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Le Covid-Organics peut-il arriver à destination ?

—par Jean Saint-Vil publié pour la première fois dans Le National du 28 mai 2020

Le Covid-Organics est un produit qui fait la une dans le monde francophone depuis le 20 avril 2020 quand le Président malgache l’a présenté en grande pompe à Tananarive devant un parterre d’invités—ministres, diplomates et scientifiques—comme un remède auxquels il prête avec assurance et insistance des vertus préventives et curatives contre la pandémie du Covid-19. Depuis, le Madagascar, pays jusque-là quasiment ignoré par la plupart des Africains, est devenu un pays-phare qui leur a apporté une immense fierté pour « son invention » alors que le continent souffre d’un cruel déficit en termes scientifiques et technologiques. Que d’Africains et d’Afro-Américains se sont sentis confortés et excités par ce brusque réveil d’un continent qui a été longtemps meurtri par l’esclavage et les combines des grandes puissances !

Jusqu’à ce jour, le mot Covid-Organics résonne sur les lèvres de nombreux citoyens du Tiers-Monde francophone qui attendent l’arrivée du produit-miracle pour les guérir en cas d’atteinte par la maladie.

Pourtant, de nombreux doutes se sont fait jour de la part de nombreux organismes qui font autorité comme l’OMS et l’Union Africaine ainsi que plusieurs médecins africains qui ont demandé d’en savoir plus sur le Covid-Organics pour en vérifier les caractéristiques avant de prendre le risque de le prescrire aux patients frappés par la pandémie.

Cependant, un président malgache, au ton messianique, sûr de son produit persiste et signe, continuant dur comme fer son battage médiatique.

Face à la problématique concernant le nouveau produit, on est amené à se poser naturellement la question de savoir si le Covid-Organics peut arriver à destination.

1 d’où vient le Covid-Organics ?

Le nom de Covid-Organics dont le sigle est CVO est un nom joli, très sympathique qui résonne de manière agréable aux oreilles.

Il s’agit d’un produit mis au point par l’Institut de recherches appliquées du Madagascar et qui est essentiellement fait d’artémésine ou artemisia, une plante aromatique originaire de Chine et qui est utilisée comme plante médicinale traditionnelle depuis 2 400 ans dans ce pays.

Quid de l’artémésine ?

L’artémésine annuelle ou artemisia annua est une plante à l’allure de fougère verte, ressemblant aux cannabis et ne dépassant au maximum 3 mètres de hauteur pour certaines espèces. Les artemisia sont des plantes herbacées annuelles glabres, utilisées en médecine traditionnelle pour lutter contre les fièvres L’armoise annuelle contient plusieurs substances actives dont l’artémésine, efficaces pour lutter contre les parasites du genre Plasmodium, qui sont les agents du paludisme.

Il en existe de 200 à 400 espèces dans le monde et dans quasiment tous les pays puisqu’elle a été importée un peu partout y compris dans le continent américain et en zone tempérée. Les deux espèces les plus connues sont l’artemisia annua et l’artemisia afra. Plus d’un a vanté les vertus curatives de l’artemisia annua qui est connu pour guérir le paludisme depuis les études des Chinois au début des années 2000, qui avaient scientifiquement prouvé son utilité contre cette maladie qui tue plus de 500 000 personnes par an.

1.2 Le principe actif de l’artémésine

Le principe actif qui est extrait de l’Artemisia annua dont Madagascar assure une bonne partie de la production mondiale, est l’artémésinine qui a été découverte en 1972 par Tu Touyou, Prix Nobel 2015 de médecine et de physiologie, une chercheuse chinoise. L’efficacité de l’artémésine annuelle contre le paludisme a été vite reconnue dans le monde entier alors que les médicaments précédents, la quinine et la chloroquine, s’étaient avérés au fil des temps inefficaces contre la maladie pour cause de résistance des plasmodiums. Avec son équipe, Tu Touyou avait découvert tout au long de sa carrière quatre autres « nouveaux médicaments de première catégorie en Chine ».

Depuis lors, elle a obtenu de nouveaux résultats dans la recherche de ce principe actif de l’armoise annuelle et de ses dérivés.

La plante pousse partout y compris sur les pentes, dans tous les terrains vagues et au milieu des habitations. Sa floraison est estivale, les fleurs sont groupées en capitules et les fruits sont des akènes ellipsoïdes-ovoïdes. Mais on signale des difficultés de culture en zone tropicale rendant le processus très complexe, qui sont à l’origine de grandes différences en termes de teneur en artémisinine en fonction du sol, de la période et des conditions de récolte, de séchage et de stockage rendent difficile la standardisation et donc la garantie d’efficacité de la plante utilisée en tisane.

La récolte de l’artemisia annua se fait avant la floraison et Il est très important de faire sécher les feuilles à l’abri du soleil, sinon la matière active disparaît. Le temps de séchage normal est de deux à trois jours dans une atmosphère sèche et aérée.

Une fois que les feuilles sont séchées, elles peuvent être réduites avec les jeunes tiges en poudre dans un blinder, puis tamisée à l’aide d’un tamis ou d’une passoire et la poudre se consomme à raison d’une cuillère à café rase (500 à 1 000 mg/jour) en préventif pour le paludisme chaque matin et en curatif, en cas de crise, toutes les six heures soit quatre fois par jour réparties au mieux sur la journée pendant sept à huit jours.

La poudre de plante est plus efficace que la tisane parce que les lactones et les flavonoïdes qu’elle contient sont peu solubles dans l’eau. Si on fait de la tisane Il faut 10 grammes de plantes pour un litre à consommer dans la journée. La forme galénique pour les bébés et les jeunes enfants consiste en des suppositoires avec de la graisse et de la poudre mélangées et préparées au dernier moment tandis que la dose pour un adulte est une cuillère à café de poudre.

2. Les protagonistes du Covid-Organics

Il existe au moins deux héros du Covid-Organics : le vrai inventeur du « médicament-miracle » et le président malgache, Andry Rajoelina.

Le vrai héros du Covid-Organics

Sans vouloir minimiser le rôle par le président malgache dans le Covid-Organics, Il faut souligner que le vrai héros du produit malgache est un congolais du nom de Jérôme Muyangi, diplômé de la Faculté de Médecine de l’Université de Kinshasa et victime à maintes reprises d’un complot indo-pakistanais. C’est lui qui a découvert le médicament qui est vanté à outrance par Andry Rajoelina. Il a même été plusieurs fois persécuté dans son propre pays où Il a été empoisonné et emprisonné à plusieurs reprises pour le succès de ses recherches sur la plante artemisia contre le paludisme. Il avait suivi un son master en France avec le soutien d’une Française qui l’avait mis en contact avec le laboratoire malgache de l’Institut de recherches appliquées du Madagascar ou Il a poursuivi ses travaux sur l’efficacité curative de l’artémisia annua.

Le président magalche

Le président malgache, élu le 18 janvier 2019, a acquis depuis le 20 avril 2020 une notoriété mondiale grâce à son marketing pour le Covid-Organics. Il est un grand homme de communication qui a été qualifié en février 2009 « d’idéaliste, émotif et inflexible » par Niels Marquardt, alors ambassadeur des États-Unis à Madagascar, lors de la grande crise politique de 2009 qui avait secoué le pays pendant plusieurs mois.

Au départ, Andry Rajoelina est un chef d’entreprise qui a commencé en 1994 sa carrière dans le secteur de l’événement, étant occasionnellement disc-jockey, organisant et animant les concerts « Live ». Il est entré en politique comme maire de la capitale de Madagascar, Tananarive, en 2007 d’où Il a mené le mouvement de contestation ayant abouti à la crise politique de 2009 et au renversement du président Marc Ravalomanana. À la faveur de ces événements, considérés comme une arrivée au pouvoir anticonstitutionnelle par plusieurs pays, Il devient président de la Haute autorité de la transition et chef de l’État de facto. Après avoir accepté de ne pas se présenter à l’élection dans le cadre d’un accord politique, Il quitte la tête du pays en 2014, sous pression de la communauté internationale qui avait bloqué toute aide au pays en raison des conditions de sa prise de pouvoir.

Le président malgache est une figure de proue sur la scène internationale qui « veut changer la face du monde » à la faveur de cette tisane dont Il a fait la promotion pendant plus d’un mois et qui est largement vendue dans le pays et dont plusieurs pays en ont également pris livraison, à titre de dons.

3 Quid du « médicament » en réalité ?

On sait que le Madagascar est avec la Chine l’un des principaux pays producteurs d’armoise annuelle.

3.1 L’enjeu économique de l’artémésine annuelle à Madagascar

Au début des années 2000, une filière s’était créée à Madagascar, autour d’une entreprise, Bionexx, qui avait conclu des contrats avec de nombreux cultivateurs. Cependant, quand on a réussi à synthétiser chimiquement l’artemisia annua, la demande de la plante malgache avait donc stagné et le pays peine de plus en plus à écouler ses stocks de plante séchée à un prix intéressant, soit plus de 500 dollars la tonne. On a signalé que, pour cause de non rentabilité, des paysans qui s’étaient lancés dans l’aventure de l’artemisia ont jeté l’éponge.

L’un des enjeux concernant la bataille du président est de faire de l’artemisia un véritable or vert pour le pays s’il gagne la bataille du Covid-Organics, ce qui lui permettrait de pérenniser cette culture dans la « Grande Île » et de vendre la plante séchée à au moins 3 000 dollars la tonne, soit dix fois plus cher que le riz. Cependant, à l’heure actuelle, on est loin du compte, la plupart des paysans intéressés à ce produit ne recevant à peine que dix fois moins, soit l’équivalent de 0,30 dollars le kilo.

D’autre part, le grand intérêt du pays pour l’utilisation des plantes traditionnelles pour le traitement de ses concitoyens est dû au fait que les populations malgaches n’ont pas les moyens de se procurer les médicaments importés qui ne sont pas à leur portée.

3.2 Le produit-phare de l’Institut malgache de recherches appliquées

Ce n’est pas par hasard que les Malgaches ont recouru à l’artémésine annuelle pour essayer de contrer la pandémie du Covid-19. Ils ont suivi en ce sens les médecins chinois qui avaient administré les décoctions de cette plante aux malades pendant l’épidémie de SARS de 2003 et contre la Covid-19, dès le mois de décembre 2019. Associées aux thérapeutiques conventionnelles, les tisanes d’artémésine auraient atténué les symptômes respiratoires et réduit de 10% les entrées en réanimation. D’où la croyance que ses molécules de l’artemisia annua seraient capables de bloquer les deux récepteurs principaux (protéase sérique, récepteur ACE2) de la membrane cellulaire, c’est-à-dire les deux principales clés d’accès au virus dans la cellule. Mais, rien de plus sérieux ni de plus probant concernant la guérison de la pandémie.

Le Covid-Organics serait composé à 62 % d’artemisia et d’autres plantes médicinales qui poussent à Madagascar, mais l’Institut malgache de recherches appliquées, l’IMRA, dont la légitimité est respectée dans le monde, et dont le « credo » est de prôner « la recherche associant les médecines moderne et traditionnelle », cache le voile sur les autres plantes entrant dans sa composition. Sans doute, derrière ce mystère, une volonté des scientifiques malgaches est de protéger leur « invention » contre toute concurrence.

Les premiers documents en lien avec l’invention du Covid-Organics indiquent que le produit a été testé à la veille du lancement commercial sur trois malades chez qui, selon Charles Andrianjara, directeur de l’IMRA, on avait « constaté une amélioration de leur état de santé et l’atténuation des symptômes de fièvre et de difficultés respiratoires ». Ce qui semble insuffisant pour prouver l’efficacité du « médicament », alors que la médecine conventionnelle recourt généralement à des essais d’abord sur des animaux, puis sur un grand nombre de volontaires avec la préoccupation d’analyser les effets secondaires ainsi que les effets indésirables, la posologie à prescrire, les risques d’intolérance.

Au départ, en plus d’être distribué aux populations démunies et aux élèves malgaches, le produit était administré aux 175 premiers malades du Madagascar au nombre desquels on n’avait constaté aucun décès, mais à ce jour [mi-mai 2020] le nombre de morts se monte à 2 pour 612 cas.

Cependant, localement, la comparaison n’a pas été faite avec d’autres pays qui comptaient en même temps plus de malades et zéro mort. Ainsi plusieurs pays ont fait presque jeu égal ou mieux sans le Covid-Organics. Ainsi à ce jour, la République Centrafricaine ne déplore qu’un décès pour 702 cas, le Vietnam zéro mort pour 327 cas, l’Ouganda également zéro décès pour 281 cas, le Rwanda, toujours zéro décès pour 346 cas [à partir de mi-mai 2020].

3.3 La question des contestations autour du produit

La tisane malgache reste un produit contesté même au Madagascar bien que le président ait pris les devants par rapport aux instances de contrôle attitrées des médicaments dans son pays. S’il a réussi à obtenir une autorisation temporaire du ministère de la Santé, les réserves sont nombreuses chez les scientifiques malgaches et ailleurs dans le monde.

Le Professeur Rafatro Herintsoa, un des trois scientifiques autorisés par l’État malgache à s’exprimer sur la question, a fait savoir lors d’une émission de télévision que le Covid-Organics n’avait pas obtenu le feu vert de l’administration en charge du contrôle des médicaments.

Il en a été de même de la part du doyen de la faculté de médecine de Toamasina, (une autre ville du Madagascar), le Dr Stéphane Ralandison, qui avait mis en garde contre les méthodes « pas bien scientifiques » qui ont présidé au lancement de la tisane.

Même un sociologue malgache, Marcel Razafimahatratra, s’est posé la question de savoir « pourquoi les Chinois n’ont pas utilisé ce remède ? », rappelant que l’artemisia annua est utilisée par la médecine chinoise depuis des siècles.

Les plus grandes réserves étaient venues de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC) qui avaient insisté sur la nécessité de valider scientifiquement les remèdes locaux. Face à la publicité tonitruante du président malgache, l’OMS a longtemps maintenu pour ce qui concerne les traitements traditionnels qu’« Il est primordial d’établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux », recommandant au 4 mai que des essais soient « réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables ».

Mais, suite à l’insistance d’Andry Rajoelina, l’OMS, mise sous pression par plusieurs États lors sa dernière assemblée générale tenue les 18 et 19 mai dernier, a baissé pavillon et a accepté un compromis selon lequel elle a invité Madagascar à participer au « Solidarity trial » qui est un programme international sur des essais cliniques des nouveaux traitements inventés afin d’enrayer la propagation de cette pandémie. Il a été même envisagé entre les deux parties après les attaques frontales du président malgache la perspective de diversifier la forme galénique du Covid-Organics et d’envisager une forme injectable du « médicament » pour dépasser le stade actuel de tisane ou de poudre.

Conclusion

Le texte qui vient d’être développé a montré d’abord de quoi se sont inspirés les scientifiques malgaches pour lancer le Covid-Organics, sous la direction du vrai héro du produit, le Congolais Jérôme Mouyangui. Un médicament qui exploite le principe actif d’une plante connue et utilisée par les Chinois depuis 2 400 ans contre les fièvres et depuis la fin du xxè siècle contre le paludisme. Si la tentative malgache reste louable pour « changer le monde » suivant le vœu de Rajoelina, elle est cependant entachée de précipitation, faute d’avoir suivi les procédures requises entourant l’invention de médicaments. Même certains scientifiques malgaches et africains ont émis des réserves sur le produit. Un opposant au président, Fanirisoa Ernaivo, a même pointé sa méfiance, indiquant qu’« utiliser la population malgache, les enfants surtout, comme cobayes de ce remède-miracle, c’est dangereux ». Qui peut savoir si les deux ou trois personnes « guéries » avant le 20 avril ne relèvent pas des 80% des malades du Covid-19 guéris spontanément suivant les statistiques publiées sur le sort des patients atteints de la maladie ?

Maintenant, la balle est dans le camp de l’OMS qui procèdera à des tests qui seront sans doute longs et qui dureront probablement des années, le temps que se terminent le mandat de Rajoelina et le passage de l’épidémie du Covid-19.

—Jean Saint-Vil

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