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Poésie en français

Poème d’Alex Laguerre

Zone d’ombre

Mon désespoir va partouzer
Au milieu des magnolias
Et mon poème
Bravant le couvre-feu
Erre,
Taciturne et pieds nus
Arpentant toutes les rues
de la ville.

—Alex Laguerre est poète, nouvelliste et romancier. Il vit, écrit et travaille actuellement à Port-au-prince, en Haïti. Son poème «Zone d’ombre» fait partie de son recueil Incantations pour les nuits de pleine lune, publié en avril 2013.

Poème de Lenous Guillaume-Suprice

Défrichage

Pour un mieux-être avec ses courtisans et puis elle-même, obstinément, elle finira par tourner le dos au « noble » Iglesias, le premier des coquins, pour assécher ses peurs en présence d’un inconnu, pour bien saisir les élans qui conduisent au déboulonnement des exterminateurs de liberté.

Dans son entourage, pour un début, elle essaiera d’effacer une famine de gaieté dans son être, avec l’amitié d’un divin désaltérant et le solidaire parfum d’un mets d’ouverture à partager, et puis de construire une autoroute de satiété reliant sa main à celle d’autrui, des bourgs les plus proches jusque dans des faubourgs les plus éloignés.

Elle entamera un collectif défrichage des terres de l’injustice, faisant fi des idées d’une infamie au fond de tant d’abrutis, en vilipendant l’immoralité, celle-ci, le second nerf de la guerre, pour prestement soulever un jour, sur les voies respiratoires des plus démunis, la haine en plomb d’une partie de son Amérique et de ses trains d’enfer.

(Montréal, mai–juin 2019)

Hourvari

(À la mémoire de Lénélia Guirand, ma marraine)

Contrairement à ta jumelle, elles ne veulent partager quoi que ce soit de
leur envol à qui que ce soit, de ce côté-ci des barricades, ces bêtes
insensées sur leurs (?) terres de chasse

Elles gambadent sur des terrains avoisinant l’infini, sans souci maintenant
des lendemains, à l’envers de nombreux fauchés des Amériques fuyant les
orages de la lourdeur, coyotes aux trousses

À coups de brèches dans leurs tours en verre, quelqu’un les aura,
chemin faisant, ces naufrageuses du bien et du beau, ces pilleuses de territoires

À peu près toutes, quelqu’un les aura, faisans chassant, à grands éclats
de tonnerre dans leurs nids bien perchés.

—Lenous Guillaume-Suprice

Poème de Tontongi

(J’ai écrit le suivant en 1986, soit en plein règne de Ronald Reagan qui gouvernait déjà, bien avant George Bush le fils, comme un cow-boy.)

Le Terroriste

(Dédié à Ronald Reagan)

Il est aussi vieux que l’Histoire
Ce vieil oiseau d’un monde trop malade
Il parcourt les océans tout comme les continents
Où il se sent piégé comme nous tous le sommes
Dans ce monde infesté de machines infernales.

Il est de tout pays et de toutes origines
Il croit en Dieu-le-père comme tous les bénitiers
Même s’il courtise parfois l’amitié de Satan ;
Ce grand enfant gâté des malheurs de notre siècle
Est pourtant le miroir de nos imperfections.

Il s’appelait Caco, Marron et Va-nu-pieds
Il était grand sorcier quand il fut protestant ;
Jeanne d’Arc l’a épousé jadis dans sa colère,
Washington et Lénine ont veillé sur sa tombe
Dans leurs moments de doute et de découragement.

Ses trophées sont plus nobles que ceux de l’Olympique
Il a reçu l’Oscar, le Nobel et des louanges
Pour ses prouesses jadis dans les Guerres Mondiales,
On lui a décerné même la Légion d’Honneur
Pour son patriotisme dans la grande Résistance.

Nous l’avons retrouvé dernièrement à Beyrouth
Cette curieuse capitale des Seigneurs de la guerre,
Kadhafi l’a salué comme l’un de ses héros
Pour son credo guerrier de la libération
On eut dit que jamais l’espoir ait tant germé !

L’Occident le redoute comme il redoute la peste
Pour s’être intégré dans son mode de vie,
Il voit dans la magie du spectre terroriste
Un complice trop gênant pour ses secrets d’État ;
Oh! Que de terroristes la Mafia n’a-t-il pas engendrés !

Et des années plus tard du tréfonds de l’abîme
On l’a retrouvé charnellement incarné
Dans la fièvre de vie, dans le rêve de révolte
Du peuple de Dessalines plongé dans la Croisade
Du grand dechoukage de mille ans d’infamie !

Qui est-il finalement ce mystère sans mystère
Pour se faire inviter malgré lui pauvre naïf
Dans l’intimité douce du grand commis de l’État ?
Qui est-il finalement ce Malandren sans-le-sou
Qui captive l’émoi d’un monde si cynique ?

—Tontongi New York, 1986, publié pour la première fois dans le recueil de poèmes Cris de rêve, 1986.

Poèmes de Jean Saint-Vil

Ils sont à toi ces vers de soie

Ils sont à toi ces vers de soie
Tu peux les boire
Jusqu’à plus soif

Ils sont à toi ces vers de soie
Tu peux les boire
De long en large
Pour t’enivrer
De leur beauté

Ils sont à toi ces vers de soie
Que j’ai pondus à la volée
En tête-à-tête avec les mots
Qui coulent à flot
Dans ma pensée

Dans le creux de ta main

Dans le creux de ta main
Il y a la chaleur
D’une fièvre sournoise
Qui fait monter d’un cran
Le feu de mon désir

Dans le creux de ta main
Il y a les échos tremblotants
Des battements quasiment inaudibles
De ton pouls qui déraille
Dans mes mains

Dans le creux de ta main
Il y a les mots crus
Qui ne sont pas des mots creux
Qui résonnent dans ma main
Comme des coups de cymbale

Dans le creux de ta main
Il y a toutes les traces
Des souvenirs d’amour fou
Qui s’égaillent comme des grains
De pollen dans le vent

L’ombre une petite ingrate

L’ombre une petite ingrate
Qui ne veut pas savoir
Ce qui est évident
Au bout de toutes les lèvres
Et qui crève tous les yeux
Aux quatre coins du monde

L’ombre une petite ingrate
Qui clame haut et fort
Sous les pieds qui la foulent
Qu’elle est une orpheline
Qui n’a jamais vu une fois
Ni son père ni sa mère

L’ombre une petite ingrate
Qui n’est pas autonome
Qui prend tout à l’envers
Et qui ne veut que personne
Ne dise ou ne susurre
Qu’elle est fille de lumière

Ne comptons plus sur le futur

À bas le futur
Qu’on croit meilleur
Parce qu’on est fous
Dans le royaume
Des illusions
Est-ce que l’avenir
Peut nous parler
Pour nous dicter
Ce qu’il réserve

Ouvrons les yeux
Et nous verrons
Que l’avenir
Que nous aimons
N’a jamais de cesse
De nous rouler
Dans la farine

Ne mentons plus
Sur le futur
Qui en a marre
De nos âneries
À ses dépens
Toujours simplistes

Ne comptons plus
Sur le futur
Qui ne mérite point
Toutes les médailles
Qu’on lui décerne
Depuis des lustres

De tes amours passées

Qu’as-tu fait de tes amours
Passées par pertes et profits
Dans la longue liste périmée
De tes bons
Et mauvais souvenirs
Maintenant
Qu’ils sont vraiment classés
Tous très loin derrière toi
Et enfouis à jamais
Dans les cendres de l’oubli
Sont-ils vraiment pour toi
Rien que du temps perdu

Le vent se lève

Le vent se lève
C’est un petit prétentieux
Qui se permet
De clamer à haute voix
Qu’il est égal
Voire supérieur au jour

Le vent se lève
Pris d’une sorte de vertige
Qu’il propage
Et diffuse très loin
À la vitesse
D’un TGV

Le vent se lève
Un petit coquin haut en couleur
Qui des fois s’enhardit
Jusqu’à soulever
À très haute altitude
Les jupes très évasées des femmes

Mon vœu de mort

Peu importe leur couleur
Toutes les croix sont des croix
Toutes les croix sont mystères
Je préfère les croix bleues
Aux croix rouges
Moi je m’incline pieusement
Et je prie à chaque fois sagement
Devant la croix du Christ
Lui disant haut et fort
Que mon vœu le plus cher
Que je formule
En tout temps
En tout lieu
C’est de ne pas mourir
Sur une croix
Mais peut-être de mourir
Sur une femme en croix

(le 28 avril 2020)

Je croyais que l’amour

Je croyais que l’amour
Avait les pieds sur terre
Il est toujours perdu
Sa tête ailleurs
Toujours en quête d’ailleurs

Je croyais que l’amour
Était un peu sérieux
C’est un bluffeur invétéré
Qui veut toujours qu’on lui donne
Le Bon dieu sans confession

Je croyais aussi que l’amour
Était chimiquement pur
Il a plein de gangue à son actif
Qui s’incruste dans son ADN
Qui est souvent vicié à mort

San tit # 1

Que de fois de ma vie
J’ai été dans le doute
Même parfois dans des doutes XXL
Au point de me prendre parfois
Pour un homme du doute
Sinon de tous les doutes
De la Terre et des cieux
Sans aller jusqu’à croire
Que je suis condamné
À marcher cheminer
Sur les œufs du doute
Pour le reste de ma vie
Mais le vrai homme du doute
Est un homme parfait
Qui déteste le doute
Mais qui le prend au sérieux
Même s’il répète à l’envi
Que le doute n’est rien pour lui

(11 mai 2020)

San tit # 2

Sur la route de l’amour
Je veux suivre tes pas
Je veux suivre ton ombre
Je veux suivre ton parfum
Pour ne pas perdre le nord

(24 mai 2020)

L’île

L’île c’est souvent
Une terre promise
Coupée du monde
Comme par hasard
Qui prend son temps
Les pieds dans l’eau
L’île c’est les vagues
Qui déferlent
L’une après l’autre
Et qui échouent
À chaque fois
Dans leur vertige
Quand elles se prennent
Pour des montagnes
Qui veulent toucher
Le bleu du ciel
L’île c’est toujours
Le vent virevoltant
Qui crache
Des flots de tourbillons
Dont le seul but
Est de mourir
Au fond des jupes
L’île est amour
Terre d’idylles
Qui prend de l’eau
De tous les côtés
Comme un bateau
Qui se débat
Dans une mer
De tous les dangers
(Le 6 août 2013)

—Jean Saint-Vil

Poèmes de Denizé Lauture

Le vertige du fou

Avant-hier la colline était d’un gris-cendre. Hier
Elle a commencé à avoir des îlots roses et blancs. Aujourd’hui
Ce sont des îlots un peu verts. Demain elle sera tout à fait
Verte avec ici et là quelques îlots roses et jaunes. Après-
Demain elle deviendra un gros bloc d’or. Le jour suivant, avec
Surprise, on la verra bien dépouillée. C’est qu’une ravissante
Voleuse aura raflé toutes ses feuilles et tous ses fruits. Et
Le matin après, autre surprise ; un peintre aux grands desseins
L’aura rendue blanche, complètement blanche.

Quelle tête de fou passe son temps à observer les métamor-
Phoses naturelles ? Pourquoi se tourmente-t-elle lorsque la
Colline se laisse embrasser pendant longtemps par les nuages
Et les brouillards intimidateurs ? Pourquoi ses sens s’enflamment-ils
Quand les langues dorées du soleil lèchent chaque feuille, chaque arbuste,
Chaque pierre, chaque brin d’herbe, chaque crevasse de la colline ?

Entre la lune et cette tête perdue, c’est une lutte sans
Merci pour la colline. Lorsque la lune est pleine elle s’empare
De toute la colline, la comble d’argent pendant les heures
Mystérieuses. Quand il pleuvine, quand des gouttelettes d’argent
Tombent des feuilles, des rameaux, des nids et des aspérités des
Rochers, regarde l’écervelé, et tu verras aussi des gouttelettes
Dans ses yeux.

Pourtant, cet être fou qui croit que c’est le toit de son
Gîte qui craque lorsque les arbres de la colline plient sous les
Secousses d’une tempête ne possède la colline que parce qu’il
Monte et traverse chaque jour un pont campant sa superstructure
Face à la colline. Il l’appelle son pont comme il appelle la
Colline sa colline. Sur ce pont il se sent plus qu’un oiseau qui plane
Ou qui vole, plus qu’un ange qui apparaît et disparaît, plus
Qu’un esprit qui n’a jamais eu de corps, plus qu’un dieu qui a
Toujours existé. La majestueuse colline devant ou derrière,
La superstructure du pont lui offrant l’horizon, l’entrecroisement
Vertigineux dans sa boîte crânienne des triangles, des rectangles, des
Demi-cercles, le profil d’acier et de béton miroitant sous la
Vélocité foudroyante des pléiades « d’étoiles filantes », l’immensité
Du fleuve, ondulant écran au néon qui perpétue le spectacle
Établissent en son âme folle bercée par le naturel et le tech-
Nologique l’équilibre le plus éthéré de l’univers. Il tapote
Doucement les rameaux ruisselants de rosée de la colline et
Tire sa langue pour faire descendre les fraîches gouttelettes
En son cœur.

Le poème

Le poème était devant moi
Sur une table
Un poème en encre noire
Écrit sur du papier vert
Je fredonnais un air ancien
Un air que chantaient mes aïeux
Devant mes yeux
Le poème s’est transformé
En un corps palpitant de vie
Et la mélodie que je fredonnais
Est devenue voile doré
Et a enveloppé
Le beau corps palpitant du poème

Sont arrivés deux patriarches
Muni chacun d’un stéthoscope
L’un a ausculté mon cœur
L’autre le cœur de la créature hybride
Le cœur hybride et mon cœur avaient le même rythme.

Cailloux cannibales

Cailloux noirs
Aux arêtes tranchantes
Difformes
Où sont
Ces grandes silhouettes roses
Qui s’allongeaient sur vous
Nuit et jour ?
Vos lèvres
Trop enflammées
Les ont-elles embrassées
Trop profondément ?
Ont-elles rongé
Le dernier millimètre
De leur chair ?
Tété
La dernière goutte
De leur essence… ?

La ronde des comètes

C’était une drôle de tête
Ses prunelles dérobaient
Dérobaient les flèches solaires
Et les angles stellaires
Les arcs lunaires
Et les scènes célestes
Et elle se disait Poétesse
Chasseresse de comètes !
La terre et ses mille haies
Elle les ignorait
De la mer elle avalait le sel
Au-delà des quais
Elle tanguait et tanguait
Son âme de folle gaie
Voguait pirouettait
Sur les marines crêtes
Et sifflotait ses airs
De gai oiselet
Et elle se disait Poétesse
Chasseresse de comètes !
Elle dansait dansait
Au rythme des ondes bleues elle dansait
Au sifflement du vent elle dansait
Au mugissement de l’océan elle dansait
Elle dansait dansait
Et les poissons médusés
Dansaient avec elle
Et elle se disait Poétesse
Chasseresse de comètes !
***
Elle voltigeait de crête en crête
Comme un papillon fait
De fleur en fleur
Elle laissait la mer
Pour le domaine des éclairs
Les poissons pleuraient pleuraient
Mais elle dansait et riait
Et elle se disait Poétesse
Chasseresse de comètes !
Sur les abîmes insondés
Sur les falaises escarpées
Elle dansait
Dans les verdoyantes plaines
Sur les désolés sommets
Elle dansait
Elle baisait chaque fruit trouvé
Les doux et les amers
Ses lèvres laissaient
Rouge toute fleur
Rouge toute feuille
Et elle se disait Poétesse
Chasseresse de comètes !
Les âmes ailées amusées
Suivaient son trajet de comète
Et elle leur disait
Chantons la ronde des comètes !
Chantons la chanson des vrais poètes !
Et les douces âmes chantaient
Oui toutes chantaient avec elle
La ronde des comètes
Toutes chantaient chantaient
Avec cette drôle de tête
Qui se disait Poétesse
Chasseresse de comètes !
***
Et le ciel s’illuminait
Et la terre s’éclairait
Et les rivières et les fleuves
Et les mers reflétaient
Les lueurs des comètes
Et tout l’univers fredonnait.
La chanson des poètes
Et la poétesse vierge FOLLE
Collait ses lèvres MOLLES
Aux mamelles de FEU
À la fournaise SUPRÊME
Des comètes RUTILLÉES
ET IL SE DISAIT POÈTE
CHASSEUR DE COMÈTES… !

—Denizé Lauture

Poème de Coutechève Lavoie Aupont

Bois de Bry

Il y est des lieux de lumières
De quiétude et de grandes inspirations
Il y est des chemins verts
rocailleux
et des yeux bénis
pour habiller l’horizon
l’offrir aux passants radieux de son enfance
Il y est aussi des rêves fertiles
des gousses
solidement attachées
à la grâce dorée du sol
Il y est lieux
Il y a épaules
Il y est montagnes
Il y a époques
Il y a des humanités
plus immenses que la peur
que les plaies la politique les pandémies
Il est des livres où les fruits
débordent les champs dressés
par la générosité des mains rugueuses
Mais fraternelles
Il est des poings
où chaque geste érige
Où chaque silence parle doux
comme à un amour premier
et éternel
Des cris où chaque arbre ambrasse
une chanson
Un air de jouvence au quotidien

Il est simplement des voyages
où chaque refrain naturel
portent en lui l’appel d’une grande altérité.

Coutechève Lavoie Aupont Les Résidences Bois de Bry, jeudi 2 juillet 2020, Labranle, Gonaïves.)

Poèmes de Michèle Voltaire Marcelin

Nous n’irons plus à l’abattoir

Ils nous ont bâillonnés pour nous empêcher de protester
Ils nous ont enfermés, affamés, épuisés
Ils nous ont écorchés jusqu’au sang
Ils pensaient que nous allions rester tranquilles
Ils voulaient nous faire perdre l’espoir
Mais nous n’irons plus à l’abattoir

L’inquiétude est quotidienne
L’épouvante est notre voisine
La misère qui nous confine est une rigoise
Un martinet
Dans la pénombre
Nous vivons à dix dans une chambre
Quand aux repas, n’en parlons pas
Nos enfants ne vont pas à l’école
Nous nous habillons de pèpè
Et nous allons par-ci, par-là
Chercher la vie dans tous les coins

Et parce qu’ils sont sans besoins
Ils nous appellent irresponsables
Les fonds de l’État sont leurs biens
Ils passent dans leurs voitures blindées
Cachés derrière leurs vitres teintées
Leurs chiens n’ont pas de muselières
Tous leurs murs ont des barbelés

Ils nous ont bâillonnés pour nous empêcher de protester
Ils nous ont humiliés, exténués, opprimés
Ils nous ont achetés à bon marché, vendus cher
Ils pensaient que nous allions nous taire
Ils voulaient nous faire oublier notre histoire
Mais nous n’irons plus à l’abattoir

Ils nous ont bâillonnés pour nous empêcher de protester
Mais nous gardons les yeux ouverts
Mon frère, un jour, nous arracherons nos bâillons
Nous briserons ces murs qui nous séparent
Un jour, par la force des mots
Nous saurons transformer le monde
Pour que nous puissions vivre ensemble
Car nous n’irons plus jamais à l’abattoir.

Latitude d’inquiétude

«À chaque latitude son inquiétude.»

J’ai perdu mes repères
Dans la géographie des êtres sans souvenir
Transformée par l’absence
Excédée de lumière
Je ne dors ni ne rêve

Le ciel se remplit de monstres
Un champ d’étoiles illumine la mer
Mon destin s’inscrit dans les ombres mouvantes

Promesses d’eau
Masses d’herbes
Ailes blanches
Transparences de méduses
Dans le miroir des algues
L’espace se brise en mille branches

Paupières grêlées de sel
Je navigue en aveugle
Sous l’eau
Sous la pierre
Des poissons glissent de mes cheveux défaits
Ma bouche est un secret
Les lignes de ma main deviennent lignes d’horizon.

(Brooklyn, Avril 2020)

—Michèle Voltaire Marcelin

Le Jardin du Dr Sun Yat-Sen, Vancouver, Canada, by David Henry, 1998.

Le Jardin du Dr Sun Yat-Sen à Vancouver, Canada —image par le photographe à Paris, David Henry, 1998

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