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Tontongi, Critique de la francophonie haïtienne

Paris : l’Harmattan, 2007, 240 p., ISBN 978-2-296-04323-7

La couverture de «Critique de la francophonie haïtienne» de Tontongi.

La couverture de Critique de la francophonie haïtienne de Tontongi.

La quatrième de couverture de «Critique de la francophonie haïtienne» de Tontongi.

La quatrième de couverture de Critique de la francophonie haïtienne de Tontongi.

Dans cet ouvrage, Tontongi, poète, critique et essayiste haïtien résidant à Boston, pose la question de la langue en Haïti, interrogeant les rapports de force entre créole et français, mais aussi leurs présupposés et leurs implications. Revenant sur des débats dont il retrace l’historique, il affiche sa position dès le premier paragraphe, non sans quelque provocation : « malgré le lieu commun qui insinue le contraire, Haïti n’est pas un pays francophone ». C’est en 1998, à la suite d’une invitation, par le consulat français de Boston, à participer à une commémoration de la Francophonie, que l’idée de ce livre lui est venue. Le premier chapitre rassemble ses arguments contre l’acceptation de l’Assemblée des Artistes Haïtiens du Massachusetts. Ainsi impulsée, sa réflexion a ensuite donné lieu à quatorze autres chapitres dont les deux derniers sont en créole. Respectivement « traduction adaptive » et « reproduction abrégée » (p. 197) des chapitres intitulés « Le langage et l’identité » et « Le langage et l’environnement social », ils offrent une « postface créole » (p. 197), répondant à la fois à la nécessité argumentée dans l’ouvrage d’une production en créole et à la démonstration de sa possibilité dans le domaine de la « connaissance sérieuse », contre « la supposée imperméabilité du créole à la rationalité scientifique » (p. 43).

Car Tontongi vise aussi à réévaluer les fondements de l’autorité du français, qu’il dénonce comme relevant d’une « mystification » (p. 35), sans toutefois « nourrir un sentiment anti-français puéril » (p. 9) : il s’agit d’analyser « une pratique de domination d’une langue/culture par une autre langue/culture et proposer une perspective de redressement dans le sens d’une parité qui établisse la balance et le respect entre deux langues et deux cultures » (p. 9). Au centre de la réflexion apparaît alors le concept néologique d’« équi-bilinguisme » (p. 48) : une revalorisation active du créole pour une réelle parité à laquelle n’est pas parvenu le bilinguisme officiel résultant de sa codification scientifique et de sa légitimation politique.

S’appuyant sur les théories de la linguistique générative, Tontongi réfute d’abord « l’argument central des francophonistes » (p. 33) d’une limitation des capacités du créole, ou son assignation à un usage quotidien, voire poétique, en tant qu’il serait, au mieux, langage de l’émotion. Outre une déconstruction argumentée de la dimension idéologique de cette hiérarchie linguistique, l’auteur interroge les prétentions du français dans la diffusion de la AMÉRIQUES ET OCÉAN INDIEN (115 connaissance autant que la dénomination de « pays francophone » attribuée à Haïti par une analyse historique et contextuelle : héritage colonial significativement non remis en cause par l’indépendance de 1804 ; paradoxe de la réalité linguistique d’une population dite francophone dont seulement 5 à 10% parlent le français et dont 80% sont analphabètes. « Partie intrinsèque de l’hégémonie politique, économique et militaire » (p. 32), ce sont également les enjeux de cette domination du français que Tontongi expose, soulignant ses implications « politique, ethno-culturelle et existentielle » (p. 74). Convoquant Saïd, Fanon, Foucault, Bourdieu, Barthes, Hurbon, les chapitres III, IV, V explorent cette perspective ; les deux suivants proposent une incursion dans le vécu haïtien par divers témoignages, tandis que les chapitres XI et XII sont consacrés à l’enseignement et aux conséquences des pratiques organisées contre le créole.

Dans cette critique de la « francophonie haïtienne », Tontongi souligne aussi le rôle des « infra-suprastructures » (p. 46) dans la pérennisation de l’hégémonisme culturel français et la nécessité de « mettre sur pied une infrastructure concurrente adéquate de production et de dissémination de masse des acquis de la langue et de la culture créoles » (p. 46).

Conscient des difficultés, il engage, à court terme, la responsabilité des éducateurs mais aussi des écrivains auxquels il consacre une large part de l’ouvrage, dénonçant, à quelques rares exceptions près, leur rôle dans le maintien de la suprématie du français. Après une critique de l’indigénisme et de la négritude, il n’épargne pas le mouvement de la créolité : s’il lui reconnaît « un très méritoire appel pour une pratique consciente du créole » (p. 22), il épingle ses ambiguïtés et contradictions. Un chapitre est consacré à E. Glissant, dont la « très éloquente théorie de la créolité ou créolisation » est vivement critiquée, et à « l’arrogance de René Depestre » (p. 65). Il leur reproche en outre, non pas d’avoir écrit en français, mais de ne pas « avoir écrit aussi en créole » (p. 69). Quant à M. Condé (chap. VIII), la discussion porte sur sa célébration des « nouveaux métissages culturels » concomitante d’une vision du débat créole/français comme une « dichotomie linguistique passéiste » (p. 141).

—Marie Fremin

Un compte rendu de la revue Études littéraires africaines

Numéro 25, 2008, p. 114–115 / Diffusion numérique : 17 février 2016

Pour acheter le livre, aller sur le site des Éditions l’Harmattan

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