la dwe mennen, paske yon pèp pap janm lib sil pa gen dwa pou l afime oubyen sil reprime lejitimite otantisite kiltirèl li. E lang li se yon faktè enpòtan nan afimasyon sa a.

Kouwè nou montre nan Tanbou, li pa nesesè pou nou ekri nan yon sèl lang pou defann lejitimite lang-kilti oprime kreyòl la. Plis lang yon moun ouswa yon pèp pale, plis li nan avantaj li paske l ede devlope kominikasyon dirèk avèk lòt moun ouswa lòt peyi. Sepandan yon pèp ki meprize e pyetine pwòp lang ak kilti li ap toujou rete yon pèp domine ki enteryorize mòd-panse madichon ak mistifikasyon sistèm kolonyal la met sou pye a pou kontrole nanm ak desten li, sètadi kontrole toutalafwa sa li vle, sa l konnen e sa li ye. Pèp sila a se yon pèp-zonbi ki poko goute sèl.

Donk, kou nou di piwo a, revolisyon kiltirèl la dwe mennen men nan lamen avèk revolisyon sosyo-politik la, paske liberasyon se pa sèlman yon aspirasyon; se sitou yon sistèm de garanti ak opòtinite ki bay yon pèp non sèlman dwa pou l gen manje pou l manje, kay pou l abite, lekòl pou timoun li ale, men tou dwa pou l priye sen li vle, sèvi Bondye jan zansèt li yo te montre l; dwa pou l chèmètchèmètrès lakay li.

Jounen jodia, sistèm konfizyon ki plante nan peyi a apre dezyèm okipasyon meriken an fè anpil militan ap goumen youn kont lòt nan sen mouvman popilè a. Sans ak esans ansyen pwojè lavalas la vin tounen diskou degrenn-goch nan gagè lagè kòk ak kòk pandan peyi a menm ap kontinye desann nan labim. Se sèten ke moun kap tire pati nan dezinyon mouvman popilè a se gwo enterè boujwazi ayisyen an ansanm avèk enterè peyi enperyalis yo ki asosye nan pwojè malonnèt ekplwatasyon pèp la.

Pou rezime, se tout aspirasyon, rèv ak pwojè liberasyon pèp ayisyen an ki toujou an keksyon jodia. Apre bèl lespwa 7 Fevriye 86 te pote yo, apre gwo batay ane 1987 yo, apre 16 Desanm 90, lit liberasyon pèp la rete toujou kote li te koumanse a, sètadi li rete yon pwojè zòt ap kontinye bafwe e trayi e ki bezwen reyalize.

Nou ta espere nan pwochen batay yo, moun yo pap tann e tande sèlman bèl diskou ak bèl santiman. N a espere yap gade wè ki machin agrikòl kap defriche chan yo, ki beton ki jete, ki kay ki bati, ki lekòl ki louvwi, ki pye bwa ki plante, ki jijman ki pwononse, ki afame ki manje, ki bèlte kap pwopaje nan sitiyasyon malouk la kap deperi lavi. Lit jounen jodia kouwè lit tan pase yo se yon lit pou zonbi goute sèl, yon lit pou vanipye monte sou tab ak soulye nan pye l—yon lit pou lavi chanje.

Kosovo

N ap atire atansyon lektè yo tou sou pozisyon tranche nou pran kont entèvansyon OTAN an nan lagè sivil an Yougoslavi a. Byenke represyon ak atrosite gouvènman yougoslav la kont pèp albanyen te mande vijilans konsyans entènasyonal la, nou pa kwè voye bonb pou kraze-brize kay tou de pèp yo (sèb e albanè) se meyè solisyon pou konfli. An reyalite, estrateji OTAN an se «pwojekte pouvwa» li nan zòn lan, sètadi montre gwo ponyèt pou l ka anmenmtan kontrole pèp nan zòn lan e tabli yon «klima estab» ki pwofitab pou kapitalism neo-liberal la.

Epitou, lagè sivil yougoslav la se manifestasyon yon konfli ant de revandikasyon ki lejitim: yon kote, dwa yon pèp pou l gen otodetèminasyon, sètadi dwa chèmèt-chèmètrès nan espas jeografik lap viv la, yon lòt kote, dwa yon peyi souveren genyen lakay li. Sou pretèks pou l ede sò Albanyen yo, OTAN vyole dwa sa yo e koze yon pakèt tribilasyon ak katastrof nan tout zòn lan. Lagè OTAN kont tout pèp ki pa dakò avè li, se yon bagay ki inaseptab. Nan sitiyasyon nan Balkan an, kouwè anpil lòt konfli nan lemond, se pa kout baton ak chay bonm fòs ame peyi dominan yo kap viv rezoud yo; trè souvan se presyon politik, diplomasi ak dyalòg ki meyè solisyon an. Opsyon, mwayen e desizyon militè dwe konsidere sèlman kan tout lòt jefò pa reyisi. Malerezman, se pa lapè mondyal ki enterese pwisans gwo-ponyèt yo, sa ki enterese yo. se kontròl mondyal, global.

—Tanbou Boston, Décembre 1999

Demonstration for Lori Berenson, Washington, DC, January 1999. —photo by James Williamson

Demonstration for Lori Berenson, Washington, DC, January 1999. —photo by James Williamson

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