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Tribune libre

L’imminence d’une Révolution culturelle en Haïti, notre pays

—par Marcien Guy-Frantz Toussaint (Gifrants)

  1. La polarisation de nos classes sociales
  2. L’exodus de nos compatriotes
  3. Le refoulement de nos concitoyens dans notre pays
  4. L’impact de la diaspora dans notre vie socio-politique, socio-économique et socio-culturelle
  5. L’effondrement de nos institutions
  6. L’officialisation de la langue créole
  7. L’échec de la classe politique traditionnelle

Les points ci-haut représentent autant de faits importants dont les conséquences ne peuvent être négligées. Nous sommes en train de vivre l’une des périodes les plus critiques de notre existence de peuple et de nation. Il incombe à tous patriotes, intellectuels ou non, de s’investir du courage, de la volonté, de l’intelligence et surtout de l’amour pour la liberté qui ont motivé et animé le cœur et l’esprit de nos ancêtres, pour redresser cette situation honteuse et indigne de notre histoire.

Au cours de ces deux derniers siècles, nous avons failli d’arriver à un général consensus à l’intérieur de notre pays. Les alliances et les compromis n’ont abouti qu’à des guerres intestines, minées par des exils et des coups d’État intermittents, tout en créant une instabilité politique constante même en temps de paix apparente instiguée par des dictatures froides, oppressives et répressives.

Un consensus politique ne peut pas s’établir après des élections. Cependant, l’arrêt d’un consensus ouvre la voie vers la concrétisation d’un processus politique destiné à garantir une harmonie durable au sein d’une société ou d’une nation. L’élément de cette pierre centrale sur laquelle doit se reposer cette harmonie réside dans notre nationalité et identité—l’haïtianisme.

Il est impératif de définir l’haïtianisme

Notre Constitution stipule ce qui suit pour la nationalité haïtienne:

«Possède la nationalité haïtienne d’origine, tout individu né d’un père haïtien ou d’une mère haïtienne qui eux-mêmes sont nés Haïtiens et n’avaient jamais renoncé à leur nationalité au moment de la naissance.»

Nous croyons fermement que la Constitution de 1987 doit être amendée pour redéfinir la nationalité haïtienne.

Article 11a:
«Possède la nationalité haïtienne d’origine, tout individu né sur le sol haïtien d’un père haïtien et d’une mère haïtienne qui eux-mêmes sont nés Haïtiens sur le territoire de la République d’Haïti et détiennent toujours la nationalité haïtienne au moment de la naissance de cet individu.»

Article 11b:
«Possède aussi la nationalité haïtienne d’origine, tout individu né sur le sol haïtien d’un père Haïtien ou d’une mère Haïtienne suivant la déclaration formelle de l’un ou de l’autre pour l’obtention de la nationalité haïtienne pour cet individu au moyen d’un acte de naissance. Une telle obtention ne ratifie nullement la double nationalité pour cet individu.»

Article 11c:
«Possède aussi la nationalité haïtienne d’origine, tout individu né sur un territoire étranger d’un père Haïtien ou d’une mère Haïtienne qui n’a jamais renoncé à sa nationalité suivant la déclaration formelle de l’un ou de l’autre, pour l’obtention de la nationalité haïtienne pour cet individu, au moyen d’un acte de naissance auprès d’un représentant officiel de la République d’Haïti. Cette déclaration doit se faire au cours des 30 jours suivant la naissance de cet individu. Une telle obtention ne ratifie nullement la double nationalité pour cet individu.»

D’un côté, l’intégrité de notre nationalité sera préservée. De l’autre, l’objection des pays sur le territoire desquels sont nés des enfants de parents haïtiens ne trouvera aucune référence légale dans notre Constitution. En outre, la prétention et l’assomption de tout individu de s’accoutrer de la nationalité haïtienne à partir de bases légales sont ainsi contrecarrées.

La nationalité définit l’aspect socio-politique de l’haïtianisme. Les arts vont définir l’aspect socio-culturel de ce dernier. Pour arriver à ce consensus général, ci-dessus mentionné, la révolution culturelle doit anticiper la révolution politique.

L’officialisation du créole affirme d’emblée et beaucoup plus la présence de nos paysans sur la scène socio-politique et socio-culturelle de notre pays. «La journée du Tambour» doit être célébrée. Le phénomène d’acculturation s’est accru à un rythme essoufflant vu l’effrondement de nos institutions et surtout notre dépendance vis-à-vis de l’Occident. Une révolution culturelle peut créer à coup sûr non seulement un sens de fierté, mais aussi un ralentissement de ce phénomène d’acculturation.

Nous avons besoin de respirer, de retrouver notre sens d’orientation sur le plan national. Nous ne pouvons remédier à ce traumatisme collectif qu’à travers la récupération de nos valeurs morales et surtout l’exercice de nos responsabilités civiques. La notion de peuple, de pays et de nation doit primer sur l’individualisme et le tribalisme pour rejoindre celle du bien-être collectif.

Haïti une et indivisée

Cette révolution culturelle ne peut être intuitive. Elle doit absolument instituer et renforcer le nationalisme haïtien, ce qui nous a fait grand défaut au cours de nombreuses générations. Ce nationalisme ne doit nullement exclure la diaspora et ceci pour trois raisons:

  1. La majorité de nos cadres vit actuellement à l’étranger.
  2. L’infusion dont bénéficient nombreux de nos concitoyens à travers leurs transferts d’argent et leurs activités micro-économiques à l’intérieur de notre pays.
  3. La possibilité de les récupérer et les intégrer dans le processus de développement de notre pays.

Il faut toutefois clarifier à la diaspora que la faiblesse de nos institutions et celles de Droit et de Justice en particulier ne nous permet nullement de ratifier la double nationalité durant ces périodes chaotiques. Des problèmes de temps et d’espace se poseront et l’outrage de notre humiliation ne sera et ne pourra nullement être compensé par des excuses au niveau diplomatique. Nous croyons aussi que ceux qui n’ont jamais eu l’opportunité d’exercer leurs devoirs civiques dans notre pays, ne peuvent et ne doivent nullement marchander l’accomplissement de ces derniers en réclamant la double nationalité.

D’aucuns vont se demander comment on peut ralentir ce phénomène d’acculturation si la diaspora fait partie intégrante de notre société.

La majorité de nos concitoyens ont laissé notre pays pas parce qu’ils ne l’aiment pas, mais parce qu’ils ont été dans l’impossibilité d’y améliorer leurs conditions de vie. Le traumatisme et le choc culturel vécus sur le sol étranger créent chez eux une nostalgie amère laquelle incite ce grand désir de revenir chez nous, en Haïti. Dans le cas de nos artistes, qu’il s’agisse du feu Guy Durosier, d’un Wyclef Jean, ou d’une Edwige Danticat, la Mère Patrie a toujours gardé une place spéciale dans leur cœur et leurs œuvres aussi bien que leurs actions en témoignent. L’Académie Haïtienne des Sciences et des arts doit cautionner toutes nos œuvres.

Aussi nous proposons la dénomination Natif. Natif dérive de «natifnatal» et décrit ce qui est authentiquement haïtien. Les œuvres «natif», qu’elles soient en créole, en français, en anglais, en espagnol, en allemand ou en portugais, et quelles que soient la langue, la spécialité ou la profession au niveau des arts et de la littérature, aussi longtemps qu’elles reflètent notre vie, nos us et coutumes, et nos aspirations doivent faire partie de notre patrimoine littéraire, culturel, intellectuel et scientifique. Nos savants haïtiens à travers le monde, non seulement méritent notre appréciation, mais aussi doivent servir de modèles à la génération actuelle et aux futures générations haïtiennes.

Nous croyons fermement qu’il est grand temps d’aller au-delà de la peinture primitive. Nos paysans ne peuvent plus vivre dans les huttes. Nos marchandes ne peuvent plus transporter ces paniers de fruits tout au long des chemins pendant des heures. Tirer ces cabriolets surchargés sur des routes boueuses et des pentes rugueuses représente l’austérité d’une vie antique au milieu du vingt-et-unième siècle. La peinture primitive ne peut prétendre pérenniser un mode de vie aussi misérable dans la vision d’une Haïti meilleure.

La révolution culturelle «natif» ne nous renvoie pas en Afrique comme l’ont fait la Négritude et l’Indigénisme. Cette fois-ci, nous restons chez nous, en Haïti. Nous avons apprécié finalement le génie de nos ancêtres dans la création de notre langue maternelle, le créole. Nous avons accepté finalement que le paysan est l’un de nous, qu’il a le droit de s’exprimer dans notre langue maternelle sans être victime de préjudices, qu’il a le droit d’être éduqué et d’explorer son potentiel dans notre langue maternelle, et bien plus, qu’il a le droit de défendre ses droits dans notre langue maternelle.

La révolution culturelle «natif» rejette l’absorption intégrale de tout élément culturel étranger à moins que ce dernier coïncide à une représentation effective de notre collectivité et traduit celle-ci d’une façon positive. Nombreux d’entre nous vont questionner ou bien l’importance de telles prérogatives ou bien leur efficience vu l’importance de la liberté individuelle et artistique. Pour nous, l’importance demeure dans la nécessité de restaurer nos valeurs culturelles et artistiques lesquelles ne parviennent pas à contenir l’invasion de l’acculturation. Il ne s’agit point d’interdire l’innovation ou bien de censurer la liberté individuelle et artistique, mais plutôt d’encourager d’abord l’appréciation de nos valeurs culturelles et artistiques et de les modeler dans la concrétisation d’un Haïtien contemporain au sein d’une Haïti compétitive, capable d’assurer le bien-être de ses enfants.

La révolution culturelle «natif» entend induire à la psyché haïtienne des valeurs morales positives.

Il est grand temps:

  1. qu’un héros protège Bouki (le naïf) de Malis (le méchant), ou bien que Bouki s’arme de courage pour confronter Malis et le mette hors d’état de nuire;
  2. que l’individu Haïtien intelligent soit celui qui a la capacité innée ou bien a développé la capacité d’innover et de créer, et que le coquin ne soit nullement l’intelligent qu’on vénère dans notre culture;
  3. que la femme Haïtienne devienne une partenaire d’un statut égal à celui de l’homme Haïtien et jouisse de tous ses droits intégraux sans l’ombre d’abus physiques et sexuels et de préjudices sociaux;
  4. que la tolérance soit prêchée au sein de notre société en ce qui concerne les préférences sexuelles de tout individu, et que tous droits innés, prescrits et définis par la Constitution ne peuvent être interdits ou réprimés à cause de celles-ci, exception faite de la bestialité, laquelle doit être un crime puni par la loi;
  5. que le vodou soit apprécié et respecté dans son contexte historique et socio-religieux. Le caractère démoniaque attribué au vodou doit être supprimé. Nous croyons fermement que son aspect spirituel ne manquera pas de ressurgir et de fortifier le niveau mental de l’individu Haïtien aussitôt que le primum vivere ne consomme plus son énergie ni détourne son attention de l’essence de ces enseignements divins.

Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la révolution culturelle «natif» naisse d’une décision politique et relève d’une intervention gouvernementale. Toutefois, le caractère et l’impact politiques de celle-ci ne doivent être nullement minimisés. Le consensus pour cette révolution ne doit enfreindre la liberté d’expression d’aucun individu. Toutefois, la volonté formelle de préserver notre culture et notre identité ne doit être nullement compromise.

La célébration du 18 Mai, la fête de notre drapeau, est devenue une fête internationale. À travers les villes des Caraïbes, de l’Amérique et d’Europe, les communautés de la diaspora haïtienne marquent leur présence et réaffirment leur identité culturelle. À travers les universités du monde, les jeunes d’origine haïtienne se réunissent et démontrent leurs intérêts dans les affaires de notre pays.

Nous voulons mentionner les efforts de l’ancien ambassadeur d’Haïti au Japon, Monsieur Marcel Duret, dans ses démarches pour accentuer les échanges culturels entre notre pays et le Japon. Cette sclérose partielle qui semble affecter notre intelligentsia à l’intérieur de notre pays a été fortement compensée par toutes sortes d’infusion de la part de la diaspora.

Toutefois, la révolution culturelle «natif» ne peut être importée. Une correspondance étroite s’avère nécessaire entre la Mère Patrie et la diaspora. Une méticuleuse dissection de nos problèmes dans le monde littéraire et artistique ne doit pas déboucher sur des compensations et gratifications personnelles a priori. Cette tâche noble de prendre en charge la destinée de notre pays ne traduit qu’en fait l’exercice de nos responsabilités civiques en tout premier lieu.

Sur ce, nous invitons nos compatriotes haïtiens, et les descendants de tous les Haïtiens, artistes, hommes de lettres et savants, ceux de la diaspora et vivant sur le sol de la Mère Patrie, motivés par le grand désir et par la volonté de contribuer au progrès et au développement de notre pays, de participer à la révolution culturelle «natif».

Pour une Haïti meilleure, notre pays, et au nom de notre liberté!

—Marcien Guy-Frantz Toussaint (Gifrants)

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